CHÈRE LOUISE
France, Italie – 1972
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : Philippe De Broca
Acteurs : Jeanne Moreau, Julian Negulesco, Didi Perego, Jill Larson, Lucienne Legrand, Pippo Starnazza, …
Musique : George Delerue
Durée : 97 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Français DTS-HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Sans
Éditeur : Coin de Mire
Date de sortie : 18 mars 2022
LE PITCH
Louise, belle dans sa quarantaine et célibataire s’installe à Annecy au lendemain de la mort de sa mère pour devenir professeur de dessin. Un jour, dans la rue, elle donne de l’argent à un jeune étranger qui mendie discrètement. Il se nomme Luigi et ainsi commence leur histoire d’amour …
La parenthèse désenchantée
Entre 1966 et 1972, Philippe De Broca tourne cinq long-métrages et le segment sur la Révolution Française (déjà avec Jeanne Moreau) du film omnibus Le plus vieux métier du monde. Une parenthèse qui l’éloigne un temps des cabrioles et des bons mots de l’icône Belmondo et qu’il clôture avec Chère Louise, drame inégal mais tendre et sincère, assassiné par la critique cannoise en 1972 avant d’être rangé dans un tiroir.
Lancé par le tourbillon de Nouvelle Vague, Philippe De Broca fut l’assistant réalisateur – excusez du peu ! – de François Truffaut (sur Les Quatre Cents Coups) et de Claude Chabrol (sur Les cousins et Le beau Serge) mais aussi d’Henri Decoin et de Pierre Schoendoerffer. Cette expérience, il la met au service d’un cinéma populaire français bousculé par le renouveau des 60’s. Devenu réalisateur à part entière, il entraîne Jean-Pierre Cassel dans une série de comédies vives et rythmées : Les jeux de l’amour, Le farceur, L’amant de cinq jours et Un monsieur de compagnie. Avec Cartouche, L’homme de Rio et Les tribulations d’un chinois en Chine, il participe à façonner l’image d’acteur casse-cou et charmeur de Jean-Paul Belmondo, star en devenir et anti-héros du tsunami À bout de souffle de Jean-Luc Godard. Tout ça en moins de dix ans. Un début de carrière d’une richesse qui donne le vertige et mené sans le moindre temps mort. D’où la nécessité d’interrompre cette trajectoire, de se faire plaisir et de prendre des risques. Ce qu’il entreprend sans attendre avec Le roi de cœur, farce anarchiste, pop, sexy et savoureuse sur la fin de la Première Guerre Mondiale au casting international prestigieux, son premier échec. Aux côtés, entres autres, de Claude Autant-Lara et de Jean-Luc Godard, il renoue pour Le plus vieux métier du monde avec le film à sketches, un exercice qu’il connaît pour l’avoir pratiquer avec Les sept péchés capitaux et Les veinards quelques années plus tôt. Comédie encore avec Le diable par la queue où il collabore avec un Claude Sautet au creux de la vague qui n’a pas encore réalisé Les choses de la vie. Puis c’est la rencontre avec le scénariste Jean-Loup Dabadie, d’abord pour La poudre d’escampette puis pour Chère Louise, tout spécialement écrit pour Jeanne Moreau. De Broca avait de grands espoirs pour Chère Louise qu’il imaginait voir triompher au Festival de Cannes. La critique préfère lui offrir une douche froide et le film se gaufre en salles. Nouvel échec et fin d’un cycle. Retour vers Bébel (et les sommets du box-office) avec Le magnifique. Mais que reste t-il des amours interdits de cette Chère Louise ?
