DR. JEKYLL & MR. HYDE
Edge Of Sanity – Etats-Unis, Grande-Bretagne, Hongrie – 1989
Support : Bluray & DVD
Genre : Horreur
Réalisateur : Gérard Kikoïne
Acteurs : Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp, David Lodge, Ben Cole, Ray Jewers, …
Musique : Frédéric Talgorn
Durée : 85 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Sidonis Calysta
Date de sortie : 17 février 2022
LE PITCH
Londres, en 1888. Le docteur Jekyll respire par accident les émanations d’une puissante drogue à base de cocaïne et se transforme en un homme assoiffé de violence et de luxure. L’expérience se transforme rapidement en addiction et des prostituées sont assassinées sauvagement, …
From Hell
Moins de 150 pages, c’est tout ce qu’il aura fallu à Robert Louis Stevenson en 1886 pour donner naissance avec L’étrange cas du docteur Jekyll à un mythe dont la longue descendance filmique rivalise avec celles de Dracula et Frankenstein. La vision portée un siècle plus tard par le réalisateur français Gérard Kikoïne, son producteur Harry Alan Towers et l’acteur Anthony Perkins est à n’en pas douter l’une des plus singulières, raccrochant les wagons avec l’odyssée meurtrière de Jack l’Éventreur au travers de surprenantes fulgurances anachroniques où se croisent les influences de Ken Russell et de l’expressionnisme allemand. Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Le mince vernis de la civilisation s’effritant pour révéler et imposer l’immoralité et la profonde sauvagerie de l’espèce humaine. C’est la thématique que développe l’auteur de Lîle au trésor, jouant des peurs engendrées par la supposée toute puissance de la science moderne. Exploitant le décorum hautement cinégénique du Londres victorien et insistant sur les transformations spectaculaires du Dr Jekyll et la monstruosité bestiale de Mr Hyde, le cinéma a peu à peu relégué la science et la philosophie au second plan pour mieux s’enfoncer dans l’horreur et le fantastique pur, profitant aussi au passage de la théâtralité « vaudevillesque » de la double vie menée par le personnage central. Anthony Perkins oblige, le Henry Jekyll de 1989 colore l’anti-héros de Stevenson de plusieurs nuances de Norman Bates. Même rapport trouble à la sexualité et aux femmes (la séquence à priori anodine des bains turcs diffuse pourtant un malaise très révélateur), même trauma d’enfance, même nervosité, même paranoïa.
À ce tableau déjà chargé, Gérard Kikoïne fait le choix risqué mais au final judicieux d’en rajouter une couche en faisant des meurtres de prostituées commis par Hyde (qui se donne ici le prénom de « Jack », off course!) l’explication hautement fantasmée du mystère Jack l’Éventreur. Et, au final, pourquoi pas ? Débutée tout juste deux ans après la parution du roman de Stevenson, la vague de terreur du meurtrier de Whitechapel coïncide d’ailleurs avec les premières représentations au théâtre de L’étrange cas du docteur Jekyll. Mais l’aspect le plus sinistre de ces meurtres tient surtout à une étrange combinaison de mutilations sadiques et sanglantes exécutées avec une précision remarquable et un talent chirurgical qui amène la police a suspecter médecins et tailleurs. Raffiné et monstrueux, Jack l’Eventreur est lui-même « double » et prolonge la création de Robert Louis Stevenson dans les colonnes des faits divers.
Kiko Murders
C’est à la fois la grande force et la grande faiblesse de Dr Jekyll & Mr Hyde (dont le titre à l’international, Edge of Sanity, est bien plus parlant) : son scénario. Ecrit à quatre mains par J.P. Félix et Ron Haley, il est encore retouché par Gérard Kikoïne qui en change la fin en laissant Jekyll survivre mais doit aussi abandonner l’idée d’évoquer la grossesse du personnage d’Elizabeth, ce qui aurait rendu son meurtre encore plus dérangeant, trop en réalité pour des financiers américains horrifié par le tabou que représente la mort brutale d’une femme enceinte. Même si elle multiplie les pistes de lectures passionnantes, l’intrigue souffre parfois d’un étonnant manque de cohésion, empilant les évènements sans toujours parvenir à les lier de façon organique et ne s’appuie pas assez sur les personnages secondaires, presque insignifiants en comparaison d’un personnage principal qui vampirise l’écran … et tout le reste aussi. On aurait pourtant aimé en savoir plus sur Susannah et Johnny, la prostituée et le rabatteur bénéficiant au passage des prestations solides de Sarah Maur Thorp et Ben Cole.
Kikoïne compense heureusement ces soucis d’écriture par une mise en scène racée et dont la sophistication confère une vraie modernité et une fraîcheur bienvenue à un matériau que l’on aurait pu croire déjà surexploité. Dr Jekyll & Mr Hyde s’imprègne de son époque (les 80’s donc) et aligne quelques belles audaces. Fini les sérums et les potions de laborantins, le produit du Dr. Jekyll est un dérivé de la cocaïne qu’il fume dans une pipe à crack comme un vrai drogué. Quant au monde de la nuit, il évoque, costumes et coiffures anachroniques à la clé, les extravagances de Ken Russell, la vulgarité du Brian de Palma de Body Double et même les ambiguïtés sacrilèges du Paul Verhoven du Quatrième Homme, toutes proportions gardées. Des influences parfaitement digérées, inconscientes même de l’aveu du cinéaste, et qui alimentent sans le phagocyter le style propre à Kikoïne, lequel puise son énergie dans un découpage précis et très travaillé.
Véritable star, Anthony Perkins est au centre de toutes les attentions. Soulignant ses traits acérés au lieu de l’enfouir sous d’épaisses prothèses, le maquillage lui laisse toute latitude pour composer un Hyde stupéfiant, dandy punk à la gestuelle animale et malade, furieusement réminiscente du Max Schreck du Nosferatu de Murnau. Du cabotinage virtuose qui accroche le regard et la caméra et qui dénote d’une vraie complicité entre l’acteur et son réalisateur. Conquis, Perkins aurait bien voulu continuer sa collaboration avec Kikoïne pour un Psychose 4 qui sera finalement confié à Mick Garris. On peut se consoler sans mal de ce second rendez-vous manqué avec cette série B parfois imparfaite mais foutrement attachante et qui se bonifie même avec le temps.
Image
Quelques accidents de pellicule (points blancs et petites rayures), nettement plus visibles lors des scènes de jour devant le domicile de Jekyll ou à l’hôpital, ne parviennent pas à entacher un rendu général plus que satisfaisant. Couleurs et définition sont les points forts de cette copie restaurée avec sérieux et qui fait oublier le vieux DVD de MGM.
Son
Un écho très légèrement perceptible en version française mais qui disparaît pour laisser la place à une stimulante ouverture en stéréo en version originale. Le choix est vite fait, d’autant plus que le très beau score romantique de Frédéric Talgorn est vraiment le grand gagnant de ce mixage propre comme un sou neuf.
Interactivité
Le désormais traditionnel livret de Marc Toullec offre une bonne mise en contexte. Mais on lui préfèrera indiscutablement le retour très complet du toujours érudit Olivier Père qui aborde à peu près tous les aspects de la production avec un vrai souci de clarté. Un entretien très récent et franc du collier avec le cinéaste Gérard Kikoïne offre pour sa part quantité d’anecdotes impayables (la rencontre avec Anthony Perkins … et le couteau de Psychose !) et une bonne humeur contagieuse.
Liste des bonus
Présentation du film par Olivier Père, Entretien avec Gérard Kikoïne, Livret de 24 pages rédigé par Marc Toullec.