EMILIA PEREZ
France, Belgique, Mexique – 2024
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Jacques Audiard
Acteurs : Zoé Saldana, Karla Sofia Gàscon, Selena Gomez, Adriana Paz, Edgar Ramirez, Mark Ivanir…
Musique : Camille, Clément Ducol
Durée : 132 minutes
Image : 2.39 16/9
Son : Espagnol Dolby Atmos, Français DTS-HD Master Audio 7.1
Sous-titres : Français
Éditeur : Pathé
Date de sortie : 21 décembre 2024
LE PITCH
Au Mexique, Rita, une jeune avocate talentueuse mais peu considérée, gagne sa vie en défendant des criminels de la haute société, bafouant ses idéaux de justice. Elle est alors contactée par Manitas Del Monte, un trafiquant de drogues aussi mystérieux que puissant, qui lui demande de l’aider à changer de vie et, plus particulièrement, à changer de sexe …
La mélodie du bonheur
Gros coup de cœur au Festival de Cannes en mai dernier, Emilia Pérez y était parvenu à rafler un Prix du jury très convoité et un Prix d’interprétation féminine collectif pour les quatre actrices principales, dont (et c’est une première) l’actrice trans Karla Sofia Gàscon. Pour le réalisateur Jacques Audiard, ce nouveau sacre est surtout venu consolider durablement sa réputation d’auteur majeur du cinéma français contemporain, un fils de qui a su se faire un nom loin de l’héritage paternel, en s’attachant à réécrire des genres populaires sous un angle foncièrement élitiste.
Bien avant que le studio américain A24 ne se mette à produire des films d’horreurs et des films fantastiques dont les ambitions « auteurisantes » allaient diviser les cinéphiles sur les vices et les vertus de l’elevated genre (en gros, du cinéma de genre qui se la pète, mais pas que), le français Jacques Audiard s’amusait déjà à transformer des films noirs du terroir en objets de luxe visiblement taillés sur mesure pour les critiques de Télérama, des Cahiers du Cinéma et de Libération. Soit un cinéma indiscutablement bourgeois et à l’humilité de façade un brin agaçante, à l’opposé totale de la verve populaire (voire prolétaire) des films dialogués, scénarisés et parfois réalisés par Audiard père.
Il serait bien sûr de mauvaise foi de ne pas reconnaître à Jacques Audiard un talent certain (Un homme discret, Sur mes lèvres et Un prophète sont de belles et franches réussites), notamment lorsqu’il s’agit de créer des atmosphères étouffantes et désespérées, alourdies d’explosions de violence, ou de tirer de son casting des prestations qui mettent tout le monde d’accord. Cette dernière qualité s’avère même la seule raison valable lorsqu’il s’agit de s’infliger des machins aussi antipathiques et prétentieux que De rouille et d’os, Dheepan ou encore Les frères Sisters. Et c’est encore une fois le véritable point fort de son de son dernier essai, Emilia Pérez, mélange risqué entre un épisode de Narcos, le film musical façon Les Demoiselles de Rochefort et le cinéma coloré, bouillonnant et progressiste d’un Pedro Almodovar. Film hybride aux influences contraires relativement bien maîtrisées, Emilia Pérez est surtout l’occasion pour Zoe Saldana (Neytiri chez James Cameron pour la franchise Avatar, Uhura dans les Star Trek réalisés et produits par J.J. Abrams, Gamora chez James Gunn pour la trilogie des Gardiens de la Galaxie) de trouver ici haut la main le plus beau rôle de sa carrière. Contraint de patienter un an de plus avant de pouvoir lancer la production d’Emilia Pérez, afin que l’actrice soit libérée de ses obligations hollywoodiennes, Jacques Audiard a eu le nez creux en choisissant de confier le rôle de Rita à Zoe Saldana puisque son interprétation charismatique, énergique, subtile et sensible porte le film bien plus haut que ne le laissait pourtant prévoir une écriture souvent maladroite, scolaire et sans surprises. Un Oscar au mois de mars prochain ne serait que justice pour saluer ses efforts et son talent.
Cartel Sonata
Autour de Zoe Saldana, Karla Sofia Gàscon et Selena Gomez ne déméritent pas, loin s’en faut. Dans des rôles casse-gueules à souhait (le double rôle du narcotrafiquant et de son alter-ego féminin après sa transition pour la première et celui de l’épouse en mal d’amour pour la seconde), les deux actrices font des merveilles et apportent ce qu’il faut de nuances et d’ambiguïté à des protagonistes pas forcément crédibles sur le papier. Sacrifiés au montage malgré l’importance de leurs personnages, Adriana Paz et Edgar Ramirez font ce qu’ils peuvent avec le peu que le film leur laisse et c’est bien dommage.
