CABAL

Nightbreed – États-Unis – 1990
Support : Bluray & DVD
Genre : Horreur
Réalisateur: Clive Barker
Acteurs: Craig Sheffer, David Cronenberg, Anne Bobby, Charles Haid, Doug Bradley, Catherine Chevalier…
Musique : Danny Elfman
Image : 1.78 16/9
Son : Anglais DTS-HD Master Audio 5.1, Anglais et Français DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 102 et 120 minutes
Editeur : ESC Editions
Date de sortie : 22 octobre 2019
LE PITCH
Aaron rêve chaque nuit d’un endroit peuplé de créatures terrifiantes et baptisé le «Midian». Suivi par un inquiétant psychiatre, psychopathe à ses heures perdues, le jeune homme finit par se rendre au cœur de ce territoire cauchemardesque et y réalise que les monstres ne sont pas forcement ceux que l’on croit.
En marge
Œuvre maudite, infréquentable, mutilée par les studios et remplie de freaks abominables, Cabal nous revient au format numérique dans une édition définitive comprenant la version cinéma de 1990. Et une version Director’s Cut inédite qui porte davantage le sceau de son auteur : le sulfureux Clive Barker.
Maître de la littérature fantastique adoubé par Stephen King en personne, le romancier britannique issu du milieu underground, du théâtre indépendant et de la communauté LGBT, s’est d’abord illustré au cinéma avec Hellraiser : le pacte, adapté de l’un de ses propres romans. Une véritable claque pour les fans du genre. Un film d’horreur pervers, sadique et jusqu’au-boutiste, aujourd’hui devenu culte et riche d’un bestiaire rarement vu sur grand écran. Arrivé juste après ce succès mondial et lui-aussi adapté d’une nouvelle éponyme de Barker, Cabal se voulait encore plus ambitieux. Mais le montage originel fut charcuté par les pontes de la Fox et le long-métrage fut un échec critique et financier. De ceux dont on ne se remet pas.
Deux salles, deux ambiances
Il existe donc deux visions d’un même film. La première évoque un bon vieux « slasher » des familles mâtiné de fantasy, distribué à la va vite et amputé d’une bonne partie de sa sève anticonformiste. Le rôle marquant n’y est pas vraiment celui du jeune héros torturé ou celui des monstres, mais plutôt celui tenu par le cinéaste David Cronenberg qui passe avec délectation de l’autre côté de la caméra dans le rôle d’un psychiatre serial killer complètement barge et nihiliste. La seconde mouture exhumée en 2014 est de de loin la plus enrichissante. Elle s’attarde en profondeur sur le personnage principal (joué par Craig Sheffer) et sur le lien occulte qu’il entretient avec les résidents de la cité perdue de Midian. Barker y approfondit ses thèmes de prédilection (la marge, l’altérité, la sexualité, le refoulement) et nous fait découvrir un monde vertical où vivent les « nocturnes », ces morts-vivants difformes rejetés en leur temps par la communauté du fait de leurs orientations sexuelles ou idéologiques. L’imaginaire y est bien plus foisonnant et invoque les grands classiques du genre, qu’ils soient littéraires (on trouve une multitude de références à Dante, William Blake, Mary Shelley, Lovecraft, Barker himself), picturaux (Francis Bacon, Picasso, Dali) ou cinématographiques (Freaks et Dracula de Tod Browning, les productions de la Hammer). Dans la version définitive de Cabal, les véritables monstres ne sont pas ces créatures certes hideuses mais inoffensives, voire tolérantes et pacifistes. En un mot : les gentils. Non les véritables barbares, ce sont les « naturels ». À savoir les humains, tous plus tordus et malveillants les uns que les autres ; mention spéciale au psycho Cronenberg et au chef de la police, un parfait nazi adepte des expéditions punitives.
Les écorchés
Aux yeux de Clive Barker, Cabal est comme un miroir déformant de notre société. Une société qui, depuis la nuit des temps, a bien du mal à accepter la différence. De ce point de vue, le film s’avère passionnant. Métaphore de la contre-culture, il retranscrit en sous-texte le propre parcours à fois intime et créatif de Clive Barker, qui révéla son homosexualité à peu près à la même époque. Mais il n’est pas dénué de défauts. En fait, il alterne sans cesse entre le grandiose et le grotesque. Pour le grandiose, on retiendra les monstres eux-mêmes, merveilles de maquillages à la gloire des effets spéciaux à l’ancienne et leur incroyable pouvoir de fascination. On retiendra aussi une théâtralité inspirée, des décors ahurissants conçus au sein des mythiques studios Pinewood (ou furent tournés la majorité des James Bond et des Kubrick) ainsi que les scènes impliquant David Cronenberg et ses crimes sordides, traités d’une manière absolument glaçante. Pour le grotesque, on retiendra à peu près tout le reste. Barker est davantage un créateur d’univers qu’un authentique cinéaste. Et Cabal en souffre pas mal. L’interprétation est souvent approximative voire caricaturale, le rythme pèche atrocement, les mouvements de caméra et la cinématographie en général manquent farouchement d’originalité. L’œuvre souffre aussi d’une texture particulièrement « nineties », avec un grain fatigué, un érotisme soft un peu trop marqué (Hellraiser était bien plus percutant à ce niveau-là) et une surabondance de cadrages serrés destinés à coller à un marché de la VHS alors en plein essor.
