Ancien membre de la pègre, truands repentis gracié et ayant commué une peine de 11 ans, José Giovanni aura su transformer son passif en force artistique, devenant romancier, scénariste et réalisateur dont justement l’une des spécialités étaient d’offrir un regard particulièrement réaliste et humain, sur ces mondes du crime, leur pendant policier et plus généralement des faits de société liés à la répression ou à la peine de mort. Un auteur humaniste, qui en adaptant le roman de Joseph Harrington (Last Know Adress) découvert dans la collection Série Noire, va illustrer comme jamais la réalité peu spectaculaire, voir laborieuse, des enquêtes de proximité. Marceau, vieux loup rompu au métier, rétrogradé pour avoir arrêté un fils d’avocat, fait ici équipe avec la jeunette et volontaire Jeanne, tout d’abord pour prendre sur le fait quelques pervers dans les cinémas de quartier, puis enfin pour retrouver la trace d’un témoin capital dans une affaire dont le procès doit se tenir dans quelques jours. Une mission que personne ne veut, et qui entraîne les deux collègues dans les rues populaires parisiennes, au pieds des tours de la périphérie, au fond de ruelles oubliées, dans les terrains vagues, épluchant les témoignages persistants, les listes d’anciens locataires sans visages, les registres des pharmaciens, sur la trace d’anonymes, d’un père seul et d’une petite fille qui deviendrait progressivement presque une figure angélique. 

Porte à porte

Un point à l’horizon, tout de rouge vêtu, seul îlot de couleurs et d’espoirs naïfs dans un monde de gris et de bêton, enchaînement de citées en pleines mutations, en pleine déconstruction, où déjà s’amoncellent les ruines d’hier, et ces grands ensembles où les classes modestes rentres le soir abrutis par un quotidien assommant. Certainement que Dernier domicile connu n’arriverait pas à transmettre aussi parfaitement le harassement de ces deux flics lambda et la mélancolie d’un tableau général si le compositeur François de Roubaix (La Scoumoune, Le Vieux Fusil, Les Lèvres rouges) ne signait pas là l’une de ses plus importantes bandes originales et l’un de ses thèmes les plus obsédants, samplé par à peu près tout le monde depuis (de Robin Williams à Lana Del Rey ou Dr Dre). Des notes à la mélancolie sophistiquée, terrassante, alliée à une mise en scène sèche, quasi-documentaire, qui offre à cette trame de fait divers, d’enquête presque quelconque, la force d’un témoignage à vif sur le travail assommant et vain de la police de quartier, et surtout sur leur acceptation fataliste de leur absence de pouvoir. Parfait respectivement dans les rôles du vétéran dévoué à sa charge et dans celui de la jeune idéaliste qui espère encore pouvoir changer les choses, Lino Ventura et Marlène Jobert, forment un duo opposé et complémentaire, moins témoins qu’acteurs du débat moral qui se déroule devant nos yeux. Un superbe polar français tout simplement.