Salué avec force par la critique et la communauté LGBTQ, Emilia Pérez souffle pourtant le chaud et le froid dans son approche de la transsexualité. En travaillant la question de l’identité et de l’injustice fondamentale de ne pas pouvoir être celui ou celle que l’on devrait être et en confrontant le choc de la transition physique et sexuel au regard de la cellule familiale, de la vie affective et de la société, le film marque évidemment des points et affiche un progressisme vibrant qui fait plaisir à voir. Et si l’intrigue avait eu la présence d’esprit de se concentrer sur le triangle sentimental Rita/Emilia/Jessi, nous tenions là à coup sûr un très grand film sur la trans identité. Gourmand, Audiard cherche aussi à retracer la rédemption de son protagoniste central et se vautre dès lors dans une justification pour le moins douteuse du changement de sexe d’Emilia/Manitas. Ainsi, pour l’auteur, il suffirait de réaliser sa transition et de lancer une association charitable pour que l’on puisse tirer un trait sur le passé d’un chef de cartel ayant le sang de centaines, voire de milliers de personnes sur les mains (mais ce n’était pas sa faute, fallait être méchant pour survivre … euh), le tout financé par une fortune acquise par le meurtre, l’extorsion et le trafic de drogues dures. Et Audiard d’en rajouter une couche dans l’aveuglement et la bêtise en béatifiant Emilia/Manitas lors d’un épilogue assez racoleur. Ce qui revient à nous faire croire qu’en changeant de sexe, un certain Pablo Escobar aurait pu devenir une sainte ! Un coup de bistouri, des hormones et un beau discours et tout est pardonné ! Mais le fond est vraiment atteint à la faveur d’un dernier acte qui cherche à raccrocher les wagons avec la tragédie et la violence des cartels à la faveur d’un rebondissement neuneu et prévisible à souhait (ciel ! mon amant!) et qui provoque une tragédie digne d’une rédaction d’un élève de sixième.
Très soigné sur la forme et bénéficiant d’une gestion assez miraculeuse de ses parenthèses (en)chantées – merci au score de Camille et de Clément Ducol – Emilia Pérez se prend malheureusement les pieds dans le tapis en raison d’un script aux déséquilibres évidents, défaut récurrent d’un Jacques Audiard qui manque de recul et qui se surestime avec une assurance parfois risible. Ni le chef d’œuvre annoncé, ni un ratage total, Emilia Pérez est en réalité un drôle d’objet boiteux, tantôt émouvant et magique, tantôt bête comme ses pieds. Dios mio !
Image
Également disponible sur support UHD, le film de Jacques Audiard profite avec un bel aplomb des capacités toujours remarquables du support bluray, notamment en termes de colorimétrie, de restitution des sources de lumière et de profondeur de champs. L’ouverture et le numéro musical où un Zoe Saldana en robe rouge chante sa mauvaise conscience lors d’un gala de charité tutoient des sommets avec des contrastes et une définition au scalpel.
Son
Loin de faire de la figuration en termes de spatialisation et de précision, la version française, handicapée par un doublage fade et sous-mixé, ne peut pas tenir un seul round face au Dolby Atmos ravageur de la version original. Outre la dynamique redoutable des passages musicaux, les ambiances ont fait l’objet d’un soin maniaque que ce mixage retransmet avec une fidélité irréprochable.
Interactivité
Tour à tour nerveux, didactique et enthousiasmant, Jacques Audiard s’ouvre sans aucunes réserves sur son processus créatif lors d’un entretien passionnant avec le journaliste Philippe Rouyer. Une masterclass sans doute un chouia trop courte (35 minutes, ça peut passer vite lorsqu’on cause cinéma) et qui donnerait presque envie de revoir le film à la hausse. Exclusif au bluray, un making-of plutôt brut de décoffrage nous éclaire sur le tournage réalisé en studio et se focalise sur le travail fourni par Zoe Saldana et dont l’énergie bouffe l’écran.
Liste des bonus
Entretien du réalisateur Jacques Audiard avec Philippe Rouyer (35 minutes), Coulisses du tournage (11 minutes).