COMPANEROS

Vamos a matar, compañeros – Italie, Espagne, Allemagne – 1970
Support : Bluray
Genre : Western
Réalisateur : Sergio Corbucci
Acteurs : Franco Nero, Tomas Milian, Jack Palance, Fernando Rey, Iris Berben, José Bodalo, Karin Schubert, Edoardo Fajardo…
Musique : Ennio Morricone
Durée : 119 minutes
Image : 2.35 16/9
Son : DTS HD Master Audio 1.0 Italien, Français et Anglais
Sous-titres : Français
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 18 février 2025
LE PITCH
Alors que la révolution mexicaine fait rage, la ville de San Bernardino vient de tomber aux mains du cupide et tyrannique général Mongo. Désireux de mettre le grappin sur un précieux butin détenu dans un coffre-fort ultra-sécurisé, celui-ci va engager un trafiquant d’armes suédois et un rebelle mexicain pour ramener au pays le professeur Xantos, emprisonné aux États-Unis. Cet intellectuel pacifiste, principal opposant à Mongo, est le seul à connaître la combinaison du coffre…
Pensando alla liberta
Alléluia ! Porté par un quatuor d’acteurs au sommet et une BO mémorable d’Ennio Morricone, le second volet de la trilogie Zapata de Sergio Corbucci, Compañeros, sort enfin en France dans sa version intégrale, 55 ans après sa sortie en salles. Vamos a matar, muchachos !
Lorsque Sergio Corbucci s’attelle à la réalisation de Vamos a matar, compañeros en 1970, le réalisateur romain a déjà une longue expérience dans le genre du western puisqu’il en fut l’un des pionniers, avec Massacre au Grand Canyon en 1964, et qu’il s’agit ici de son dixième opus. Toujours resté dans l’ombre de Sergio Leone aux yeux du grand public, Corbucci aura pourtant fortement marqué de son empreinte le western italien et sa filmographie permet de mieux suivre l’évolution du filon. Ainsi, et comme ses collègues, il met d’abord en scène des histoires de vengeurs individualistes (Django, Le grand silence…), avant de s’orienter vers le Western Zapata (avec El mercenario et Compañeros) puis la comédie avec Mais qu’est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? et Le blanc, le jaune et le noir.
Passionné par l’Histoire de la Révolution mexicaine, dont il collectionnait les livres, Corbucci s’immisce dans le Western Zapata (dont l’origine remonte au El chuncho de Damiano Damiani en 1966) en 1968 avec El mercenario. A l’instar de tous les films de ce sous-genre, le scénario voit se développer, sur fond de révolution mexicaine, un duo composé d’un « péon » mexicain et d’un étranger occidental cherchant à s’enrichir dans ce contexte. Peu à peu le cynisme du « Gringo » se verra contrebalancé par la prise de conscience politique du pauvre autochtone… Un point de départ très politisé, comme chez Giulio Petroni et son Tepepa, mais qui peut toutefois donner lieu à des films flirtant avec la comédie comme cet excellent Compañeros.
Retour aux sources
En observant l’immense carrière de Corbucci, entamée en 1951, on s‘aperçoit que la plupart de ses premiers films étaient des comédies mettant notamment en vedette la star napolitaine Totò et que même dans ses réalisations les plus sérieuses, l’humour noir est toujours présent. Le basculement progressif vers la comédie des films de Corbucci à partir de Compañeros n’est donc qu’un retour aux sources.
