CHEVAUCHÉE AVEC LE DIABLE
Ride With The Devil – États-Unis – 1999
Support : Blu-ray & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : Ang Lee
Acteurs : Tobey Maguire, Skeet Ulrich, Jeffrey Wright, Jewel, Simon Baker, Jonathan Rhys-Meyer, Tom Wilkinson, Jim Caviezel, Jonathan Brandis, …
Musique : Mychael Danna
Durée : 138 minutes
Image : 2.35:1, 16/9
Son : Français DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 , Anglais DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Editeur : Éléphant Films
Date de sortie : 13 juin 2023
LE PITCH
Pendant la guerre de sécession, Jack Roedel et son ami d’enfance Jack Bull Chiles rejoignent une milice pro-sudiste appelée les « Buschwhackers ». S’engageant dans une guérilla sans merci le long des chemins de traverse, les deux hommes deviennent rapidement des combattants aguerris. Mais l’hiver arrivant les Buschwhackers doivent se disperser pour affronter le froid…
Autant en emporte le vent
Honoré d’une simple sortie technique aux Etats-Unis et en France (après un passage, là aussi discret, au festival de Deauville), Chevauchée avec le diable, fresque intimiste sur la Guerre de Sécession, revient aujourd’hui par la petite porte grâce à l’éditeur Elephant Films via un blu-ray perfectible mais néanmoins inespéré. Coincé entre The Ice Storm et Tigre & Dragon, il s’agit pourtant là de l’une des plus belles réussites d’Ang Lee.
Chevauchée avec le diable adapte un roman de Daniel Woodrell (également auteur de Winter’s Bone) paru en 1987 et raconte à travers les yeux de personnages fictifs la lutte tout à fait authentique et historique entre « Bushwackers » et « Jayhawkers » dans le Missouri des années 1860, en pleine guerre civile américaine. L’originalité du film d’Ang Lee tient de prime abord à l’angle d’attaque choisi. Fait rare, Chevauchée avec le diable nous invite à suivre le conflit exclusivement depuis le camp des Bushwackers, des miliciens sudistes (ou « irréguliers »), séparatistes et esclavagistes. Les « Jayhawkers », unionistes et abolitionnistes, sont volontairement tenu à l’écart du récit, antagonistes agissant la plupart du temps hors-champ ou à bonne distance dans le cadre. Et même si l’on assiste à certains de ses méfaits, « l’ennemi » est ici une notion flou, présent partout mais visible nulle part.
Progressivement, Ang Lee resserre l’étau de son drame autour de deux personnages qui, en toute logique, n’auraient jamais dû se retrouver à combattre auprès des sudistes mais qui se sont tout de même engagés par amitié et loyauté envers leurs amis d’enfance. Fils d’immigrés allemands, Jake Roedel (Tobey Maguire) a donc tourné le dos aux valeurs pro-Lincoln de son paternel en raison de son attachement à Jake Bull Chiles (Skeet Ulrich), presque un frère d’adoption. Noir, esclave émancipé, Daniel Holt fait tout aussi tâche (si ce n’est davantage) auprès de ces rebelles esclavagistes qui multiplient les raids sur les chemins de traverse, mais le lien qui le rattache à George Clyde (Simon Baker), pur gentleman du Sud à qui il doit sa liberté, dépasse ses propres convictions et sa couleur de peau … dont il ne fait pas grand cas par ailleurs. Face à la perte des êtres chers, aux trahisons et à une violence et une haine dont le sens leur échappe de plus en plus, les deux hommes vont se rapprocher, affirmer leurs différences et abandonner une guerre où ils n’ont jamais eu leur place.
