COLÈRE NOIRE & MISTER SCARFACE
La città sconvolta : caccia spietata ai rapitori / I padroni della città – Italie – 1975, 1976
Support : Blu-ray & DVD
Genre : Policier
Réalisateur : Fernando Di Leo
Acteurs : Luc Merenda, James Mason, Irina Maleeva, Vittorio Caprioli, Jack Palance, Al Cliver, Harry Baer, Gisela Hahn, …
Musique : Luis Bacalov
Durée : 98 et 95 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Italien, Anglais & Français 2.0 Mono DTS-HD / Italien & Anglais 2.0 Mono DTS-HD
Sous-titres : Français
Éditeur : Éléphant Films
Date de sortie : 22 août 2023
LE PITCH
Le fils d’un riche promoteur et celui d’un petit mécanicien de banlieue sont enlevés en même temps / Deux truands s’associent pour faire tomber un gros bonnet de la pègre …
La rançon
Fernando Di Leo, face A et face B. À l’occasion de sa nouvelle collection « Les Années de Plomb » consacrée au poliziottesco transalpin des années 70, Elephant Films croise de nouveau la route du réalisateur de Milan Calibre 9 pour un double-programme passionnant. À notre gauche, Colère Noire, sombre histoire de kidnapping d’enfants sur fond de lutte des classes et de justice expéditive. À notre droite, Mister Scarface, rip-off bondissant et malin de L’Arnaque de George Roy Hill dans les rues de Rome. Pied au plancher !
Sortie en Italie à la fin du mois d’août 1975, La citta sconvolta : caccia spietata ai rapitori (littéralement : la ville bouleversée, chasse impitoyable aux ravisseurs ! Tout un programme!) marque les retrouvailles entre le réalisateur Fernando Di Leo et l’acteur français Luc Merenda moins d’un an après Il poliziotto e’ marcio, alias Salut les pourris !, polar désespéré et amoral sur la descente aux enfers d’un flic corrompu. Celui qui fut aussi Hubert Bonisseur de La Bath alias OSS 117 dans OSS 117 prend des vacances de Pierre Kalfon interprète ici Mario Colella, un simple mécanicien moto, ancien champion et veuf, qui élève seul son fils de 11 ans. Lequel se retrouve kidnappé en même temps que son meilleur ami, fils d’un magnat de l’immobilier ultra-riche (James Mason, en toute petite forme). En cherchant à négocier le montant de la rançon envers et contre tous, le richard provoque la mort du fils de Colella, exécuté pour l’exemple par des ravisseurs impatients. S’en suivra la vengeance impitoyable du père outragé.
S’inspirant des enlèvements que pratiquent les Brigades Rouges depuis 1972 et qui défraient la chronique (mais aussi du film de 1956, La Rançon avec Glenn Ford), le scénario de Colère Noire ne fait pas dans la dentelle lorsqu’il s’agit de dénoncer l’inégalité entre riches et pauvres, les seconds servant invariablement de variable d’ajustement aux profits des premiers. Pour souligner au marqueur cette vision on ne peut plus binaire de la société italienne de l’époque, le film se divise clairement en deux parties, la première centrée sur l’enlèvement et la longue attente de la libération des enfants et la seconde sur les conséquences et la vengeance musclée de Colella. Pas forcément aidé par le jeu monolithique de Merenda (bien plus crédible en héros musclé et inflexible qu’en père blessé), Colère Noire peut tout de même compter sur le savoir-faire imparable de Di Leo, maître de l’action et de la mise en scène n’ayant jamais peur d’étaler sa misanthropie au grand jour avant de conclure son histoire par une série d’exécutions bien vénères, à faire passer le climax de L’Inspecteur Harry (auquel il rend un « hommage » évident) pour un épisode des Bisounours.
Le pot de terre contre le pot de fer
De lutte des classes, il en est aussi question (en quelque sorte) dans Mister Scarface que Di Leo réalise l’année suivante et qui se présente comme une réponse à l’échec de Gli Amici di Nick Hezard, première tentative d’imitation de L’Arnaque de George Roy Hill, avec Luc Merenda et Lee J. Cobb en tête d’affiche. Malheureusement plombé par de gros problèmes de production qui provoquent autant de frustration chez le cinéaste que chez le public qui accueille assez tièdement cette histoire de coup monté visant à faire tomber un salopard plein aux as, Gli Amici di Nick Hezard est en quelque sorte le brouillon de Mister Scarface, solide série B quant à elle impeccablement écrite, interprétée et réalisée par un cinéaste (re)gonflée à bloc.
