BULLY
États-Unis / France – 2001
Support : Blu-ray & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : Larry Clark
Acteurs : Brad Renfro, Nick Stahl, Rachel Miner, Bijou Phillips, Michael Pitt, Leo Fitzpatrick, …
Musique : Joe Poledouris, Joe Dillon
Durée : 114 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Studiocanal
Date de sortie : 27 septembre 2023
LE PITCH
Se connaissant depuis l’enfance, Bobby Kent et Marty Puccio entretiennent une relation toxique, mélange d’amitié et d’humiliation. Souffre-douleur de Bobby, Marty fait alors la connaissance de Lisa, une adolescente aussi paumée que lui. Enceinte, Lisa suggère bientôt à Marty d’assassiner Bobby, …
The Doom Generation
La reconstitution d’un fait divers sordide survenu en Floride au mi-temps des années 90 offre au sulfureux Larry Clark une nouvelle occasion de scruter les corps et les regards d’une jeunesse américaine noyée dans un abîme d’alcool, de drogue, de sexe, d’ennui, de méchanceté et de stupidité. Passionnant et sans doute un brin complaisant mais tout à fait essentiel.
Dans la nuit du 14 juillet 1993, Bobby Kent, tout juste âgé de 20 ans est assassiné à Weston, en Floride, par son « meilleur ami » Marty Puccio, par Lisa Connelly, la petite amie de Puccio et cinq autres adolescents. La découverte du corps de Kent dans les jours suivants témoigne de la barbarie de cette mise à mort : le jeune homme a été poignardé à de multiples reprises, éventré, égorgé et battu à mort à coup de batte de baseball avant d’être jeté dans un étang dans l’espoir que des alligators le dévorent et le fassent disparaître. Dépassés par leur crime, les assassins se dénoncent auprès de leurs proches et sont arrêtés les uns après les autres. Jugés séparément, ils écopent de peines allant de la perpétuité à des sentences plus légères. Seul Marty Puccio est envoyé à la chaise électrique avant que la Cour Suprême de Floride ne commue sa peine en emprisonnement à vie en raison de circonstances atténuantes.
Cette histoire, le journaliste Jim Schutze, reporter au Houston Chronicle, choisit de la raconter dans un livre intitulé « Bully : A True Story of High School Revenge » qu’il publie en 1997, avec succès. S’il pointe du doigt la gratuité et la cruauté de ce meurtre en réunion commis par une bande de pieds nickelés incapables de se justifier, d’assumer ou de comprendre ce qui les a fait basculer, Schutze en profite aussi pour dresser un portrait cinglant de la victime, Bobby Kent, authentique petite enflure sociopathe à la sexualité trouble. Don Murphy, le producteur de Tueurs-Nés et d’Un élève doué flaire la bonne affaire, en achète les droits et confie le scénario à David McKenna (American History X) et la réalisation à Larry Clark, espérant une sortie sur les écrans avant fin 1999. La tuerie du lycée de Columbine le 20 avril 1999 stoppe net la production de Bully. Laquelle reprend un an et demi plus tard sous l’impulsion de Studiocanal et grâce au casting de Bijou Phillips dont la popularité en tant que mannequin « tendance » auprès de la jeunesse rassure les investisseurs.
The Nobodies
Si Nirvana, Marilyn Manson et Eminem avaient choisi de s’associer pour réaliser un long-métrage, nul doute que la chose aurait fini par ressembler très fortement à Bully. Grand fan de Kids, Eminem autorise d’ailleurs les producteurs du film a utilisé l’une de ses chansons, « Forgot about Dre », pour une somme dérisoire. Un anachronisme, bien sûr, puisque le morceau date de 1999, soit six ans après le meurtre de Bobby Kent. Une des rares libertés que s’autorise Larry Clark, tout comme cet épilogue vertigineux où les sept coupables apparaissent ensemble sur le banc des accusés sous le regard sidéré de leurs parents. Pour le reste, le photographe devenu cinéaste sur le tard, colle de très près aux faits, envoyant balader le script de David McKenna (dissimulé derrière le pseudo de Zachary Long) et Roger Pullis pour mieux revenir à la source, soit le livre de Jim Schutze. Clark pousse même l’authenticité jusqu’à filmer sur les lieux mêmes du drame, embauchant comme assistants des connaissances de Kent, Puccio et co et ajoutant à la figuration les policiers et le juge ayant instruit l’affaire.
