Aujourd’hui terriblement normé, entre la synthèse lissée et l’animation réaliste et fluidifié au maximum, le cinéma d’animation a certainement perdu de cette magie d’autrefois qui permettait à cet art d’éprouver de nouvelles voies, de nouvelles techniques, d’autres formes de représentativités. Longtemps à la pointe de ce type de création, les pays de l’est, et en particulier la Hongrie, ont vu l’émergence dans les années 60/70 de György Kovásznai, chef de file d’une nouvelle vague résolument moderne, s’imprégnant des prouesses esthétiques et culturelles de son époque. Après une bonne vingtaine de court métrage, l’artiste réussit à faire produire son seul et unique long métrage, Bubble Bath, qui résonne nettement comme un véritable manifeste artistique et impressionne aujourd’hui encore par son excellence technique et sa profonde originalité. Un film d’animation pour adulte qui raconte le désarroi d’un jeune fiancé, attendu à son mariage, qui tombe en pâmoison devant l’amie de celle-ci.

Comme une bulle de savon

Réduit essentiellement à ce seul appartement où va se jouer un tango passionnel et désespéré, Bubble Bath est une simple comédie de mœurs sur l’inconstance des sentiments, la crainte d’une vie normée, la différence entre désirs et sentiments, la désillusion d’une génération mais avec l’habillage d’une comédie musicale enjouée (variété hongroise et disco kitch se pressent autour de notes de bossa nova), émaillée de grands moments de burlesque et de pur vaudeville. Curieux et décontenançant pour le moins, en particulier lorsque des segments de véritables témoignages documentaires redessinés s’intègrent dans le tout, mais aussi en constant renouvellement, en constante réinvention, le film fait souvent penser à certains élans de la Nouvelle vague française, presque à la Godard par ses thèmes, son humour et ses déconstructions, mais transposés dans une image dessinée. Là, loin de chercher toute forme de réalisme classique, Kovásznai fait de la superposition, du mouvement et donc de l’animation une peinture liquide se déformant délicatement ou outrageusement en fonction des sentiments des personnages, de l’atmosphère ou du rythme de la séquence. « Une comédie musicale animée, synchronisée aux battements du cœur », comme le décrit le réalisateur lui-même où les contours et les tableaux vibrent au gré des inspirations, offrant de superbes ponts entre les souplesses des cartoons des années 20/30, l’animation expérimentale et abstraire triturant la forme, et les derniers élans psychédéliques, s’inscrivant ainsi dans la lignée du récent Yellow Submarine.

Trop peu connu et reconnu, Bubble Bath mérite vraiment d’être replacé dans l’histoire du cinéma d’animation, fier représentant d’une époque beaucoup plus libre créativement, et dont le résultat est toujours aussi bluffant aujourd’hui.