DARIO ARGENTO : COFFRET 6 FILMS
L’Uccello dalle piume di cristallo, Il Gatto a nove code, Profondo Rosso, Tenebre, Phenomena, Opera – Italie, France, Allemagne – 1970 / 1987
Support : Bluray
Genre : Horreur
Réalisateur : Dario Argento
Acteurs : Tony Musante, Jennifer Connelly, Donald Pleasance, Daria Nicolodi, Anthony Franciosa, Karl Malden, James Franciscus, David Hemmings, Cristina Marsillach
Musique : Ennio Morricone, Goblin, Brian Eno, Claudio Simonetti, Bill Wyman
Image : 2.35 16/9
Son : Français & Italien DTS-HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Français
Durée : 667 minutes
Éditeur : Les Films du Camélia
Date de sortie : 6 décembre 2022
LE PITCH
Maestro du macabre, Dario Argento confronte héros et héroïnes à des tueurs sadiques dont l’identité est toujours un mystère, et au travers de six histoires illustrant deux périodes bien distinctes de son œuvre, …
6 films pour l’assassin
En collaboration avec la Fnac et sous la supervision bienveillante des critiques et historiens du cinéma Olivier Père et Jean-Baptiste Thoret, Les Films du Camélia offre aux fans de Dario Argento le cadeau qu’ils n’espéraient plus : un luxueux coffret regroupant six chefs d’œuvres du maestro dans des copies restaurées avec soin. La redoutable cohérence des suppléments, entre analyse pointue et nostalgie bienvenue, permet, en outre, de pardonner l’absence de la présente sélection de l’emblématique Suspiria, pourtant très attendu. Autopsie de la bête.
En dépit des légions d’admirateurs et d’un cinéma propice à de multiples visionnages, la France n’a pas toujours à la hauteur des films de Dario Argento. Du moins, en termes d’édition vidéo. Avec l’arrivée du DVD et ses promesses cinéphiles, TF1 Video est le premier à dégainer en éditant entre 2000 et 2001 et dans des éditions très correctes (tant en termes d’image que de packaging, avec la réutilisation des affiches d’origine, chose rare) Suspiria, L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat a neuf queues, Ténèbres et Phenomena. De l’autre côté de l’Atlantique, en revanche, c’est Noël tous les jours grâce à Anchor Bay. L’éditeur mythique, aujourd’hui disparu, multiplie les collectors qui font saliver avec, en point d’orgue, une édition 3 DVD estampillée THX et DTS-ES consacrée à Suspiria et sortie en novembre 2001. Une tuerie cosmique que Wild Side viendra doucement chatouiller dès 2006 avec l’édition la plus complète à ce jour consacrée à Profondo Rosso et en 2007 avec une nouvelle copie de Suspiria exploitée à Cannes Classics et sortie dans un très beau digipack en rouge et noir avec le cd de la bande originale de Goblin. Du très beau boulot malgré une polémique sur la colorimétrie de Suspiria (il est vrai, assez révisionniste) et qui incite le pionnier des éditeurs indépendants d’alors à poursuivre son travail d’archiviste en libérant Inferno, Phenomena, L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat a neuf queues, Quatre mouches de velours gris et Ténèbres. Mais les packagings sont loin d’être renversants et certaines copies trop granuleuses ou carrément ternes. Les bonus, eux, font illusion mais avec le passage au blu-ray, Wild Side se contente d’upscaling basiques sur des galettes qui se révéleront toutes défectueuses, la faute à un pressage douteux. Aux USA et au Royaume-Uni, Blue Underground et Arrow reprennent la couronne d’Anchor Bay et rendent une fois encore le marché de l’import mille fois plus attractif. Et alors que Wild Side se recroqueville sur ses disques vérolés, il faut attendre que Le Chat Qui Fume s’y colle en 2017 avec un double blu-ray (épuisé depuis) de compétition pour le mal-aimé Opera. Les ventes prouvent que la demande existe mais, là encore, le marché est à la traîne. ESC s’engouffre timidement dans la brèche avec la parution très satisfaisante d’Inferno en mediabook et avec un master de qualité (nombreux, les suppléments sont un chouia moins convaincant) et la rumeur de sorties futures … qui ne viendront jamais, à l’exception de Deux yeux maléfiques, film à sketches coréalisé avec George Romero. À l’été 2022, la toute jeune structure des Films du Camélia organise une rétrospective en deux parties entre juin et juillet mais sans annonce de sorties sur support physique, à contrario, par exemple, des habitudes de Carlotta ou de The Jokers. Les argentophiles, dans le même temps, continue de casser leur tirelire pour les magnifiques coffrets en 4K Ultra-HD de chez Arrow Video qui mettent tout le monde d’accord. Belle surprise donc que ce coffret arrivé juste à temps (et quasiment sans prévenir) sous nos sapins, accompagné du superbe collector d’Extralucid Films venu réhabiliter l’oublié Trauma. Le compte n’y est pas encore mais il est enfin permis de se constituer une collection décente sans aller farfouiller aux quatre coins du globe. Une question se pose désormais : comment aborder, via ce fameux coffret, l’œuvre de Dario Argento en l’absence de Suspiria (pourtant projeté en salles lors de la fameuse rétrospective) ?
