BUNKER PALACE HOTEL
France – 1989
Support : Bluray & DVD
Genre : Science-Fiction
Réalisateur : Enki Bilal
Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Carole Bouquet, Maria Schneider, Roger Dumas, Yann Collette, Philippe Morier-Genoud, Hans Meyer, Jean-Pierre Léaud…
Musique : Arnaud Devos, Philippe Eidel
Image : 1.85 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Aucun
Durée : 95 minutes
Éditeur : Rimini Editions
Date de sortie : 17 octobre 2023
LE PITCH
Dans un pays inconnu, dans un ville inconnue lors d’une guerre inconnue, s’agite sous terre l’élite d’un régime inconnu. Son quartier général : le Bunker Palace Hôtel, offrant confort et sécurité. Tout semble se dérouler pour le mieux pour les dignitaires du régime qui attendent leur président. Cependant, d’étranges bruits courent à la surface de la terre et les rebelles sont de plus en plus actifs malgré la vigilance du machiavélique Holm. Quant au personnel androïde, il donne de curieux signes de dysfonctionnement…
Autopsie d’une dictature
Première réalisation signée Enki Bilal, Bunker Palace Hotel est la transposition fascinante de son art graphique au cinéma. Une allégorie de la fin du totalitarisme, entre la dystopie froide et la farce noire aussi grotesque que cynique.
Rapidement devenu une figure incontournable de la BD française pour ses fables politiques imaginées avec Pierre Christin (Le Vaisseau de pierre, Partie de chasse…), pour son trip purement SF avec Dionnet (Exterminateur 17) mais aussi et surtout pour les deux premiers tomes de la Trilogie Nikopol (La Foire aux immortels et La Femme piège), Enki Bilal n’était pas tout à fait un nouveau venu dans le monde du cinéma en 1989. On lui doit l’affiche de Mon Cousin d’Amérique et les superbes décors de La Vie est un roman d’Alain Resnais, tout autant que certains designs et recherches pour La Forteresse noire de Michael Mann et Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud. C’est que depuis toujours le 7ème art le fascine et l’attire. Bunker Palace Hôtel est d’ailleurs l’évolution d’une première amorce qu’il imaginait tourner pour un film à sketchs avec quelques camarades comme Moebius et Druillet. Il sera le seul à pousser sa logique jusqu’au bout trouvant chez le producteur Maurice Bernard (Série Noire, I Live You, Western…) une oreille attentive qui l’enclin à étendre son projet à la forme longue. Retour alors de Pierre Christin pour faciliter l’exercice, pour un récit qui effectivement sert admirablement de passeur entre les deux parties de carrières de Bilal. Bunker Palace Hotel n’est ainsi pas une adaptation d’un album préexistant, mais semble piocher, ré-imaginer et ré-aiguiller des thèmes, des personnages, des motifs et même un décor, que les amateurs de l’auteur ont déjà observé ou croiseront dans le futur.
Comme des cafards
Dès la vision extérieure du fameux hôtel retranché, il est ainsi impossible de ne pas reconnaitre la personnalité du dessinateur, combinant ici une peinture sur verre et une rue de Belgrade, imposant un univers hors du temps, un fond de guerre froide désolé entre réalisme figé et diesel-punk déliquescent. La vision d’une pluie blanchâtre, de rues complétements désertes, d’une voiture luxueuse des 50, d’un train à vapeur anachronique, la culture d’une photographie sombre et légèrement bleutée, pousse tout autant à une universalité hors du temps, que rappelle inévitablement les origines yougoslaves de Bilal. Et il y est bien entendu, comme dans toute l’œuvre du monsieur, d’un état totalitaire, ici en plein effondrement, et dont les derniers représentant se retranchent dans un bunker luxueux dissimulé sous le sol de la ville. Des personnages hautains, dédaigneux, envieux, méprisants et méfiants, qui se complaisent dans le luxe espérant que l’ordre revienne. En dehors de quelques exclamations d’un Jean-Pierre Léaud toujours aussi théâtralement décalé, ces anciens ministres, généraux, ne sont plus que des silhouettes qui vont peu à peu se fondre et s’oublier dans le béton et la pierre. D’une ouverture plutôt nerveuse, Bilal passe alors à des mouvements volontairement lents, des plans posés où même les mouvements des acteurs deviennent de plus en plus rares, se confondant avec les quelques androïdes défectueux voués à les servir jusqu’à la fin.
