Annoncé dès 2019 et lancé en pleine préproduction du diptyque Dune, Prophecy aura connu quelques accidents de parcours avec la prise de distance de Denis Villeneuve, les multiples changements de showrunner et l’éviction directe du réalisateur du premier pilote en plein tournage. Pas si facile en effet de réussir à maintenir une filiation directe avec les deux blockbusters cinéma et de trouver sa propre tonalité, son propre rythme, en particulier lorsque les évènements décrits sont censés se dérouler quelques 100 000 ans avant l’avènement du muad’dib. Adapté de La Communauté des sœurs, l’un des nombreux romans signés Brian Herbert (fils de) et Kevin J. Anderson étendant considérablement le cycle principal, Prophecy plonge ainsi dans les premières heures de l’ordre des Bene Gesserit, alors que la secte de nonnes monte peu à peu les marches du pouvoir, et s’inscrit plus que durablement dans toutes les cours de l’univers. Il y est naturellement déjà question de prendre littéralement le pouvoir sur l’Empire en plaçant une créature imaginée et crée par l’ordre, mais aussi de contrecarrer une prophétie qui annonce des bouleversements catastrophiques en provenance de la planète Dune. Si celle-ci reste encore bien à distance, son omniprésence économique et philosophique (des disciples des fremen comme s’il en pleuvait) est naturellement déjà bien ancrée dans le récit.

Demi-sœurs

Ambitieux, en particulier lorsqu’il se construit par de nombreux flashback où les visions annonciatrices se multiplies, ou les différentes branches des Benne Gesserit s’affronter pour le contrôle, Dune Prophecy reprend certes de nombreux codes esthétiques aux longs métrages, mais doit certainement plus dans ses codes et sa structure à l’autre monstre HBO : Games of Thrones. Même multiplicité de royaumes, de familles et de personnages. Même constant jeu de contrôles, d’alliances et de trahisons. Même omniprésence de longues scènes de dialogues, hésitant souvent entre force, intelligence et ironie, mais avec malheureusement une absence très notable de personnages charismatiques et attachants. Tout le talent de Games of Thrones fut en effet de donner corps à un panel d’antagonistes dans lesquels le spectateur se reconnait ou en tout cas peut de projeter. Ici tous hermétiques, froids, insondables, ils restent, malgré les talents d’actrices comme Emily Watson et Olivia Williams (on passera sur Travis Fimmel qui n’a jamais fait autre chose que son Ragnar de Vikings), bien souvent hors d’atteintes, silhouettes traversant un space opera un peu pompeux et rapidement assez fouillis dans son écriture. Trop de rebondissements artificiels, de révélations à chaque épisode, de réécritures par une scènes extirpée du passée, Prophecy écarte l’épique pour un feuilleton SF qui manque d’âme et d’aspérités. Dommage, la série aurait sans doute eu beaucoup à gagner en son concentrant plus concrètement sur la chute de la maison Harkonnen, vaincue par les Atreides aux lendemains de la guerre contre les machines, dont on perçoit constamment la douleur, la décadence mais aussi une nécessitée de vengeance qui sert de moteur à toute la série… et plus lointainement aux évènements de Dune.

Entre le trop plein et le pas assez, Prophecy reste cependant une série tout à fait regardable et jamais inintéressante, venant agréablement développer l’univers entrevu dans les films, assurant une production plutôt classieuse et dotée de quelques très belles visions planétaires, de superbes décors, costumes et effets spéciaux… Mais elle manque effectivement de singularité.