DELICATESSEN
France – 1991
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Science-Fiction, Comédie dramatique
Réalisateur : Marc Caro, Jean-Pierre Jeunet
Acteurs : Jean-Claude Dreyfus, Dominique Pinon, Marie-Laure Dougnac, Karin Viard, Ticky Holgado, Anne-Marie Pisani, Rufus, Chick Ortega, Jean-François Perrier…
Musique : Carlos d’Alessio
Image : 1.85 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 5.1, Allemand DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français pour sourds et malentendants, allemand, anglais.
Durée : 99 minutes
Éditeur : StudioCanal
Date de sortie : 18 octobre 2023
LE PITCH
Au milieu d’un terrain vague, se dresse un immeuble habité par d’étranges personnages. Il y a la famille Tapioca, les snobs Interligator, les frères Kube, fabricants de boîtes qui meuglent quand on les retourne, la peu vertueuse Mme Plusse et quelques autres… Tous sont clients du boucher du rez-de-chaussée, dont les stocks augmentent avec la disparition de certains locataires, et tous sont confrontés au terrorisme des Troglodytes végétariens, vivant dans les sous-sols. Un beau jour arrive, Louison, un gentil garçon qui joue de la scie musicale. Blanche-Neige parmi les ogres, Julie, la fille du boucher, s’en éprend mais, pour d’autres raisons, son père s’intéresse aussi à ce nouveau locataire…
L’étal des maitres artisans
Premier long métrage du désormais mythique couple éphémère Caro / Jeunet, Delicatessen fut certainement un évènement, mais aussi certainement un choc à l’heure où déjà, encore et toujours, le cinéma français ne se voyait que comme une photographie du réel. Avec leur humour absurde, leur imaginaire bricolé et leurs ambitions esthétiques, les deux artistes faisait tache (d’huile?) dans le paysage.
Et forcément la naissance de Delicatessen n’aura pas été chose aisée. Malgré la reconnaissance rencontrée par leurs divers travaux ensembles ou séparés (BD pour l’un, pubs pour l’autre, courts métrages pour les deux) et le statut culte grandissant de leur moyen métrage Le Bunker de la dernière rafale, tout le milieu du cinéma français ou presque, fait la sourde oreille à leurs envies de contes baroques. Déjà écris et imaginé, La Cité des enfants perdus est écarté pour des questions évidentes de coûts, alors que Delicatessen avec son cadre plus resserré et son action « plus sage » pourrait faire l’affaire. On ne peut que louer la patience des deux compères et surtout la volonté inébranlable de la grande productrice Claudie Ossard (Diva, 37°2 le matin, Charlotte for Ever, Marquis…), qui vont mettre quasiment dix ans, avec même un arrêt d’un an en pleine préproduction, pour accoucher du gros bébé joufflu. Une terrible histoire d’un immeuble en temps de guerre, aux habitants alimentés par un boucher cannibale (par opportunisme), une comédie noire dans un monde retro-futuriste habité dans le sous-sol par des troglodytes brigands, qui débarque comme un élégant pachyderme dans le magasin de porcelaine du cinéma français. Même si Luc Besson et Jean-Jacques Beineix ont déjà ouverts quelques portes, ce cinéma qui croise le fantastique français à l’ancienne, l’esthétique évocatrice du grand cinéma d’autrefois (Marcel Carné en particulier), les délires punks de la BD de Métal Hurlant, un bric-à-brac hors du temps à la Terry Gilliam (Brazil) et une précision technique ultra contemporaine, est absolument unique en son genre, pour ne pas dire révolutionnaire.