Dans Mister Scarface, c’est bien l’union qui fait la force contre le gangster impitoyable campé par l’inquiétant Jack Palance. Chacun avec ses propres motivations, le bondissant Tony (l’allemand Harry Baer, complice habituel de Reiner Werner Fassbinder), le taciturne Ric (Al Cliver, pas encore « Fulcisé ») et le vieux de la vielle Vincenzo (génial Vittorio Caprioli, déjà impeccable en inspecteur pittoresque dans Colère Noire) font donc cause commune pour dépouiller et miner de l’intérieur le réseau criminel de Manzari, parrain balafré ayant assassiné de sang froid le paternel de Ric sous ses yeux quelques années plus tôt. À l’appât du gain se mêle donc une fois encore une histoire de vengeance, un moteur dramatique on ne peut plus classique mais qui a fait ses preuves et continuera encore longtemps de les faire.
Toutefois, en dépit d’une scène d’ouverture trompeuse en forme de cauchemar éveillé, le ton reste dans l’ensemble assez léger. Quelque part entre le William Friedkin de The Night they raided Minsky’s et du futur Têtes vides cherchent coffres pleins et le Michael Cimino du Canardeur, Fernando Di Leo prend un pied évident à mettre son sens de l’image d’une précision estomaquante au service d’un trio de pieds nickelés qui en font voir de toutes les couleurs à un méchant de bande-dessinée. Se concluant par une fusillade virtuose (le sens du cadre, la gestion de l’espace, on en prend plein les mirettes) dans des abattoirs laissés à l’abandon, Mister Scarface illustre avec une belle énergie la victoire toujours aussi jouissive des moins-que-rien contre les puissants qui se croient à l’abri de tout.
Plus réussi, plus divertissant et (en apparence) moins abrasif que Colère Noire, Mister Scarface est un rappel salutaire que le réalisateur du Boss ou de Passeport pour deux tueurs ne saurait en être réduit à sa Trilogie du Milieu ou à son chef d’œuvre maudit, Avoir Vingt Ans. Certes très différents l’un de l’autre, les deux films proposés aujourd’hui dressent le portrait d’un franc-tireur de génie, dont le cinéma, hargneux et rentre dans le lard, ne cesse de nous manquer, jour après jour.
Image
Avec de nombreux points blancs et autres artefacts de pellicule traversant un master pour le moins coloré et superbement défini et contrasté, Colère Noire exhibe un rendu « grindhouse » d’une authenticité troublante. Les perfectionnistes resteront perplexes tandis que les nostalgiques retrouveront là des sensations garanties d’époque. La copie de Mister Scarface est autrement plus conforme aux standards actuels avec une restauration soignée tout de même perturbée par un léger bruit vidéo dans les scènes les plus sombres et à quelques abus de réducteur de bruit. Quoi qu’il en soit, ces éditions n’ont pas à rougir de la comparaison avec les excellents coffrets imports Fernando Di Leo Crime Collection 1 & 2 de chez Raro Video.
Son
Pas de piste française pour Mister Scarface, à contrario de Colère Noire. Pas de regrets à avoir, seules les pistes italiennes font preuve d’une vraie dynamique et d’une propreté satisfaisante. La post-synchro pas vraiment convaincante et la platitude absolue des pistes anglaises constituent un argument supplémentaire pour se tourner vers l’italien.
Interactivité
Outre un livret commun rédigé par Alain Petit (auteur, entres autres, de « 20 ans de westerns européens » chez Artus), chaque film se fend d’une introduction très analytique et informative du duo Gérarld Duchaussoy / Romain Vandestichele qui insistent davantage sur la personnalité et la technique de Fernando Di Leo que sur ses thématiques, bottant en touche l’image d’un cinéaste politisé au profit de celle d’un artisan génial mais incompris. Colère Noire propose un petit plus avec l’extrait d’un documentaire italien sur la trilogie de films tournés avec le français Luc Merenda en tête d’affiche. Ce dernier s’exprime longuement, dans un italien parfait et avec humilité. Mais ce sont bien les quelques minutes d’interventions de Di Leo en personne qui font tout l’intérêt de ce document avec un cinéaste au franc-parler incendiaire.
Liste des bonus
Livrets, Présentations de Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (25 minutes) / Fernando Di Leo : L’autre « trilogie » (Colère Noire uniquement) / Bandes annonces des films et de la collection.