CAÏN ET ABEL
Cain At Abel – Philippines – 1982
Support : Bluray
Genre : Action
Réalisateur : Lino Brocka
Acteurs : Christopher De Leon, Phillip Salvador, Carmi Martin, Cecille Castillo, Baby Delgado
Musique : Max Jocson
Durée : 111 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Tagalog DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 04 octobre 2022
LE PITCH
Madame Pina règne d’une main de fer sur la ferme familiale, gérée au quotidien par son fils aîné Lorenz. Méprisé par sa mère depuis sa plus tendre enfance, ce dernier vit dans l’ombre de son frère cadet, Ellis, parti faire des études à Manille. Lorsque celui-ci débarque avec sa fiancée venue de la ville en réclamant de reprendre la direction de la ferme, le destin de la famille va basculer dans l’horreur et dans la guerre fratricide…
Frères jusqu’aux sangs
Après Bayan Ko chez Le Chat qui fume, l’enfant terrible du cinéma philippin est de retour chez Carlotta avec Cain et Abel, transposition biblique sanglante dans un pays écrasé sous la dictature. Entre grand mélo familial et action sauvage, la peinture âpre d’une société au bord du drame.
Chef de fil d’un cinéma philippin résistant mais toujours populaire, Lino Brocka a surtout réussi à naviguer à loisir dans un milieu forcément scruté et fliqué par les sbires de la dictature militaire de Ferdinand Marcos. Malgré un rejet du catholicisme d’état, des amitiés et opinions ouvertement situées à gauche et une homosexualité ouvertement assumée, le réalisateur ne s’est que rarement fait taper sur les doigts, réussissant plus ou moins à mener ses projets à bout et surtout à les nourrir de ses réflexions politiques et sociétales. Son astuce était bien entendu de ne jamais trop aborder les problématiques contemporaines de manière frontale. Symptomatique de son cinéma, Cain et Abel fut vendu quasiment comme un pur film d’exploitation. Un film d’action où les affrontements sanglants entre les bandes des deux frères viendraient toiser (on en est quand même assez loin) la sécheresse et la cruauté des meilleurs essais américains de l’époque. Déjà, le film joue sur deux tableaux en nourrissant cette dernière partie cathartique d’un long mélodrame familial qui va lentement se mettre en place. Une famille de riches propriétaires philippins sous la coupe d’une matriarche castratrice, inégalitaire et injuste qui inconsciemment ne cesse de monter Lorenz et Ellis l’un contre l’autre, fustigeant le premier de tous les mots et adulant le second jusqu’à lui offrir la gestion de la propriété.
Jusqu’à la dernière pierre
Les tensions s’exacerbent, l’affrontement physique finira par exploser provoquant par accident la mort de la compagne du cadet, point de départ d’un cycle de représailles sans retour. La famille va se disloquer, les victimes innocentes s’accumuler jusqu’à l’anéantissement total, biblique, des deux protagonistes. Un point de fuite dramatique, annoncé dès la première image de deux araignées s’affrontant dans une toile censée les protéger mais devenue prison, que Lino Brocka construit consciemment par un reflet de son pays sous le joug depuis trop longtemps d’une autorité absolue. En ce début des années 80, le régime de Marcos commence à montrer des signes de faiblesses, et la bataille rangée entre les deux frères fait directement écho à celle entre les partisans du chef d’état et les révolutionnaires qui envahissent les rues mettant le pays à feu et à sang. Car s’ils finiront par aller jusqu’au bout, Cain et Abel s’attache à vraiment construire graduellement leur mur de haine et à accompagner systématiquement les instants de lucidité, d’émotions venant combattre le fatalisme ambiant. A ce titre, en dehors de la terrible Madame Pina, les personnages féminins sont assez passionnants dans l’humanité et l’intelligence qu’ils portent, s’efforçant constamment de ramener leurs compagnons à la raison. Elles seront forcément les premières victimes et certainement les plus douloureuses. Une dénonciation passionnée et particulièrement intéressante qui donne à voir un cinéma, à la fois engagé et commercial, toujours trop méconnu par chez nous.
Image
Film perdu puis retrouvé et surtout longtemps exploité dans des conditions assez honteuses, Cain et Abel n’existait plus que sous la forme d’une copie 35mm relativement abimée et fatiguée, mais vu l’importance de ce dernier un effort considérable a été apportée avec un scan complet en 4K suivi d’une restauration appuyée en 2K. Le master reste donc assez fragile devant composer avec un grain très présent et fluctuant et des plans légèrement flous naturellement et d’autres radoucis justement pour gommer certains soucis. L’image est cependant assez propre à l’arrivée et surtout les couleurs, légèrement pastelles, sont d’une belle constante et d’une vigueur très agréable.
Son
Là encore la technique ne peut combler les lacunes des années et d’une captation sans doute loin d’être parfaite. Restaurée elle aussi, la piste sonore mono a été retravaillée en DTS HD Master Audio et offre la plupart du temps un confort d’écoute bien posé. Comme pour l’image on sent que le maximum a été fait.
Interactivité
Carlotta reprend ici tout le matériel développé par l’éditeur américain Kani soit une analyse thématique et formelle plutôt intéressante du film par José B. Capino auteur d’un ouvrage (non traduit chez nous) sur Lino Brocka, suivi de deux interviews. Celle des acteurs Christopher De Leon et de Carmi Martin, tous deux grands habitués et visages récurrents de l’œuvre du cinéaste qui reviennent sur le film en question mais aussi sur leurs diverses collaborations respectives et leurs relations entre le mentorat et l’amitié plus profonde. De jolis portraits d’un auteur à redécouvrir.
Liste des bonus
« Caïn et Abel : une reconnaissance » : essai réalisé par José B. Capino, auteur et professeur à l’université de l’Illinois (12’), Entretien avec Christopher De Leon (16’), Entretien avec Carmi Martin (13’), Bande-annonce de la restauration.