Dans cette relecture d’El mercenario (voire tout simplement un remake vu le nombre de similitudes entre les deux films tels que le trio de protagonistes, la structure en flashback, la cloche du duel final etc…), déjà particulièrement ironique, Corbucci place ici le curseur plus loin dans la « commedia dell’arte » en s’exonérant d’un scénario trop idéologique (c’est Franco Solinas qui avait écrit le scénario d’El mercenario) et en y plaçant de nombreux gags (dont certains n’étaient pas sur la version courte sortie en France). De plus, en remplaçant Tony Musante par Tomas Milian, flanqué d’un béret à la Che Guevara, dans le rôle du « péon », Corbucci s’adjoint l’aide d’un des plus grands trublions du genre qui à force de bouffonneries éclipse littéralement son partenaire « gringo » de nouveau tenu par un Franco Nero qui s’offre tout de même une séquence d’action assez incroyable, mitrailleuse en main et bandeau sur la tête. Enfin, Jack Palance reprend une nouvelle fois son rôle de sadique à la solde de l’armée mexicaine mais d’une façon, encore une fois, plus « guignolesque » avec sa main en bois, son faucon (clin d’œil à l’impérialisme américain) et ses joints de marijuana !
Un, dos…tres ?
Connaisseur des enjeux de la Révolution mexicaine (série de soulèvements armés, de coups d’État et de conflits militaires entre factions qui se produisent au Mexique entre 1910 et 1920), Corbucci ne se contente toutefois pas d’une simple farce picaresque et n’oublie pas de replacer les enjeux d’alors. Nous retrouvons ainsi des protagonistes comme les étudiants pacifiques soutiens du professeur Xantos, impeccablement interprété par Fernando Rey, l’armée mexicaine et ses exécutions sommaires, les capitalistes américains louvoyant sur le pétrole mexicain, ou les arrivistes menés par le « général » Mongo qui permet à José Bodalo, impressionnant de couardise, de retrouver un personnage similaire à celui qu’il tenait dans Django… Enfin, « années 1968 » oblige, difficile de ne pas voir la corrélation entre toutes ses composantes révolutionnaires et la situation géopolitique d’alors, notamment en Italie où la lutte idéologique prend peu à peu les armes et annonce la période des « années de plomb ».
Divertissement intelligent et drôle, plein de bruit et de fureur, Compañeros est de plus doté d’une BO du Maestro Ennio Morricone à l’image du film : pétaradante, émouvante et cynique. Le savoir-faire de Corbucci et sa science de l’action bien aidée par un montage au cordeau d’Eugenio Alabiso font que l’on ne s’ennuie jamais devant les innombrables rebondissements du récit. Si on ajoute à cela des paysages somptueux magnifiés par la photographie d’Alejandro Ulloa, les exquises Iris Berben et Karin Schubert ou encore un rythme survitaminé, on tient là une œuvre impressionnante, clairement l’un des westerns italiens les plus mémorables qui soient.
Il ne reste plus qu’à espérer qu’après la sortie d’El mercenario en 2023 chez Sidonis, puis celle de Compañeros en 2025 chez Carlotta (après une sortie avortée chez Elephant Films), nos chers éditeurs tentent la sortie de l’ultime volet de la trilogie révolutionnaire de Sergio Corbucci. Encore très méconnu dans nos contrées, Mais qu’est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? est également un formidable film populaire, une véritable comédie à l’italienne cette fois-ci où le duo de monstres sacrés Vittorio Gassman et Paolo Villagio fait merveille.
Image
Visiblement restauré, le Master HD présenté ici une copie particulièrement propre et faisant la part belle aux contrastes et aux couleurs chaudes. Le grain argentique est préservé tout en restant discret et la définition est satisfaisante.
Son
Trois pistes DTS HD Master Audio 1.0 sont présents avec les versions italiennes, françaises et anglaises. Elles sont toutes trois de qualité, avec des dialogues clairs, une BO parfaitement intégrée et peu de souffle.
Le seul « souci » est que la VF est incomplète…ce qui est logique puisque les morceaux manquants n’ont pas été doublés. Toutefois, même s’il peut y avoir un intérêt pour les amateurs de voir cette version tronquée, il est dommage de ne pas avoir proposé une version intégrale couplant VF et VOST…
Interactivité
Alors que la sortie du film chez Éléphant Films avait été annulée, décevant de nombreux fans, Carlotta nous fait un beau cadeau en sortant ce film culte dans une édition double Bluray, dont un consacré aux seuls bonus, plus de deux heures. Une édition indispensable donc !