Docteur Dario & Mister Argento
Construite autour de détours, d’impromptus, d’envies soudaines (le très rare Cinq jours à Milan), de projets avortés puis repris deux décennies plus tard et de tentatives d’exil (la parenthèse américaine de Trauma), la filmographie de Dario Argento ressemble davantage à un labyrinthe ou à un morceau de free jazz qu’à une ligne droite. Néanmoins, nul ne peut nier le rôle de pivot joué par Suspiria. En s’abandonnant au fantastique le plus baroque qui soit, le maître du giallo effectuait alors sa mue en superstar de l’horreur et poussait le formalisme vers des sommets inattendus. Il y a donc bien eu un avant et un après Suspiria. L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat a neuf queues et Profondo Rosso agissent comme des marqueurs de cet avant qui correspond aux années 70. De critique et scénariste dans les années 60, Dario devient cinéaste visionnaire, l’héritier de Mario Bava et de Michelangelo Antonioni et le nouveau fer de lance de toute une industrie populaire. L’Oiseau au plumage de cristal surprend par sa modernité éclatante. Le Chat a neuf queues, tout en conservant certaines caractéristiques de son prédécesseur, démontre l’aptitude du cinéaste à faire preuve de tendresse (le duo touchant formé par l’aveugle et sa très jeune nièce), d’ouverture d’esprit (le naturel et la franchise de la scène du bar gay) mais aussi d’une cruauté teintée de tragique (quand la notion de déterminisme pousse un homme brillant à l’homicide). Quant à Profondo Rosso, sa virtuosité enfonce le clou quitte à piétiner la logique de l’enquête (ou même la logique tout court) avec une insolence tutoyant le sublime ; sans oublier l’arrivée de Daria Nicolodi dans la vie de Dario et qui va profondément bouleverser la suite de sa carrière.
Sept ans plus tard, en 1982, Argento n’est plus tout à fait le même. Le succès de Suspiria et de Zombie (qu’il a produit et qu’il a remonté à son goût pour la distribution à l’internationale), la drogue et ses déboires avec la Fox autour d’Inferno l’ont poussé dans ses ultimes retranchements. Ténèbres annonce donc la décennie à venir par une espèce de retour aux sources (le giallo), une agressivité qui flirte avec la misanthropie et une croyance décuplée dans la puissance du langage et de la magie du cinéma. Sans le génie et la folie d’Argento, Ténèbres serait ridicule. Ses idées de mise en scène suffisent à transformer ce giallo nihiliste en démonstration de force et en tableau macabre et dément. Phenomena et Opera pousseront les curseurs de la poésie, de l’expérimentation et de la méchanceté encore plus loin, toujours plus loin, sans jamais avoir peur du ridicule ou du saugrenu, comme ces explosions de hard rock qui traversent la bande originale en dépit du bon sens et du bon goût, comme ce chimpanzé préparant sa vengeance un rasoir à la main, comme ces vues subjectives d’insectes ou de corbeau, comme cet assassin pervers qui simule sa mort et trompe la police à l’aide d’un mannequin (!) ou encore ces plans montrant un cerveau en pleine convulsion. Argento ose presque tout et sa communion avec la caméra et sa foi totale dans son art lui permettent de s’en tirer à tous les coups (ou presque). Accusés – et pas forcément à tort – de verser dans un grand n’importe quoi, ces deux derniers films n’en demeurent pas moins les deux derniers véritables chefs d’œuvres du maestro et les excroissances brillantes d’un cinéma populaire italien vivant ici ses dernières heures.
