TRAQUÉE
No One Will Save You – États-Unis – 2023
Genre : Science-Fiction
Réalisateur : Brian Duffield
Acteurs : Kaitlyn Dever, Zack Duhame, Lauren Murray, Geraldine Singer, Dane Rhodes, …
Musique : Joseph Trapanese
Durée : 93 minutes
Distributeur : Disney +
Date de sortie : 19 septembre 2023
LE PITCH
Mise à l’écart par la population de la petite ville où elle a grandi, Brynn Adams mène une existence solitaire dans une grande maison à la campagne. Une nuit, elle est réveillée par un intrus venu d’une autre planète …
Invasion
Débarqué sur Disney + sans tambours ni trompettes, Traquée (quel titre français à la con !) confronte un tout petit bout de femme à une invasion extra-terrestre aussi redoutable que mystérieuse. Pour son second effort derrière la caméra, le fanboy Brian Duffield dégaine un thriller de science-fiction particulièrement efficace et tendu et use et abuse de partis-pris de mise en scène à priori gratuits pour nous quitter sur une note aussi poétique que radicale. Gros coup de cœur, garanti sans spoilers.
Fils de missionnaires un tantinet excentriques et ado biberonné à la culture pop, Brian Duffield aurait tout à fait pu échouer dans la sphère d’influence de J.J. Abrams et cie mais le jeune homme a choisi une autre voie, enchaînant les « spec scripts » (ou scripts spéculatifs, c’est à dire écrits en dehors des commandes des studios ou des producteurs) tout en travaillant dans une fabrique de jeans. Ses manuscrits (dont Jane Got A Gun et The Babysitter) finissent par attirer l’attention et Duffield met un pied dans l’industrie hollywoodienne en acceptant de rédiger le scénario du deuxième volet de la saga Divergent. Et peu importe que ce sagouin d’Akiva Goldsman ait été embauché pour retoucher le résultat, sa carrière est enfin lancée. Duffield vend alors deux autres scripts, Underwater (un survival sous-marin virant au délire Lovecraftien) et Love & Monsters (John Hugues rencontre Ray Harryhausen sur fond de post-apo) et s’autorise un passage à la mise en scène en adaptant sous la forme d’une comédie noire à la Heathers le roman d’Aaron Starmer, Spontaneous. Bazardé sur Paramount + malgré des critiques sous le charme, Spontaneous peut être vu comme une note d’intention. Un point de départ original (alors que ses camarades de classe explosent les uns après les autres sous l’influence d’une drogue, une ado tombe amoureuse d’un geek rebelle), des influences à la pelle et fièrement affichées (John Hughes, Daniel Waters, Steven Spielberg et un soupçon des deux David, Cronenberg et Fincher) et une conclusion qui met à l’honneur l’amour et les rêves d’enfance.
No One Will Save You poursuit sur cette lancée acidulée en condensant sur un postulat de home invasion classique tout un pan de ce que la télé et le cinéma ont pu produire sur le thème du « petit homme vert » (ou gris) et des enlèvements et des invasions aliens. Outre le renvoi plus qu’évident au Signes de M. Night Shyamalan et aux antithétiques Rencontres du troisième type et Guerre des Mondes de Steven Spielberg, Duffield revendique aussi sa dette aux X-Files de Chris Carter et au méconnu (et excellent) Fire In The Sky de Robert Lieberman. Mais les citations ne sont pas une fin en soi et Duffield ne les laisse jamais prendre le pas sur son histoire, celle d’une jeune femme terriblement seule, rêveuse, pas comme les autres et bien décidée à ne pas rendre les armes pour protéger son petit coin de paradis. Une histoire racontée, étrangement, sans la moindre ligne de dialogue.
Silencio, silencio
À moins d’être averti à l’avance, il faut un bon quart d’heure au spectateur pour se rendre compte que No One Will Save You avance à vive allure en se passant du moindre échange dialogué. Un effet d’abord très discret mais qui finit par se faire sacrément remarquer lorsque le dernier acte pointe le bout de son nez avec son cortège attendu (espéré) de révélations. Pourquoi est-ce que toute une petite ville regarde cette pauvre Brynn de travers et jusqu’à ce qu’une femme lui crache à la figure, le regard dégueulant de haine ? Pourquoi les aliens débarquent et que nous veulent t-ils vraiment ? Et bien, les amis, désolé d’être celui qui apporte les mauvaises nouvelles, mais il faudra se contenter de ce qui se passe à l’écran. Et pour tout ce qui n’y est pas, vous êtes cordialement invités à vous servir de votre imagination et de vos tripes.
Ok. Mais pourquoi se passer de dialogues au bout du compte ? Pour souligner l’isolement total de Brynn et sa rupture avec la communauté ? Oui, ça se tient. Tout juste. Mais encore ? Brian Duffield n’aurait pas t-il chercher à se passer de dialogues pour faire le buzz et prouver qu’il sait tenir une caméra aussi bien que ses idoles ? Il est évident que le bonhomme maîtrise son cadre et son découpage avec une belle évidence, que le premier tiers est un modèle absolu de mise en place avec une tension qui monte très haut, très vite. Bon, c’est bien beau d’avoir du talent mais recourir à l’exercice de style juste pour pouvoir le crier sur les toits, ce ne serait pas un peu manquer d’humilité ? Ou alors, ne serait-ce pas pour faire remarquer à tous ceux qui seraient passés à côté que Kaitlyn Dever est une jeune actrice remarquable, capable de tenir tête à des envahisseurs venus d’une autre galaxie et de faire passer toute une palanquée d’émotions d’un simple clignement de cil ? La plus belle des théories, à coup sûr.
Mais alors que le suspense bât son plein, que le score de Joseph Trapanese fait de son mieux pour se hisser d’un James Newton Howard (et il s’en sort pas si mal) et que ces aliens au look pourtant si familier sont mis en valeur comme rarement, que ce soit par le traitement du son ou par des SFX très soignés, Brian Duffield profite du flou autour du comportement de ses envahisseurs pour nous acheminer sans prévenir vers un épilogue qui fera à coup sûr couler beaucoup d’encre. Il y a ceux qui ne pourront que le rejeter en bloc, déséquilibrés par le revirement brutal de tonalité par rapport à ce qui a précédé. Et il y a ceux qui, en renonçant à une quelconque rationalité, sauront savourer cette rupture aux multiples interprétations et dont la tendresse et la beauté cachent probablement un piège cruel. Là est la plus grande des qualités de No One Will Save You, dans cet acte de foi de plus en plus rare en la magie du cinéma. Dommage que l’on soit privé de grand écran pour en profiter comme il se doit.