« il m’en reste un peu, je vous le mets quand même ? »
Un film qui a certainement été conçu comme une forme de libération et ou Caro et Jeunet multiplient sans cesse les idées et les aspirations, passant de petites séquences vaguement inquiétantes (l’ouverture bien vacharde) a des semblants de sketchs où la noirceur terrible de l’univers (on parle là sans doute d’une France post-apocalyptique) est constamment contrebalancée par des personnages complètement allumés, bourrées d’obsessions, de tocs, de vilénie et de coquetterie : Jean-Claude Dreyfus mémorable en as du hachoir, tyran en tablier blanc, Karin Viard, femme fatale prolo à grande gamelle, les frangins passant leurs journées à fabriquer des boites à meuh, Howard Vernon pataugeant dans son appartement inondée pour élever les escargots, la pauvre Aurore Interligator qui multiplie les tentatives malheureuses de suicide, la famille Tapioca prête à tout, même à sacrifier mamie, pour mettre un peu de viande dans l’assiette… Et puis il y a l’ex-clown, nouvel homme à tout faire, Louison (Dominique Pinon merveilleux en « prince charmant ») et la fille du boucher (touchante Marie-Laure Dougnac) qui rêvent d’amour et d’eau fraiche en jouant en duo du violoncelle et de la scie musicale. Le film fait ainsi constamment le va et vient entre ses accents sombres, sa violence contenue, et sa poésie légère, enfantine déjà, portée par une multitude de petits bonheurs de réalisation et de montage (l’orgasme collectif et rythmique, la réparation du lit que se transforme en dance vahiné, les fameux enchevêtrement de détails qui construisent l’action…), s’habillant de teintes mordorées, de verts presque émeraude sous l’inspiration visionnaire du jeune directeur photo Darius Khondji (La Neuvième porte, Seven, The Lost City of Z…).
Un univers débordant d’imagination, d’envies, d’ingéniosités qui a, œuvre de jeunesse oblige, encore tendance à partir dans tous les sens et à recoller les morceaux avec quelques difficultés, mais qui aujourd’hui encore reste un objet réjouissant, un morceau de choix.
Image
Comme pour la précédente édition de La Cité des enfants perdus, la nouvelle restauration s’est faite dans les règles de l’art avec un scan 4K des négatifs 35mm qui avaient la particularité d’avoir connu un traitement chimique particulier afin de donner cet aspect « doré » alors inédit. Plus que jamais, le film réussit à retrouver une toute nouvelle jeunesse avec un regain admirable de ces teintes symptomatiques du duo Caro & Jeunet, mais cette fois-ci jamais au détriment du détail, de la profondeur et d’un grain qui, à deux-trois toutes petites exceptions près, redevient fin, délicat et organique. La colorimétrie rééquilibrée est bien plus délicate et subtile que sur le précédent Bluray, les noirs s’intègrent à merveille au tableau et de nombreux détails des images réapparaissent avec clarté. Idéal.
Son
Jusque-là le film était toujours resté fermement accroché à sa stéréo d’origine. Le disque UHD trahit un peu cette fidélité avec un tout nouveau DTS HD Master Audio 5.1 disposant quelques ambiances plus enveloppantes et quelques effets à la spatialité plus développée, mais dans l’essentiel le film reste encore axé sur les avants, avec un bel équilibré et une clarté sonore évidente, bien à même de faire profiter des nombreux bruitages si marquants.
Interactivité
Dans le même format bien entendu que La Cité des enfants perdus, Delicatessen se présente donc comme un petit Mediabook (le livret regroupant photo et document d’époque est plutôt fin) avec fourreau cartonné. A l’intérieur on y trouve les disques Bluray et UHD qui reprennent heureusement tous les bonus connus la précédente édition de 2010 (et pour la plupart déjà sur le premier DVD collector). Un programme très complet avec le making of d’époque, les essais des acteurs, l’excellent documentaire rétrospectif Morceaux de résistance, incluant presque toute l’équipe et le commentaire audio de Jeunet. On n’échappe pas aux redites, comme avec le tout nouvel entretien réunissant les deux auteurs du film (oui même Caro), qui évoquent naturellement les grandes difficultés rencontrées par le film, le choix des acteurs, le travail sur l’esthétique et les références, et les réceptions diverses et variées en France et à travers le monde.
Seul petit bémol ici, l’absence du moyen métrage Le Bunker de la dernière rafale, autrefois présent dans le gros coffret DVD, et que l’on n’imagine pas Studiocanal désormais ressortir dans une édition à part.
Liste des bonus
Un livret (32 pages), Commentaire audio de Jean-Pierre Jeunet (mai 2001), « Charcuterie fine » : making of de Diane Bertrand (1991, 13’), « Morceaux de résistance » : documentaire rétrospectif sur le film (2010, HD, 65’), Les archives de Jean-Pierre Jeunet : essais des acteurs (8’43”), Entretien avec Jeunet & Caro (inédit 2023, 25’), Bandes-annonces.