DRESSÉ POUR TUER

White Dog – Etats-Unis – 1982
Support : Bluray & DVD
Genre : Thriller
Réalisateur : Samuel Fuller
Acteurs : Kristy McNichol, Paul Winfield, Burl Ives, Jameson Parker, Lynne Moody, Marshall Thompson, Dick Miller…
Musique : Ennio Morricone
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 90 minutes
Éditeur : ESC éditions
Date de sortie : 18 septembre 2024
LE PITCH
Julie Sawyer, une jeune comédienne, recueille un berger blanc suisse après l’avoir accidentellement renversé sur la voie publique. Elle se prend d’une certaine passion, et même d’un attachement profond pour le chien. Mais elle se rend vite compte que celui-ci a été dressé pour tuer les personnes à la peau noire.
Gare à la bête
Grand film maudit du réalisateur de Shock Corridor et Le Port de la drogue, Dressé pour tuer fut presque totalement enterré par la Paramount durant 25 ans, étrangement inquiétée par une crainte de scandale et un jugement, stupide, par quelques organismes d’œuvre raciste. Pourtant c’est bel et bien tout l’inverse, Dressé pour tuer est un puissant et terrifiant constat de la bêtise humaine.
Publié en 1970, le roman original de Romain Gary était basé sur une mésaventure personnelle qu’il vécu avec sa femme, Jean Seberg, lorsqu’il adopta un grand berger allemand mais qui se révéla malheureusement l’un de ces fameux « chien blanc ». Un animal conditionné et dressé pour devenir un tueur d’afro-américains. Tout d’abord considéré comme un sujet idéal pour Roman Polanski, avant qu’il ne doive fuir pour l’Europe, le projet finira au bout de quelques années par aboutir dans les bras de Samuel Fuller, grand metteur en scène de la violence, malheureusement en perte de vitesse et clairement éreinté, déjà, par le tournage et la distribution difficile de son précédent Au-delà de la gloire. A l’aide de son coscénariste et ami Curtis Hanson (futur auteur du film L.A. Confidential) il réduit considérablement la dramaturgie du roman, évacue les liens avec la contemporanéité de l’écrit (qui s’inscrivait alors pleinement dans les mouvements de revendication noirs, Black Panther et autres), les pistes autobiographiques, afin que le film gagne clairement en universalité et puisse surtout tendre vers l’allégorie et une réflexion beaucoup plus générale sur la nature et l’origine du mal. C’est que le fameux chien trouvé par la jeune actrice interprétée par Kristy McNichol (Les petites chéries, Pirate Movie) n’est pas simplement un chien d’attaque aux cibles privilégiés, mais bien une créature complexe, intelligente, tendre, protectrice, développant même un attachement ambigu avec sa maitresse, qui par une haine enfuie en lui alors qu’il était chiot, peut se transformer en tout moment en véritable bête à tuer.
« Il y a des animaux plus égaux que d’autres »
Ce conditionnement peut-il être renversé, adouci, transformé ? L’animal peut-il redevenir « normal » ? Le film suit les tentatives et les expériences d’un zoologiste et dresseur noir, qui justement fait lui-même le parallèle entre le canidé et la société humaine. Dès lors, Dressé pour tuer évolue constamment dans une zone grise parfaitement voulue, dans un flou constant entre la condition animale et la condition humaine (la scène des animaux gazés au chenil renvoyant directement aux souvenirs de la découverte des camps de concentration par le jeune soldat Fuller…) et surtout une réflexion sur cette fine ligne de basculement entre l’animal « civilisé » et intelligent, et la bête non pas sauvage mais gratuitement meurtrière, terriblement dangereuse, voir monstrueuse. Les revirements comportementaux incessants du chien dans les dernières minutes, sur u long ralenti romantique puis horrifique traversé par le thèmes tendu et mélancolique à la fois d’un Morricone, en très grand forme, souligne la blessure inéluctable que la haine a pu laisser dans le cœur de celui-ci. Il y est donc bien question frontalement de racisme, mais aussi d’une plus vaste tendance de l’humanité à s’en prendre à son prochain et à dresser l’autre pour cela. Film lucide et fataliste, Dressé pour tuer renoue aussi une nouvelle fois avec le mélange de réalisme et d’intensité baroque (jeu du montage, ralentis angoissants, gros plans frontaux…) qui ont fait la signature de Fuller. Ici point besoin d’effusions de sang à tout va et d’images choquantes plein cadre, la violence est à la fois omniprésente, étouffante, et toujours présentée avec une certaine pudeur. Comme cette terrible traque d’un afro-américain jusque dans une église où la caméra s’éloignera de la victime avant qu’elle ne se fasse dévorer pour mieux cadrer un vitrail représentant Saint-François d’Assise entouré d’animaux.
