DELIRIUM & BODY PUZZLE
Le foto di Gioia, Body Puzzle – Italie – 1987, 1992
Support : Bluray
Genre : Horreur, Thriller
Réalisateur : Lamberto Bava
Acteurs : Serena Grandi, Daria Nicolodi, Vanni Corbellini, David Brandon, George Eastman, Joanna Pacula, Tomas Arana, François Montagut, Gianni Garko, Erika Blanc…
Musique : Simon Boswell, Carlo Maria Cordio
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais, français et italien DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 84 minutes
Editeur : Carlotta Films
Date de sortie : 1er octobre 2024
LE PITCH
Delirium : Gioia est propriétaire d’une revue pour hommes, Pussycat. Lors d’une séance photo, la jeune Kim est sauvagement assassinée. Le lendemain, Gioia reçoit un cliché du cadavre devant une photo géante la représentant…
Body Puzzle : L’inspecteur Michele enquête sur les meurtres sordides d’un mystérieux tueur en série qui, non content de massacrer ses victimes, leur prélève en plus des organes. Michele fait rapidement le lien avec le défunt mari d’une jeune veuve, dont la tombe a été récemment profanée…
Ses dernières exécutions
Pas forcément le cinéaste italien le plus adulé de sa génération, mais un artisan chevronné, passionné et qui surtout n’a jamais vraiment lâché la barre, Lamberto Bava signa avec Delirium et Body Puzzle deux giallos tardifs, presque des films résistants, s’efforçant de maintenir sous perfusion un genre qui pour beaucoup avait largement fait son temps.
Éternellement fils d’un génie du 7eme art, Lamberto Bava n’aura jamais pu s’imposer comme celui-ci. Rapidement devenu un petit spécialiste de la série B, il aura tout de même réussi à signer quelques œuvres sympathiques comme Baiser Macabre, première réalisation et premier giallo, et bien entendu le doublet Démons devenu culte par ses nombreux excès… et la patte indéniable du mentor Dario Argento. On le perçoit longtemps dans le cinéma de Lamberto comme un évident modèle à suivre, qu’il soit d’ailleurs à la production ou pas. Ainsi Le foto di Gioia, connu en anglais sous le titre Delirium, autrefois en France comme Sentences de mort, est clairement marqué par la dernière grande réalisation du copain : Opera.
Une approche du giallo marqué par une certaine décadence, par une utilisation régulièrement absurde du gros métal qui fait mal aux oreilles, mais bien entendu sans la démesure opératique et les envolées lyriques. Dans un contexte économique de plus en plus difficile pour le cinéma italien (en 87 les dés de Berlusconi sont déjà jetés), il faut se tourner vers de nouveaux artifices pour survivre et ici se sera l’érotisme. Le film prend donc place dans les coulisses d’un magazine de charme, tenu par une ancienne actrice X, dont les nouvelles mannequins se font massacrer une à une par un tueur insaisissable. L’occasion naturellement d’offrir quelques séances de photos sexy (avec la chanteuse Sabrina tant qu’à faire), des petites scènes de douche et surtout quelques étreintes très démonstratives entre l’icône du genre Serena Grandi (Miranda pour Tinto Brass) et le colosse George Eastman qui passait par là (et qui crache allégrement en coulisse sur le film et sur Bava comme à son habitude). Même l’affiche italienne jouait plus clairement sur le coté cul que sanglant du film. Pourtant, si le scénario relativement tortueux est tout de même bien mollasson et relativement prévisible dans son whodunnit, Lamberto Bava s’efforce consciencieusement de soigner ses effets. Une très bonne scène de poursuite dans un grand magasin avec quelques éclairages bien sentis qui rappellent le paternel, une terrible attaque d’abeilles façon Phenomena et surtout des visions intérieures du tueur qui se projettent à l’image par de jolies demoiselles affublées de visages particulièrement monstrueux et éloquents. Inégal mais intéressant, Delirium, lucide, en profite dans la foulée pour décrire par le menu l’effondrement de la culture de l’image italienne, jouant d’une esthétique clinquante, se moquant du ridicule du petite monde féroces de la presse et de la publicité, et témoigne de la disparition des grands studios de cinéma… plus utilisé que pour des clips craignos.