Parmi ces bonus vidéo, le plus important est le documentaire réalisé par Luca Rea et Steve Della Casa : Django et Django : Sergio Corbucci unchained. Sorti en 2021, le film revient surtout sur la carrière western du réalisateur du mythique Django, avec moult images d’archives et de tournage. Même si Ruggero Deodato, qui collabora sur 13 films de Corbucci, et Franco Nero interviennent, c’est surtout et avant tout Quentin Tarantino qui monopolise la parole ! Passionné, voire obsédé, par le travail du « deuxième plus grand réalisateur de western italien » (dans son ouvrage 10 000 façons de mourir le cinéaste Alex Cox fait de Corbucci le premier), l’auteur de Django Unchained nous donne ses différentes interprétations de la carrière de Corbucci, notamment l’importance du fascisme sous lequel vécut durant son enfance le romain. Nous avons aussi le droit à un prolongement de son film Once upon a time in Hollywood avec une featurette retraçant la « rencontre » entre Ricky Dalton (sorte de pendant de Burt Reynolds) et Corbucci. Même si les amateurs n’apprendront peut-être pas grand-chose, ce documentaire est plaisant à regarder (à moins d’être allergique à Tarantino !) et a le mérite de remettre dans la lumière un cinéaste beaucoup trop sous-estimé. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous ne pouvons que vous conseiller la lecture du livre de Vincent Jourdan, Voyage dans le cinéma de Corbucci sorti chez LettMotif en 2018.
Les autres bonus sont des interviews des collaborateurs de Corbucci sur Compañeros ; Tomas Milian revient sur ses débuts dans le genre western, il avait débuté dans le cinéma d’auteur, sur son amour pour Corbucci et sur cette fameuse scène de pendaison présente dans le film où il se moqua ouvertement de Nero et ses yeux bleus, alors qu’il n’en était rien dans le scénario. Il évoque également Jack Palance qui fumait véritablement de la marijuana sur le tournage !
Franco Nero revient sur la légende qui fait de Corbucci un cinéaste « paresseux, toujours en retard » et évoque sa relation compliquée avec Milian : « Je lui donnais des complexes ! ». Il botte toutefois en touche sur les motifs de sa rupture avec Corbucci. (Après Compañeros où Milian lui piqua la vedette, il ne tournera plus jamais pour Corbucci…). Nori Corbucci nous rappelle à quel point elle vécut « une vie passionnante » avec son mari, « on ne s’ennuyait jamais ». Trop amoureuse de lui, elle ne le lâchait jamais et fut donc bruiteuse puis costumière sur ses films. Elle évoque aussi une altercation entre Milian et Corbucci, qui s’appréciaient beaucoup, suite à un tir à blanc de l’acteur trop près d’un cascadeur : ils ont failli en venir aux mains. En fait, le cinéaste était aveugle d’un œil justement à cause d’un accident similaire…
Enfin, le critique Jean-Baptiste Thoret revient sur la genèse du genre Western Zapata : années 1960, interventionnisme américain en Amérique latine, guerre du Viêt-Nam…Il explique également que ce genre ne pouvait finalement que naître en Italie car l’unification tardive du pays, le conflit Nord/Sud et l’instabilité politique étaient un terreau particulièrement fertile. Un entretien passionnant comme toujours !
Liste des bonus
« Le gringo et le péon » (Entretien avec Jean-Baptiste Thoret, 24’) ; « Hasta la Revolución siempre ! » (Entretien avec Tomas Milian, 17’) ; « Bienvenue Pingouin » (Entretien avec Franco Nero, 7’) ; « Sergio, mon amour » (Entretien avec Nori Corbucci, 17’); « Django et Django : Sergio Corbucci unchained » (77’), Bandes-annonces.