EIGHTEEN SPRINGS
半生緣 – Hong-Kong – 1997
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Ann Hui
Acteurs : Leon Lai, Wu Chien-Lien, Anita Mui, Ge You…
Musique : Daniel Ye Xiagang
Durée : 128 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Cantonnais et Mandarin DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Spectrum Films
Date de sortie : 27 mai 2021
LE PITCH
Dans le Shanghai des années 1930. Manjing, une jeune femme issue d’une famille autrefois aisée, travaille dans une usine, où elle rencontre Shujun, le fils de riches marchands de Nanjing. Malgré les réserves de Shujun sur la famille de Manjing – sa sœur, Manlu travaille comme « hôtesse » de boîte de nuit – ils parviennent, par étapes, à tomber amoureux. Après une longue période de séparation, ils se retrouvent mais se rendent compte que leur bonheur appartient aux souvenirs dans une réinvention nostalgique des opportunités manquées.
Quizás, Quizás, Quizás
L’année de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, Ann Hui l’une des fers de lance de la Nouvelle Vague HK signe un grand mélodrame, une tragédie amoureuse où le destin s’apparente à une force cruelle. Le passé était plein d’espoir, l’avenir n’en laisse que trop peu.
Lorsqu’elle s’intéresse au projet Eighteen Springs, Ann Hui a déjà adapté en 1984 un autre roman de la célèbre Eileen Chang avec Love in a Fallen City, l’un de ses plus grands succès. Elle semble en effet trouver un certain écho à son cinéma dans l’œuvre de cette romancière, à la vie déjà romanesque, où sous les dehors de grands récits sentimentaux se dissimulaient déjà des réflexions sociétales, voir politiques plus profondes. Le cas est peut-être encore plus flagrant avec ce texte-là, publié une première fois dans les années 50 avec un épilogue curieusement optimiste, voir naïf, venant célébrer l’horizon offert par la révolution communiste, mais révisé en 1969 sous le titre « Destinés à s’aimer la moitié d’une existence » offrant, entre autres petites modifications, une conclusion beaucoup plus amère et fataliste. Une romance qui rejoint cette « esthétique de la désolation » symptomatique de son œuvre et à laquelle adhère parfaitement Ann Hui, en particulier à cette époque charnière pour Hongkong. Les deux époques se répondent et se questionnent par leurs atmosphères délétères, par leurs environnements en crise, Eighteen Springs s’efforçant au passage de ne jamais jouer avec la flamboyance habituelle du Shanghai de cinéma, préférant se tourner vers les quartiers plus modestes, ouvriers, optant pour des décors volontairement abîmés et des costumes moins élégants.
Les amants du temps
Une histoire d’amour relativement simplette et touchante y naît entre Manjing (sublime Chien-Lien Wu) et Shujin (la popstar Leon Lai), deux jeunes collègues de travail rêvant de mariage et d’évasion, mais qui vont se heurter dans un second temps à l’âpreté de la vie, aux préjugés de leurs familles et aux codes absurdes de la société chinoise. Une situation précipitée dans le sordide par la trahison de la sœur (formidable comme toujours Anita Mui), figure brisée et envieuse car devenue courtisane pour subvenir aux besoins du reste de la famille. Dès lors les trajectoires des fiancées se scindent sur une incompréhension, et ne pourront se recroiser vraiment qu’au bout du chemin, lorsqu’il est trop tard pour recoller les morceaux. Ici Ann Hui excelle une fois encore à dresser de superbes portraits de femmes, à en étudier les charmes, les ambiguïtés et toutes les complexités, tout en délivrant par un jeu de voix entremêlées et une construction où la temporalité semble se déliter progressivement (les ellipses sont de plus en plus marquées), le portrait de vies injustement gâchées par leur époque et leurs contemporains. Directeur photo de génie, collaborateur préféré de Hou Hsiao-Hsien, Mark Lee travaille ici sa lumière dans une forme de pénombre entre Les Fleurs de Shanghai et le In The Mood for Love de Wong Kar-Wai, resserrant constamment les cadres, rapprochant les personnages à la limite de l’étouffement parfois.
Il y a alors quelque-chose de foncièrement classique dans Eigtheen Springs, d’emprunté même, ce qui n’exclue pas alors quelques langueurs, quelques détours mélodramatiques pesants, mais le film de Ann Hui se déguste surtout entre les lignes, dans ses intentions dissimulées et cette sensation qu’entre le Shanghai des 50’s et le Hongkong de 1997, tout n’est qu’un éternel et triste recommencement.
Image
Pas toujours évident de retracer la source de certains master HK. Ici la nouvelle copie n’a pas forcément connu les honneurs d’une restauration chimique ou d’un scan du négatif, mais plutôt une succession de retouches numériques plus ou moins heureuses. Les cadres sont effectivement très propres, certains plans sont joliment détaillés et creusés, mais on peut observer de léger scintillement sur les contours et surtout une définition jamais aussi pointilleuse qu’elle devrait l’être. Vu le travail plastique de Mark Lee cela reste un peu dommage.
Son
Particularité d’une coproduction entre Hongkong et le continent, Eighteen Springs est visible aussi bien en cantonnais qu’en mandarin. C’est cependant cette dernière proposition qui correspond à la version originale et qui d’ailleurs retranscrit au mieux les atmosphères de Shanghai. Les deux sont proposées dans des pistes DTS HD Master Audio 2.0 plus que correctes, sobres et claires.
Interactivité
Encore une très belle édition pour Spectrum Films qui s’efforce de redonner en France la chance à un film qui avait pu passer inaperçu à sa sortie. On retrouve donc une nouvelle présentation parfaitement informative de l’indispensable Arnaud Lanuque qui bien entendu rappelle le parcours de Ann Hui et la place du film en question dans sa filmographie, tout en s’efforçant d’en souligner les particularités. Un travail parfaitement complété par l’intervention de Brigitte Duzan, plutôt concentrée sur l’adaptation du roman et les liens existants entre la réalisatrice et Eileen Chang.
Mais la grosse surprise du boîtier vient de la présence du documentaire Let The Wind Carry Me consacré au travail du directeur photo Mark Lee. Il est déjà particulièrement rare qu’un film soit consacré à un « technicien », et cela est d’autant plus remarquable que son travail est ici abordé en croisant la carrière du monsieur, certains éléments de sa vie plus personnelle et son regard très particulier sur la lumière et le monde qui l’entoure. Un très joli portrait qui a en plus le mérite d’être soigneusement filmé.
Liste des bonus
Présentation de Arnaud Lanuque, Eileen Chang par Brigitte Duzan, « Let the Wind Carry Me » : documentaire de Hsiu-Chiung Chiang et Pun-Leung Kwan sur le chef-op Mark Lee, Bande-annonce.