Missouri Burning
Le contexte historique de Chevauchée avec le diable, sa toile de fond, est passionnante et Ang Lee la traite avec le maximum d’authenticité. Mais le cœur du film est ailleurs. Il s’agit d’une histoire d’émancipation et de passage à l’âge adulte et ce conflit qui ravage un État (le Missouri, donc), coupé en deux avant même les premiers feux de la Guerre de Sécession, n’est que l’écho sanglant de la crise d’identité qui ronge les protagonistes. S’appuyant sur l’excellent scénario de James Schamus, le cinéaste prend son temps, étire la temporalité pour bâtir une épopée douce-amère et soigne la forme. La reconstitution pointilleuse, la superbe photographie naturaliste de Frederick Elmes (Blue Velvet, Sailor & Lula) et le score de Mychael Danna, entre folklore et romantisme, témoignent d’une production luxueuse et utilisé à bon escient. Charges de cavalerie et fusillades se font rares mais leur impact est assuré par une maîtrise renversante du format Cinemascope, un académisme qui ressuscite l’âge d’or du cinéma hollywoodien et de longues plages méditatives où la tension se maintient par touches discrètes. On pense évidemment à des classiques tels que La Proie de Don Siegel, Le Gang des frères James de Walter Hill, La Porte du paradis de Michael Cimino ou bien encore Les Moissons du ciel de Terrence Malick, des références qui s’imposent d’elles-mêmes, parfaitement digérées.
Chevauchée avec le diable a également une dette envers son jeune casting, proche de la perfection. Pas encore choisi pour être le Peter Parker du Spider-Man de Sam Raimi, Tobey Maguire campe une tête d’affiche fragile et pas forcément toujours attachante mais ses grands yeux et son physique de gamin perdu vont comme un gant à Jake Roedel, anti-héros sur le long et douloureux chemin de la maturité. Jeffrey Wright, Skeet Ulrich, Simon Baker, Jim Caviezel et Jonathan Rhys-Meyer rivalisent pour leur part de charisme et d’intensité et emportent largement le morceau. Pour son premier grand rôle au cinéma, la chanteuse Jewel hérite du rôle un peu ingrat de la jeune veuve Sue Lee mais s’en tire avec les honneurs, sa sensibilité et sa présence douce donnant un peu de poids à un personnage sans doute trop peu écrit.
Éclipsé par les autres succès d’Ang Lee, discrètement remanié en 2010 avec une version longue pour le moment réservé aux galettes de l’éditeur américain Criterion et qui l’enrichit considérablement avec une dizaine de minutes supplémentaires et quelques corrections au montage, Chevauchée avec le diable est un classique oublié et sacrifié, à découvrir ou à redécouvrir de toute urgence.
Image
Un premier constat, la copie proposée par Elephant Films n’est rien d’autre qu’un upscaling du (très beau) DVD édité par TF1 Video il y a maintenant plus de vingt ans. À l’exception d’une poignée de scènes, le bruit vidéo est dont très présent avec des contours et un piqué loin d’être convaincant, notamment lors des plans larges. Les couleurs tirent leur épingle du jeu mais nous étions en droit, au vu de la rareté du film, d’espérer un véritable master restauré en haute-définition. Il est donc fortement conseillé aux amoureux du film d’Ang Lee de se tourner vers l’édition Criterion au rendu argentique infiniment supérieure et aux normes du format. Mais pour cela, il ne faut pas avoir peur de l’absence du sous-titres français et être équipé pour contourner le zonage. Second constat, il n’y a presque aucune chance de voir débarquer le film sous une autre forme et les cinéphiles français n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers ce disque certes décevant mais néanmoins correct.
Son
Là encore, une incompréhension demeure. Malgré des pistes son tout à fait propres, efficaces et honorables, la version originale n’a droit qu’à un mixage stéréo face à son doublage français proposé en 5.1 mais où se perd le travail des acteurs sur les accents et le rythme inimitable de l’élocution des gentlemen du Sud des États-Unis. Pour rappel, le DVD de 2002 emmenait dans sa besace du DTS et du 5.1 pour les deux versions. On était en droit d’exiger mieux.
Interactivité
Toute l’interactivité du DVD a fait le voyage sur cette édition avec un making-of constitué d’images de tournage brut de décoffrage, une featurette promotionnelle et de brèves interviews du réalisateur et du casting. Le tout en définition standard. Le bonus maison est une présentation du film par la critique Nathalie Bittinger qui se fend d’une analyse très pertinente où les thématiques du film d’Ang Lee (l’ambiguïté morale des personnages, le besoin d’émancipation) sont joliment mises en avant. La version longue n’est malheureusement pas de la fête, sans doute pour une question de droits. Comme d’habitude, le packaging inclut une jaquette réversible, une attention toujours bienvenue.
Liste des bonus
Présentation du film par Nathalie Bittinger, Making-of, Featurette, Interviews, Bandes-annonces.