Pièces après pièces
Et cinq ans plus tard, le cinéma de genre italien n’est plus, les grands noms se perdent dans des séries Z honteuses, les producteurs sont aux abonnés absents et la télévision a définitivement gagné le combat. Lamberto Bava lui-même connait le plus gros succès de sa carrière avec les débuts de la série de fantasy La Caverne de la rose d’or. Il revient pourtant le temps d’un téléfilm aux giallo, un peu à l’ancienne, avec Body Puzzle sont ultime réalisation dans le genre. Ici cependant l’érotisme est forcément gommé, les élans trop violents sont quelque peu calmés et les meurtres se joueront essentiellement hors champs. Pour compenser, il faut alors mettre un peu plus l’accent sur la laborieuse enquête policière menée par un Tomas Arana (La Secte) fougueux mais peu convaincant et même glisser une petite romance artificielle avec celle qu’il doit protéger, Joanna Pacula (Gorky Park), qu’il oubliera d’un geste dans un plan final d’un ridicule hallucinant. Comme souvent avec Lamberto Bava, le film souffle le chaud et le froid, oscillant entre les séquences placides et quelques belles inspirations à l’instar de ce tueur dont l’humeur est conditionnée par les morceaux de classique qu’il écoute dans son walkman : « Jésus que ma joie demeure » de Johann Sebastian Bach pour les instants de calme mélancolique, « Une nuit sur le mont Chauve » de Moussorgski pour les passages à l’acte.
Avec la encore un scénario bien tarabiscoté sur fond d’homosexualité refoulée (une récurrence chez Bava… des questions à se poser ?) et de dons d’organes qui se suit à rythme très honnête, où réalisateur glisse quelques hommages au cinéma des deux décennies précédentes en invitant pour des seconds rôles quelques grands noms du bis comme Erika Blanc Gianni Garko Bruno Corazzari ou Giovanni Lombardo Radice. Un petit coté film testament, dernier sursaut d’une école et d’un giallo en voie de disparition.
Image
Aucun doute qu’aucun amateur n’avait encore pu profiter de ces films dans des conditions aussi optimale. Rien que Body Puzzle et son master 2K, retravaillé à partir d’une source film, retrouve clairement de la tenue et de l’intensité avec un rendu loin des effets vidéo d’autrefois. Les contrastes et les teintes sont assez bien marquées, les tableaux n’ont pas une profondeur renversante, mais au moins respectent les petits efforts photographiques et le grain de l’image.
Entièrement restauré à partir d’un scan 4K des négatifs, Delirium est forcément bien supérieur avec un piqué très précis, des cadres particulièrement stables, des couleurs pimpantes et des textures organiques et vibrantes qui redonnent un peu de cachet au film.
Son
Les deux films sont systématiquement accompagnés des pistes audios anglaises, italiennes et françaises en DTS HD Master Audio 2.0. Les doublages hexagonaux font effectivement assez téléfilm avec un rendu assez plat, mais sont toujours clairs et efficaces. Pour Delirium on optera pour la version italienne qui correspond à la langue du tournage, assurant une restitution plus naturelle et ronde. Pour Body Puzzle, les acteurs ont joué en anglais et même si les interprétations manquent de naturel, le mixage résonne mieux.
Interactivité
Carlotta Films propose les deux films en double programme dans un digipack avec fourreau cartonné très efficace dans son design. Du coté des bonus on trouvera pour chaque film une discussion entre Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele qui viennent justement de sortir le livre Lamberto Bava, conteur-né chez le même éditeur. Tous deux discutent donc un peu de la carrière du cinéaste, du casting, des schémas du giallo, des quelques réalités économiques de l’époque mais aussi beaucoup de l’esthétique des films, leurs jeux de lumières et leurs reflets de l’époque.
Liste des bonus
Delirium : « Chic et violent » : Conversation inédite entre Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele, auteurs de « Lamberto Bava, conteur-né : le frisson et l’émerveillement » (22’).
Body Puzzle : « Façon puzzle » : Conversation inédite entre Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (21’), Bande-annonce originale.