CONANN ET LES DÉVIANTES

Conann, Les Déviantes, L’émission – France – 2023 / 2024
Support : Bluray & DVD
Genre : Fantastique
Réalisateur : Bertrand Mandico
Acteurs : Elina Löwensohn, Christa Théret, Julia Riedler, Claire Duburcq, Sandra Parfait, Agata Buzek, Nathalie Richard, Françoise Brion, Christophe Bier…
Musique : Pierre Desprats
Image : 2.35 16/9
Son : Français Dolby True HD 5.1
Sous-titres : Aucun
Durée : 100, 65 et 83 minutes
Editeur : Potemkine Films
Date de sortie : 6 mai 2025
LE PITCH
Parcourant les abîmes, le chien des enfers Rainer raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort par son propre avenir, à travers les époques, les mythes et les âges. Depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare, jusqu’à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde.
Monde barbare
Cinéaste à la marge, et pour cause, mais finalement déjà plutôt bien installé dans le paysage cinématographique et artistique français, Bertrand Mandico poursuit ses explorations cinéphiliques, expérimentales, décadentes et ouvertement Queer avec une relecture hallucinée et très personnelle du mythe viril du héros barbare Conan. Epique, mais à sa manière.
Après Les Garçon sauvages et After Blue, il doit désormais être clair pour tout le monde que le cinéma de Mandico est tout sauf consensuel. Un maelstrom d’influences allant de Méliès à Cocteau en passant par la culture pop et le ciné le plus Bis, qui insufflent à nouveau toute leur âme à ce troisième long métrage : Conann. Un temps appelé Conan la barbare, l’opus se veut sur les premières lignes comme une relecture intensément féminine du fameux mythe littéraire et cinématographique (John Millius n’est jamais loin), revisitant moins quelques épisodes connus que l’ensemble de la fresque épique. De cette multiplicité d’épisodes, de formes, mais aussi d’incarnations à l’écran, en BD, en peintures, le cinéaste garde l’idée chère à un collègue de Robert E. Howard, Michael Moorcock (Elric, Corum…) d’un champion éternel voué à se réincarner inlassablement pour combattre le mal. Ici Conann nait donc esclave, devient guerrière, amante, générale, tyran et déesse, mais se transforme à chaque évolution. Au lieu d’essayer de gommer les changements d’actrices et donc de visages, Mandico les soulignes, les sublimes, en faisant un rite de passage dans laquelle la nouvelle Conann doit assassiner la précédente. Six actrices, six figures de la barbare, mais aussi presque six sketchs passant de l’heroic fantasy attendue à des visions de plus en plus futuristes et post-apocalyptiques, tel une œuvre gigogne.
La grande bouffe
Un délire narratif, baigné dans un noir et blanc métallisé zébré parfois de flashs colorisés, à l’anti-naturalisme assumé, cultivé, exacerbé, le film penchant dans ses dialogues, son jeu (voir antijeu) d’actrices et son utilisation impressionnante du décor d’une vieille usine désaffectée, vers une gigantesque entreprise théâtrale, une performance filmique, baroque et chaotique. Une sensation largement confirmée par les deux excroissances existantes de Conann et disposées dans un même coffret Bluray par Potemkine. Une bien étrange émission produite pour France TV où on retrouve, entre autres plateaux délirants à la Topor, deux courts métrages tournés en marge du film (Rainer a Vicious Dog in Skull Valley et Nous les Barbares), reprenant les mêmes décors et partiellement les mêmes personnages mais donnant à Christophe Bier (grande plume de la critique bis) le rôle d’une réalisatrice perdue dans les affres de la création, questionnée par ses personnages, ses actrices et son art. La seconde extension est une captation très travaillée (et souvent en split-screen) d’une version théâtrale et musicale de Conann finalement abandonnée pour cause de confinement.
Les segments dialogues entre eux, se répondent, jouent aux effets d’échos, de déformations et de réinterprétations, mais derrières les longues tirades métaphysiques sur l’existence et l’effondrement des civilisations, les postures gothiques et les effusions morbides méchamment gores parfois, se dévoile une œuvre éclatée qui réfléchit sur sa propre nature d’énième illustration d’un mythe primaires, de tropes épuisés et pourtant increvables, et la faculté d’un cinéma à constamment se repaitre de son passée. L’ultime festin cannibale de Conann dans laquelle l’héroïne offre son corps farcis à une troupe de jeunes artistes visuels ou musicaux, sonne comme une apothéose métaphorique, outrageuse et nauséeuse.
Plasticien et créateur total, mais aussi artiste exubérant, adepte de la création patchwork et du passage joyeux à la moulinette, Mandico livre avec les trois programmes (qui a dit trinité ?) de Conann ce qui est à l’heure actuelle son œuvre la plus exubérante et donc la plus faussement accessible. Un cinéma définitivement personnel qui peut tout autant fasciner qu’agacer… ce qui doit le ravir.
Image
Bertrand Mandico reste farouchement attaché à la pellicule, et on le comprend. Le plaisir est de retrouver toute la matière vibrante et organique du support 35mm sur ce format Bluray. Les trois programmes jouissent d’ailleurs d’un même soin avec une image limpide, propre et stable malgré les fréquents changements d’ambiances et de colorimétries, et délivrent justement un soupçon de grain délicat, une profondeur bien dessinée et un piqué toujours précis. Bel ouvrage.
Son
Pour accompagner Conann, en particulier, il fallait tout de même un certain sentiment d’épopée sonore. La proposition Dolby True HD 5.1 fait plutôt bien son office, appuyant plus largement sur les aspects opératiques du film (ambiances indus, performances musicales…) que sur une dynamique plus classiquement spectaculaire. Voix et dialogues sont clairs et énergiques.
Interactivité
Potemkine propose plus qu’une simple édition Bluray de Conann. En l’occurrence une vision plus large du concept imaginé par Mandico autour de son univers barbare avec sur un second Bluray la performance théâtrale Les Déviantes et une émission azimutée diffusée sur France Télévison avec ses courts métrages en formes de prolongements méta.
En ce qui concerne les suppléments proprement dit, on peut profiter d’une rencontre entre le journaliste Philippe Azoury et le cinéaste, qui lui présente son livre de croquis et de collages, ainsi que d’autres œuvres trainants sur le bureau et témoignant du travail de recherche autour de Conann. Le réalisateur se dévoile plus encore via les trois commentaires audios enregistrés pour chaque segment du programme, deux fois accompagné de Pacôme Thiellement, une fois de Élodie Tamayo, explicitant certains choix esthétiques, les conditions de tournage, le rendez-vous manqué sur scène et certaines des nombreuses références qui tapissent l’univers de Conann.
Liste des bonus
Commentaire audio de Bertrand Mandico et Pacôme Thiellement (Conann et L’Émission), Commentaire audio de Bertrand Mandico et Élodie Tamayo (La Déviante Comédie), Identification d’un film(s) – Philippe Azoury chez Bertrand Mandico (21’).