THE PALE BLUE EYE
Genre : Policier
Réalisateur : Scott Cooper
Acteurs : Christian Bale, Charlotte Gainsbourg, Robert Duvall, Timothy Spall, Gillian Anderson, Toby Jones, Lucy Boynton, Harry Melling
Musique : Howard Shore
Durée : 128 minutes
Distributeur : Netflix
Date de sortie : 6 janvier 2023
LE PITCH
Hiver 1830. Cherchant à éviter un scandale, la toute jeune académie militaire de West Point dans l’État de New York engage les services du détective à la retraite de renom Augustus Landor pour élucider dans la discrétion un meurtre rituel. Pour l’aider dans son enquête, Landor s’attache les services d’un jeune cadet nommé Edgar Allan Poe …
Le cœur révélateur
Bien que l’œuvre d’Edgar Allan Poe ait connu d’innombrables adaptations au cinéma, l’écrivain lui-même a rarement été incarné à l’écran. Contournant la tentation du biopic pur et dur, le réalisateur de Crazy Heart et Hostiles adapte un roman de Louis Bayard où le poète et auteur de La Chute de la maison Usher (alors simple cadet dans une académie militaire) sert de sidekick à un redoutable détective porteur d’un terrible secret et mélange fiction et réalité historique au service d’un polar gothique d’une rare élégance.
D.W. Griffith, pas encore réalisateur de Naissance d’une Nation, est le premier, en 1909, à réaliser un film sur la vie d’Edgar Allan Poe. Mais qualifier l’oeuvre de biographie serait tout à fait exagéré. D’une durée de 8 minutes, Edgar Allen Poe (avec une faute tout à fait involontaire) se concentre sur les circonstances de l’écriture du « Corbeau », l’écrivain trouvant l’inspiration pour son célèbre poème alors qu’il s’occupe de sa femme Virginia, souffrante. Davantage attaché à la légende qu’à la réalité, The Raven de Charles Brabin est en 1915 une autre tentative du cinéma muet d’aborder la vie de Poe, de sa naissance à son mystérieux décès en 1849. The Loves of Edgar Allan Poe (1942) de Harry Lachman et The Man With A Cloak (1951) de Fletcher Markle s’essaient à une approche plus glamour, plus hollywoodienne, du « personnage », respectivement au travers du mélo et du film noir. Intéressant mais loin d’être à la hauteur du mythe. Exception faite d’une poignée de curiosités dont la plus intrigante est le quasi-invisible The Spectre of Edgar Allan Poe (1974) de Mohy Quandour avec Robert Walker Jr. et Cesar Romero, Poe est surtout devenu au fil des ans la guest-star ou le Monsieur Loyal des films adaptés de ses récits. Une caution meta, tout au plus.
Il faut donc attendre 2011 et le mal-aimé Twixt pour que Poe reprenne du poil de la bête devant la caméra prestigieuse de Francis Ford Coppola. Joué avec les pieds par un John Cusak venu empocher son chèque, The Raven (alias L’Ombre du Mal, brrrr) met aux prises l’écrivain avec un serial-killer s’inspirant de ses écrits dans un ersatz gothique de Se7en réalisé par James McTeigue (V for Vendetta et Ninja Assassin). Nul mais amusant.
Pour le film de Scott Cooper qui nous intéresse ici, Harry Melling fait sans peine oublier tous ses prédécesseurs et vient se glisser dans la peau (!) d’Edgar Allan Poe avec un mimétisme troublant. Le physique, l’élocution, l’étrangeté, le vague à l’âme et l’alcool : tout y est avec un surcroît d’émotion et une présence indiscutable.
Fait d’hiver
Aussi réussi soit-il, un film tout entier ne peut reposer sur un concours de sosie et Scott Cooper le sait bien. Reposant sur une trame de whodunnit on ne peut plus classique et reprenant tous les archétypes du genre, Un œil bleu pâle ne raconte pas une histoire mais en réalité deux. Voire trois. Et la première s’attache à répondre à toutes les attentes du spectateur avec un soin tout particulier, limite suspecte. De la bande originale à l’ancienne où l’on retrouve le Howard Shore du Silence des Agneaux et de Copland à la superbe photographie hivernale de Masanobu Takayanagi en passant par un casting cinq étoiles où se bousculent autour de Christian Bale et Harry Melling les toujours impeccables Toby Jones, Gillian Anderson, Timothy Spall, Charlotte Gainsbourg (dont le personnage est malheureusement sous-exploitée) ou encore le vétéran Robert Duvall, Un œil bleu pâle est un joyau noir fabriqué avec amour, luxueux et joliment académique. À la charge de l’inspecteur Landor (Bale, moins effacé que prévu et charismatique à souhait) et du spectateur de trouver l’assassin du soldat Fry, retrouvé pendu à un arbre et le cœur arraché après son passage à la morgue. Le début d’une romance entre Poe et la fille du médecin légiste, Lea Marquis (la belle et fragile Lucy Boynton) et le parallèle entre la conclusion de l’enquête et l »embryon de ce qui deviendra plus tard l’intrigue tout-à-fictive-mais-en-fait-pas-tant-que-ça de La Chute de la maison Usher viennent donner un peu de fond à une intrigue pour le moins convenue, si ce n’est tout à fait prévisible. Tout en éprouvant un vrai plaisir nostalgique à se retrouver face à une œuvre qui semble venir d’une tout autre époque (celle où l’on réalisait tout simplement des films – et rien d’autre), on en viendrait presque à se demander l’intérêt de l’histoire qui vient de nous être racontée.
« spoiler alert »
Le long épilogue vient rebattre les cartes et révéler le véritable projet de Scott Cooper. Derrière le vernis d’un drame bourgeois, de théories fiévreuses, de belles images et d’un romantisme en costumes se dissimulait en réalité la vengeance d’un père dont l’enfant a été victime du plus odieux des crimes, d’un acte de barbare pure et dure. Point de complot ou de sorcellerie mais une colère froide et calculée, exercée sans le moindre remords. Ce moment où l’amour cède la place à la haine. Jusqu’à un dernier plan déchirant. Loin de chercher à déconstruire la sophistication de l’œuvre de Poe (au contraire, le cinéaste n’a de cesse d’en souligner la singularité et la valeur), Cooper cherche tout bêtement à nous rappeler que derrière chaque histoire, derrière chaque œuvre de fiction, des êtres de chair et de sang souffrent, pleurent, se débattent, hurlent à la mort et cherchent en vain une explication au malheur qui les frappe si soudainement. Derrière chaque mort qui retient notre attention, fait la une des journaux ou enflamme notre imagination, combien de victimes anonymes, disparues sans que l’on y prête la moindre attention ? La question n’a pas fini de nous hanter.