CRUISING
Etats-Unis, Allemagne – 1980
Support : Bluray & DVD
Genre : Thriller
Réalisateur : William Friedkin
Acteurs : Al Pacino, Paul Sorvino, Karen Allen, Richard Cox, Don Scardino, Joe Spinell…
Musique : Jack Nitzsche
Durée : 102 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 5.1
Sous-titres : Français
Editeur : ESC Editions
Date de sortie : 19 janvier 2022
LE PITCH
New York, un tueur fou aligne avec sadisme les cadavres les uns après les autres. L’affaire est d’autant plus inquiétante que les victimes font partie du même milieu : celui des homosexuels sado masochistes. Une communauté très fermée que Steve Burns, l’officier de Police chargé de l’enquête devra infiltrer pour mieux débusquer la bête…
Chasse à l’homme
Hanté pendant toute sa gestation par une polémique injuste autour de la représentation de la communauté homosexuelle et assassiné toute bonnement par une critique frigide, Cruising est un film incompris, maudit même, puisqu’il disparut quasiment des écrans pendant 20 ans. Cela reste pourtant l’un des meilleurs films de Friedkin et l’un des meilleurs rôles de Pacino, qu’il le veuille ou pas.
Pacino a en effet un rapport plus que tendu avec Cruising, projet dont il réclama pourtant le rôle principal mais dont il a toujours aujourd’hui beaucoup de mal à assumer l’image. Celui d’un film conspué par plusieurs groupes d’activistes homosexuels qui multipliaient les manifestations autour du tournage et s’efforçaient d’en saboter l’avancée. Celui aussi d’une œuvre particulièrement ambiguë et qui entraine son policier infiltré dans un monde en marge dont il ne peut ressortir indemne. Malgré les nombreuses critiques de l’époque, Cruising ne porte cependant aucun jugement ni sur la population gay en général, ni sur le microcosme qu’il illustre, celui des adeptes des soirées cuirs et SM, mais l’aborde le plus frontalement possible. Comme à son habitude Friedkin s’est largement documenté, autant sur l’affaire criminelle que le milieu dans laquelle elle a eu lieu, et à même poussé sa logique jusqu’à tourner dans les ruelles ardemment fréquentées la nuit et dans de véritables boites spécialisées aux côtés d’authentiques habitués. Les vaillants moustachus se trimbalant les fesses à l’airs ou gainés dans un cuir brillant, se frottant les uns aux autres et se matant avec des airs lubriques, sont de véritables pratiquants, et Al Pacino ère au milieu d’eux, le regard toujours un peu perdu, un air peu assuré… pour ne pas dire troublé.
Extrême
Surtout que Friedkin fait savamment monter la pression se montrant de plus en plus explicite dans ses plans (jusqu’au fameux fist-fucking partiellement hors champs mais manifestement pas simulé), en même temps que l’atmosphère du film se fait de plus en plus étouffante, suffocante, perturbante. Usant avec génie de sa mise en scène, de son montage (les fameux plans subliminaux, les collages perturbants…) et d’une bande sonore elles aussi parasitée par des pulsions sous-jacentes, des sous-entendus esquissés, rend l’enquête de Steve Burns plus intime qu’elle ne devrait l’être. Presque une quête identitaire. La petite poignée de séquences le montrant à intervalles régulières avec sa petite amie (Karen Allen future héroïne des Aventuriers de l’arche perdu) et soulignant leur progressif éloignement, viennent accentuer encore et toujours cette confusion. Celle d’un homme sans doute perdu dans sa propre sexualité, ou en tout cas suffisamment marqué pour perdre son assurance, que Friedkin va pousser dans ses derniers retranchements, et insidieusement, rapprocher de plus en plus de la figure du tueur. Malgré l’imagerie brutale et la réalisation tranchante du film, le cinéaste déploie une subtilité insolente dans son détournement d’un pitch de polar sur font de psycho-killer, et transforme son film en virée dans les tréfonds d’un monde obscur où le mal, toujours insaisissable, peut venir de n’importe qui. Un jeune homme traumatisé par le rejet de son père (le coupable idéal), d’un partenaire de soirée un peu trop violent, de flics homophobes obligeant les travelos à soulager leurs tensions… ou du héros du film, figé dans un ultime plan face caméra qui questionne autant sa propre place dans ce tableau scabreux que renvoie le spectateur à ses propres certitudes. Ces dernières que Friedkin aiment tellement mettre à mal.