Là est la beauté de ce coffret : réconcilier Dario, le jazzman des années 70, et Argento, le kamikaze des 80’s, dans un grand écart audacieux mais finalement payant.
Image
Les six copies sont toutes issues d’une importante session de restauration menée par la cinémathèque de Bologne à partir des négatifs originaux (et qui a d’ailleurs servi aux superbes UHD d’Arrow Video au Royaume-Uni). Le résultat est à chaque fois miraculeux avec un soin tout particulier apporté au grain argentique, aux couleurs et à la définition. Si la comparaison avec les masters jadis exploités par Wild Side tourne sans appel à l’avantage de ce nouveau coffret (la différence est même proprement ahurissante dans le cas de L’Oiseau au plumage de cristal et de Phenomena avec une colorimétrie enfin retrouvée), il faudrait être un puriste pour parvenir à départager les éditions d’Opera, quand bien même le piqué nous apparaîtrait ici un peu plus clinique que chez Le Chat qui fume. Si on peut regretter l’absence d’Ultra-HD (puisqu’il s’agit de masters 4K et parce que l’on aime bien râler), ces galettes représentent le nec plus ultra en matière de restauration et un achat tout à fait obligatoire.
Son
Les deux premiers films (les plus anciens) laissent filtrer un souffle discret mais tout à fait perceptible si l’on pousse le volume pour profiter des compositions expérimentales et hypnotiques d’Ennio Morricone. La situation s’améliore nettement sur les titres suivants avec des basses rondes et envoûtantes pour Phenomena et Opera. On retrouve dans tous les cas une expérience comparable à celle d’époque, l’authenticité étant le maître mot de ces mixages stéréo très équilibrés. Du caviar.
Interactivité
Souhaitant proposer une interactivité tout à fait singulière et spécialement conçue pour ce coffret, Les Films du Camélia a donc délibérément choisi de laisser de côté tous les suppléments connus à ce jour au profit d’entretiens inédits. Chaque film est présenté brièvement par le maestro en personne, lequel dégage pour chaque œuvre une thématique bien spécifique, qu’il s’agisse du tournage pour L’Oiseau au plumage de cristal ou de sa relation désastreuse avec l’actrice principale pour Opera. Suivent ensuite deux entretiens avec différents intervenants, analyses et mises en contexte de l’oeuvre se confrontant à une approche plus nostalgique et purement cinéphile. D’où la participation de critiques (Jean-Baptiste Thoret, Virginie Apiou), de journalistes (Nicolas Saada) ou même de critiques devenus cinéastes par la suite (Bertrand Bonello, Nicolas Boukhrief). Les propos sont toujours intéressants et donnent en réalité l’impression d’assister à une master-class. Proposé dans les suppléments de Phenomena, le documentaire de Jean-Baptiste Thoret, Souvenirs dans un corridor lointain, auparavant disponible à l’unité en DVD, est un apport non négligeable puisqu’il laisse longuement la parole au cinéaste. Aussi poétique et émouvante soit-elle, la seconde partie de ce long-métrage réalisé par un fan et pour les fans, enterre néanmoins un peu trop vite un réalisateur dont on ne saurait faire le deuil si tôt, même si sa grande époque est bel et bien derrière lui. Un passionnant livret rédigé par Olivier Père complète ce coffret au packaging d’une très grande classe.
Liste des bonus
L’Oiseau au plumage de cristal : Présentation de Dario Argento / Entretien avec Gaspar Noé (9 minutes) / Entretien avec Yann Gonzalez (24 minutes) / Le Chat a neuf queues : Présentation de Dario Argento / Entretien avec Virginie Apiou (25 minutes) / Entretien avec Nicolas Saada (24 minutes) / Profondo Rosso : Présentation de Dario Argento / Entretien avec Nicolas Boukhrief (28 minutes) / Entretien avec Macha Méril (17 minutes) / Ténèbres : Présentation de Dario Argento / Entretien avec Virginie Apiou (17 minutes) / Entretien avec Bertrand Bonello (15 minutes) / Phenomena : Présentation de Dario Argento / Entretien avec Jean-Baptiste Thoret (27 minutes) / « Soupirs dans un corridor lointain » (2019, 97 minutes) / Opera : Présentation de Dario Argento / Entretien avec Lucile Hadzihalilovic (11 minutes) / Entretien avec Jean-Baptiste Thoret (26 minutes)