Ironie mordante et fatalisme noir nourrissent aussi cette œuvre brillante de Samuel Fuller qui finalement ne connut initialement de véritable distribution et de succès que chez nous, devant attendre patiemment quelques rares sorties évènementielles et surtout un premier DVD chez Criterion en 2008 pour enfin être redécouvert plus largement. Fuller lui, écœuré avait quitté les USA pour la France dès la fin de l’année 82.
Image
Si Dressé pour tuer ne peut pas se vanter d’avoir eu les honneurs d’une belle et grande restauration à la source avec un nouveau scan 4K au passage, le master HD disponible depuis quelques années déjà à l’étranger et ici proposé par ESC n’en reste pas moins d’excellente facture. L’image est d’ailleurs particulièrement propre et stable, et dispose d’une colorimétrie vive et contrastée. Même la définition fait preuve d’une bonne solidité avec un piqué soulignant de nombreux détails et creusant agréablement les cadres. Des scènes diurnes aux nocturnes, on ne note d’ailleurs aucun signe de faiblesse ou de marque de compression.
Son
Le mono d’origine profite pleinement du DTS HD Master Audio 2.0 pour affirmer une propreté toute neuve. Le doublage français souffre parfois d’un peu de souffle et d’un mixage relativement plat, mais la version anglaise, claire et sans perdition, se permet quelques sensations plus dynamiques et une restitution très fine des musiques de Morricone.
Interactivité
Malgré le statut du film et de son réalisateur, les bonus de production ne sont pas bien nombreux du coté anglo-saxon. ESC qui distribue le film sous la forme d’un digipack avec fourreau au design très efficace, propose donc des suppléments totalement inédits et confectionnés par leurs soin avec une introduction et une interview de Samantha Fuller, fille du réalisateur, et qui se balada tout petite sur le plateau (elle joue même une des deux gamines apparaissant à la toute fin), et partage avec nous ses souvenirs d’un tournage plutôt joyeux, avec plein d’animaux… qui contrasta forcément avec sa découverte du film achevé. Elle discute aussi des thèmes du film, de l’aspect personnel du projet pour son père et de leur arrivée en France.
Nachiketas Wignesan, enseignant à la Sorbonne, délivre forcément une présentation plus « académique » avec un retour sur la place du film dans la carrière du cinéaste, les liens et les différences avec le livre de Romain Gary, le traitement assez universel du racisme et essaye de décrypter quelques séquences ou plans pour appuyer son propos. Une dynamique d’analyse plus poussée encore dans « Qui êtes-vous Samuel Fuller ? » , une conférence de Frank Lafond capté à la Cinémathèque Française en 2018 dans laquelle l’intervenant traverse la première grande période de la filmographie de Fuller (pas question de Dressé pour tuer ici donc) s’efforçant de circonscrire et de définir les formes et parfois le sens de son cinéma à grand renforts d’extraits décryptés de ses œuvres. Le rythme du bonus n’est pas toujours soutenu (la conférence n’avait pas forcément vocation à être filmée) mais ce type d’exercice est toujours intéressant à visionner.
A noter que l’édition Bluray contient aussi un livret exclusif ainsi qu’une reproduction du poster américain.
Liste des bonus
Un livret (32 pages), Une affiche, Présentation du film par Samantha Fuller, « Le Film qui a changé ma vie » : Entretien avec Samantha Fuller (23’), « Mordre le racisme à la gorge » : Entretien avec Nachiketas Wignesan, enseignant à l’Université Sorbonne Nouvelle (26’), « Qui êtes-vous Samuel Fuller ? » : Conférence de Frank Lafond à la Cinémathèque Française du 4 janvier 2018 (90’), Bande-annonce d’époque.