Devenu célèbre suite à la publication en 1971 de « Tulsa », recueil de clichés en noir et blanc exposant sans le moindre artifice l’Amérique White Trash (Martin Scorsese avouera s’en être inspiré pour le Travis Bickle de Taxi Driver), Larry Clark poursuit avec Bully un projet de cinéma entamé avec Kids, chronique adolescente au voyeurisme charnel troublant. Accro au réalisme jusqu’à la complaisance, Clark privilégie une lumière crue, un montage nerveux, un casting en symbiose avec les personnages à l’écran (les vies privées du regretté Brad Renfro, de Nick Stahl et de Bijou Phillips transpirent l’abus de drogue, d’alcool, de sexe et de mauvais traitements) et se sert de sa caméra pour scruter avec un appétit d’ogre les regards, les corps et la peau de ses protagonistes. À l’absence de pudeur et au naturel troublant des nombreuses scènes de sexe, le cinéaste fait succéder l’errance, les regards vides, l’incongruité de dialogues qui ne mènent nulle part. S’il n’est pas interdit de s’interroger (comme la presse de l’époque) sur la fascination d’un homme d’âge mûr pour les adolescentes et les adolescents qu’il ne cesse de faire défiler torse nu ou dans le plus simple appareil, son refus total de détourner le regard jusqu’à provoquer le malaise de ses contemporains le situe sans conteste entre Pasolini et Verhoeven. Pour la middle-class américaine, on comprend donc que Bully ne soit pas une expérience plaisante. En fin de compte, le meurtre de Bobby Kent, monstre en devenir, ne produit pas la moindre catharsis et reste un acte dépourvu de sens. Avec le recul, Bully gagne même davantage en amertume lorsque l’on se rend compte que la jeunesse dépeinte ici, devenue adulte depuis, a rejoins le rang des électeurs de Donald Trump, lui-même un « bully » (tyran, brute), un vote justifié par une enfilade interminable et ahurissante de propos aussi confus, contradictoires et improbables que ceux des jeunes protagonistes du film. Larry Clark avait sans doute vu juste (mais le savait-il seulement ?) : derrière la chair juvénile, maltraitée et marchandisée, rien, le vide, un vide terrifiant et la nausée. Imparable.
Image
Une belle mise à jour du master d’origine dont on croyait avoir fait le tour après le très solide DVD de 2002. Présent, le grain n’entache en rien une définition sensible mais pointue qui restitue avec bonheur les imperfections de peau d’un casting pas encore débarrassé de son acné. Le rendu est très organique malgré une compression parfois visible en basse lumière.
Son
Très soignée, la version française ne manque pas d’atours avec une dynamique agréable. Elle n’est supplantée que d’une courte tête par le mixage original, saturé d’ambiances, de musique, de cris et de soupirs. L’absence d’une vraie piste multicanale ne se fait jamais ressentir.
Interactivité
L’incontournable présentation de Jean-Baptiste Thoret ne fait que gratter la surface du film, laissant le véritable travail de fond pour un module de presque quarante minutes animé par Stéphane Du Mesnildot. Le critique nous éclaire sur la personnalité de Larry Clark et sa filmographie et propose une piste de lecture intéressante qui raccroche les wagons avec le Macbeth de Shakespeare, avec le cinéma d’épouvante, le vampirisme et le nombrilisme de nos chers millenials ultra-connectés. Le gros morceau reste pourtant le making-of, déjà connu des possesseurs du DVD de jadis (et donc restitué ici en définition standard) où acteurs, producteurs et figurants se livrent sans filtre entre deux prises et où Larry Clark trimballe son imposante silhouette de Pygmalion génial, discret et cryptique.
Liste des bonus
Présentation de Jean-Baptiste Thoret (8′), « Bully : Behind the scenes » (57′), « Bully revu par Stéphane Du Mesnildot » (39′).