Œuvre hybride née de l’imagination chatoyante d’un artiste complet, Cabal pèche par excès d’ambition. Il demeure essentiel dans ce qu’il veut nous dire. Mais il reste stylistiquement trop décousu et foutraque pour véritablement remporter la mise.
Image
Visuellement, Cabal semble souffrir de son tournage pour le moins chaotique et refréné suite aux dépassements de budget. Les séquences d’intérieur, filmées en studios, restent les plus intenses et réussies, notamment celles impliquant le personnage de Cronenberg. La retranscription du monde de Midian s’avère beaucoup moins nette, avec une perte évidente de contraste et un voile permanent qui ternit considérablement la vision d’ensemble. On saluera néanmoins l’équipe d’ESC pour avoir conservé le vernis de l’œuvre originelle, y compris les trucages optiques et mécaniques qui inscrivent parfaitement le film dans son époque. Pour l’heure, cette édition HD s’impose comme la meilleure version en circulation.
Son
La piste 5.1 anglaise est de loin la plus efficace. Uniquement disponible sur le Director’s Cut, elle dégage un vrai souffle, amplifié par la musique de Danny Elfman et ses envolées lyriques à haute teneur fantasmagorique. La version 2.0 anglaise s’en tire avec les honneurs, quoique moins bien étalonnée. Il faut en revanche éviter la piste 2.0 française de la version cinéma qui fait ouvertement l’impasse sur les basses et les effets surround.
Interactivité
ESC propose un coffret monstre. C’est le cas de le dire. Attendue depuis toujours par le fan hardcore de Barker et les aficionados de cinéma fantastique, cette édition collector est somptueuse et remplie à ras bord de suppléments. Mieux, elle tente de nous faire comprendre un processus de création particulièrement bordélique. Il y a près de vingt minutes d’écart entre la version cinéma et la version Director’s Cut, au sein desquelles certains personnages ressuscitent littéralement. Les fins diffèrent également. Pour ouvrir le bal, il est donc préférable de se plonger dans l’ouvrage rédigé par Marc Toullec. Le document se penche sur les influences littéraires, sur la production et ses rebondissements en rafale (éclatement du budget, renvoi du producteur par la Fox, changement de monteur en cours de route) puis sur la quête de la version définitive imaginée par Clive Barker. On appréciera également le long-making of et les interventions de Craig Sheffer, Anne Bobby (personnellement impliquée dans la résurrection numérique de Cabal) et Doug Bradley (fameux Pinehead de Hellraiser mais aussi co-fondateur, avec Barker, d’une compagnie de théâtre à Liverpool). Un autre entretien avec Julien Sévéon, spécialiste du cinéma d’horreur, résume avec clarté et précision la genèse, les forces et les échecs inhérents à Cabal. On trouve également un commentaire audio de Barker et du producteur Mark Alan Miller (sur la version Director’s Cut uniquement). Le Britannique rappelle la douleur qui fut la sienne lorsque la Fox enrôla Mark Goldblatt pour remonter le film. Cette épreuve plongea Barker dans une profonde dépression et il lui fallut plusieurs années pour s’en remettre. De son côté, Goldblatt a également droit à une interview durant laquelle il nous informe avoir été à la fois contraint de tailler dans le matériau originel et de rajouter des scènes additionnelles. Un casse-tête absolu selon ses dires, d’autant que Clive Barker s’est totalement désimpliqué de la version cinéma. En rab, nous avons droit à une analyse de séquences clés, auscultées par Christophe Foltzer, journaliste à Écran Large. Un autre item revient sur la création du bestiaire monstrueux, tandis qu’un bonus revient sur les anecdotes de tournage de la seconde équipe. Enfin, l’édition collector propose des suppléments consacrés aux fabuleux paysages peints, aux multiples matte paintings et autres maquillages, ainsi qu’un item dévoilant certains travaux en stop-motion qui rendent hommage à l’œuvre des magiciens des effets spéciaux d’antan que furent Ray Harryhausen et Phil Tippet. Presque tous ces plans ont été annulés par un producteur furax. Seuls deux sont visibles au sein des deux versions. Et ils valent le détour.
Liste des bonus
Livret de 24 pages par Marc Toullec, entretien autour du film avec Julien Sévéon (HD, 23’), analyse de séquences par Christophe Foltzer (HD, 12’), «Tribes of the moon»: le making of de Cabal (HD, 73’), scènes coupées et alternatives (sources multiples, 23’), bande-annonce originale, bande-annonce française, commentaire audio de Clive Barker et du producteur Mark Alan Miller, «Making Monsters»: entretiens avec Bob Keen, Martin Mercer et Paul Jones (43’), Masterclass: prothèses des monstres (HD, 12’), «Fire!Fights!Stunts! (HD, 20’), « compromis sur le montage : entretien avec le monteur Mark Goldblatt (HD, 14’), les paysages peints (HD, 6’), tests de matte paintings (HD, 9’), essais maquillage (HD, 5’), répétitions et tests (HD, 3’), scènes de torture (HD, 3’), scène perdue en stop-motion (HD, 7’).