Les amants du lac d’Annecy
Bien que très à l’aise dans la direction d’acteurs, Philippe De Broca n’a pas toujours affiché la même habileté avec ses comédiennes. Comme si, en fin de compte, la gent féminine échappait en partie à sa compréhension. Ce qui, dans le cas de Chère Louise, lui pose un sérieux problème. La plupart du temps, le talent inné de Jeanne Moreau fait illusion, essentiellement lors de quelques gros plans mettant au centre de l’attention les tourments intérieurs d’une vieille fille hésitant à vivre pleinement un amour qu’elle juge elle-même scandaleux (parce qu’elle est d’un autre temps et que son amant pourrait fort bien être son fils). Mais parfois, c’est la gamelle. On raconte que l’une des toutes premières répliques de son héroïne, s’exclamant « Oh ! L’oiseau ! » en quittant la tombe de sa mère, fit hurler de rire la critique présente à la projection de presse et précipita le destin du film. S’il est injuste de ramener tout Chère Louise à ce court instant d’un ridicule certes achevé, il est tout de même permis de se demander ce qui a bien pu passer par la tête de De Broca pour laisser passer une telle coquille si tôt dans la construction du personnage. Et ce n’est pas le seul exemple, l’actrice étant souvent poussé à surjouer ou à sous-jouer la passivité, la tristesse ou la joie. Sa prestation était appelée à tirer le film vers le haut, or c’est le contraire qui advient. Et c’est d’autant plus flagrant que la muse éternelle de Jules et Jim est bouffée toute crue par son jeune partenaire, Julian Negulesco, quant à lui d’une justesse sidérante.
Par bonheur, il reste suffisamment d’arguments à faire valoir pour le cinéaste et son équipe pour ne pas quitter Chère Louise sur une déception. Bien interprété ou pas, le scénario de Jean-Loup Dabadie, adaptation d’une nouvelle de Jean-Louis Curtis, conserve une sincérité et une tendresse intact à l’égard de ses amants maudits. Avec l’aide de son chef opérateur argentin Ricardo Aronovitch, De Broca filme Annecy et ses environs comme peut l’on fait avant lui ou depuis, jouant des contrastes entre quartiers décrépis, modernité naissante et ballades féériques au bord du lac ou dans les alpages. Enfin, George Delerue, fidèle collaborateur du réalisateur, lui fait cadeau d’un thème principal à la mélancolie entêtante.
Sans doute un peu trop ambitieux pour un Philippe De Broca à la maturité encore incertaine, Chère Louise se redécouvre néanmoins sans déplaisir et il n’est pas interdit d’écraser une petite larme lors d’un épilogue apaisé mais aussi rongé par l’amertume et les regrets.
Image
Les magiciens des studios de restauration de TF1 ont opéré un lifting réussi en 4K à partir d’un master qui dormait dans les tiroirs de Warner France. Quelques imperfections demeurent mais le rendu est harmonieux avec un grain maîtrisé, une définition pointue et une compression qui déjoue les pièges de la brume et de la grisaille savoyarde.
Son
Un mono délicat et à l’équilibre fragile, souvent à deux doigts de saturer, notamment sur les dialogues. Mais l’écoute reste confortable avec des ambiances discrètes et une piste musicale vigoureuse.
Interactivité
Outre la désormais rituelle séance complète avec informations, publicités et bandes-annonces comme « à l’époque », les goodies et un emballage soigné en médiabook, quatre suppléments inédits viennent éclairer la production difficile de Chère Louise et sa carrière sacrifiée en salles. Le suisse Julien Comelli se fend d’une présentation plus courte que d’habitude et qui insiste sur l’escapade cannoise désastreuse du film et son statut de coproduction internationale qui a fini par rendre certaines œuvres invisibles. Document rare (et restauré!), un making-of d’époque compile des entretiens avec Philippe De Broca mais aussi Jeanne Moreau qui remet à sa place un journaliste aux questions profondément sexiste et à côté de la plaque. Non sans quelques regrets mais avec une indiscutable lucidité, le premier assistant réalisateur Denis Amar (et réalisateur d’Asphalte et d’Hiver 54, l’Abbé Pierre) revient sur son expérience avec De Broca et insiste sur la nature intemporelle de Chère Louise. La pièce de résistance, c’est le très long entretien de près d’une heure avec le comédien roumain Julian Negulesco qui raconte sa carrière, son accident de moto sur le tournage et le tournage avorté d’une fin où Louise et Luigi devaient mourir noyés dans le lac d’Annecy. Passionnant et exhaustif.
Liste des bonus
Présentation du film par Julien Comelli, Interviews de Jeanne Moreau et Philippe de Broca par la RTS, « Un film hors temps » avec Denis Amar, « Condamné à dire oui » avec Julian Negulesco, Actualités Pathé d’époque (HD), Réclames publicitaires d’époque, Bandes-annonces d’époque, Bandes-annonces de la collection « La Séance ».