Image
Pas toujours facile à suivre le William en vidéo. Habitué des remontages et autres petites modifications à l’occasion, il avait profité de la première restauration de la Warner pour proposer en DVD une version plus bleutée du film avec quelques effets visuels ajoutés (en particulier sur la scène de danse opiacée de Pacino) pour accentuer l’effet déstabilisant. Quelques années plus tard, voici une nouvelle restauration, à partir d’un scan 4K cette fois-ci, et toujours supervisée par le réalisateur en personne. Il reprend ici sa copie, retourne vers une photographie plus crue et proche de l’original, même si les teintes semblent bien plus chaudes qu’à l’origine (rouges, verts et jaunes surtout). Disparition des petit effets modernistes, cependant une utilisation très poussée de logiciel de dégrainage est particulièrement visible dans toute la dernière partie du film. En résulte une image trop clean, trop lisse, avec quelques matières plaquées qui tranchent considérablement avec le grain organique, voir granuleux dans les séquences sombres, du reste du film. Pas sûr du coup qu’un passage à l’UHD soit pertinent. Reste que la copie en présence assure une propreté considérable, une définition et un relief impressionnant, frappant même dans la profondeur déployée dans les plans larges et urbains.
Son
Nouveau standard aussi pour la piste sonore du film avec un DTS HD Master Audio 5.1 qui délivre une amplitude accrue dans les séquences se déroulant dans les différents clubs, mais aussi avec des inserts sonores presque subliminaux (déjà présent à l’origine) redéployés sur les différentes enceintes. Sans brusquer l’équilibre du film, le mix accentue les atmosphères, leur donne un coffre supplémentaire et assure une clarté totale dans la restitution des dialogues.
Interactivité
ESC propose une excellente édition de Cruising et réussit même à dépasser celle des voisins d’Arrow Video. On y retrouve la même base avec un passionnant commentaire de William Friedkin (non sous-titré malheureusement) et les deux segments SD déjà présents sur le précédent DVD, L’Histoire de « Cruising – La Chasse » et Exorciser « Cruising – La Chasse », versants d’un même documentaire rétrospectif très intéressant qui revient sur la création du film (écriture, tournage, thématiques, effets utilisés…) et la controverse qui l’entoura et transforma le tournage en épreuve de force. Pacino est bien entendu absent (il a toujours refusé de participer à la promotion du film), mais tous les sujets sont abordés avec une grande franchise et beaucoup de profondeur.
A cela l’éditeur français ajoute les interventions éclairées de Philippe Rouyer (Positif) et de Didier Roth-Bettoni (spécialiste de la question LGBTQI) qui font justement écho à la construction en deux parties du making of « officiel ». Et pour les archivistes / complétistes, ESC a eu aussi la très bonne idée de glisser le premier montage du film diffusé en France. Le master est en SD bien entendu, mais permet de revoir les changements opérés sur la photographie du film, l’arrivée du titre et les petits plans disparates qui ont été replacés ou déplacés depuis.
Liste des bonus
Un livret rédigé par Marc Toullec (32 pages), commentaire audio de William Friedkin (VO), Le film dans sa version d’origine (SD), Entretien avec Philippe Rouyer (35’), Entretien avec l’historien du cinéma Didier Roth-Bettoni (18’), L’Histoire de « Cruising – La Chasse » (21’), Exorciser « Cruising – La Chasse » (22’), Bande-annonce.