Seuls finalement le souriant et inquiétant Holm (formidable Jean-Louis Trintignant lisse comme un galet) fier industriel menant inlassablement sa propre barque, et la résistante-témoin Clara (Carole Bouquet, un peu perdue avec ses cheveux roux en bataille) semblent encore avoir un rôle à jouer dans ce théâtre envahi peu à peu par la glace, l’effritement et la mort. La maitrise totale de la direction artistique, parfaitement adaptée à un budget et un huis-clos resserré, incarne admirablement un cinéma personnel, fort et unique qui effectivement règle ses comptes aux souvenirs du règne de Tito, mais qui se montre aussi parfaitement lucide sur les porosités du pouvoirs et l’immuabilité de la caste dirigeante, résistant à tout, même aux changements de régimes et aux révolutions.
Même si les suivant Tyko Moon et Immortel resteront des œuvres intéressantes, elles ne retrouveront jamais totalement cette justesse du propos et cette précision dans la réalisation. Il est toujours étonnant de voir que Bunker Palace Hôtel ne soit pas un film plus célébré et reconnu.
Image
Première apparition du film en Bluray (et premier Enki Bilal en HD tout court), Bunker Palace Hôtel nous parvient dans de très bonnes conditions. Un master HD qui effectivement souffre assez logiquement de légères variations dans la définition avec des segments plus doux et plus granuleux, dues autant à la photographie veloutée d’origine qu’à des plans aux de décors composites (avec peintures sur verre) un peu plus malmenés. Mais de toute façon ce grain assez présent, garde un aspect très cinématographique, accompagne parfaitement l’atmosphère déclinante du film et n’entame en rien un piqué le plus souvent bien creusé et une profondeur bien marquée. L’ensemble ne laisse au passage apparaitre aucun souci de pellicule ou instabilité et rehausse l’esthétique très fin 80’s du film par des noirs fermes et des gris délicats.
Son
La piste stéréo d’origine revient ici en DTS HD Master Audio 2.0. De quoi assurer un nouveau confort d’écoute, de diffuser une restitution claire et légèrement dynamique sur les avants. Une restitution sobre mais très efficace.
Interactivité
A nouveau une très belle édition concoctée par Rimini Editions (aux goûts décidément très sûrs) qui redonne à Bunker Palace Hôtel l’importance qu’il aurait toujours dû avoir. Outre le très beau visuel produit pour le fourreau cartonné, le boitier s’accompagne de quatre cartes avec dessins préparatoires et reproduction d’affiches et bien entendu des disques attendus : deux DVD (un pour le film, l’autre pour les bonus) et un Bluray complet.
Complet c’est le mot. A commencer par la longue et très intéressante interview inédite d’Enki Bilal où le réalisateur revient sur ses rapports divers et variés avec le cinéma, son arrivée en Europe, le premier projet de film à sketchs avec ses collègues de Métal Hurlant et finalement le passage au long, le scénario, le tournage, les acteurs… 45 minutes bien remplies auxquelles répondent les 50 minutes du documentaire Enki Bilal, souvenirs du futur, produit en 2019 pour France Télévision et qui là, profitant de la confection du second tome de Bug, se consacre à l’art graphique du monsieur, ses nombreux albums, son style, ses approches visuels, la transmission entre le passé et le futur… Le tout avec la participation, entre autre, du copain Druillet.
Un petit document d’archive capture dans les coulisses du tournage de Bunker Palace Hôtel plus loin, le programme est relancé par Cinémonstre. Un montage expérimental de ses trois longs métrages (avec des bouts de Tykho Moon et Immortel donc) produit au départ pour un évènement à la Géode de Paris en compagnie du compositeur Goran Vejvoda. Un programme étrange, presque « godarien », où les superpositions, les mises en parallèles et effets miroirs (sans compter les changements de langues abruptes) soulignent les liens thématiques et structurels entre ces trois œuvres. Une curiosité.
Liste des bonus
4 cartes postales reproductions de dessins préparatoires et affiche d’origine, Interview de Enki Bilal (Juin 2023, 46’10”), « Cinémonstre » : montage réalisé par Enki Bilal à partir des trois films qu’il a réalisé (2006, 66’44”), Introduction à « Cinémonstre » par Enki Bilal (4’42”), « Enki Bilal, souvenirs du futur » (2019, 50’51”), Reportage sur le tournage (archives INA, 1989, 3’24”).