THE KILLER
Etats-Unis – 2023
Genre : Thriller
Réalisateur : David Fincher
Acteurs : Michael Fassbender, Tilda Swinton, Charles Parnell, Arliss Howard, Sala Baker, Sophie Charlotte, …
Musique : Trent Reznor & Atticus Ross
Durée : 118 minutes
Distributeur : Netflix
Date de sortie : 10 novembre 2023
LE PITCH
Ayant raté un contrat à Paris, un tueur professionnel est contraint de se retourner contre ses employeurs avant de devenir une cible à son tour …
Le Professionnel
Trois ans après Mank, projet passion célébré seulement par une poignée d’initiés, David Fincher s’offre avec The Killer un retour aux sources et une vraie cure de jouvence. De cette expédition punitive aux quatre coins du globe menée par un Michael Fassbender impérial, le réalisateur de Se7en tire un élixir dont lui seul a le secret, un thriller sophistiqué et nihiliste, jubilatoire et ostentatoire, à l’ironie mordante.
Réfugié chez Netflix depuis 2016, David Fincher semble avoir un peu de mal à retrouver l’élan créatif qui, de Zodiac en 2007 à Gone Girl en 2014, lui a permis de s’imposer comme un cinéaste hollywoodien de premier plan, un auteur enchaînant les grands films avec une précision d’horloger suisse. Formidable reconstitution des débuts du Behavioral Science Unit (le département consacrée à l’étude des profils psychologique des tueurs en série) du FBI dans les années 70, la série Mindhunter laisse malheureusement un goût d’inachevé, faute d’une troisième saison qui devait servir de conclusion et qui ne verra jamais le jour. Producteur exécutif de l’anthologie de science-fiction animée Love, Death & Robots, il se contente d’en réaliser un court segment d’une vingtaine de minutes pour la troisième saison. Forcément frustrant. Quant à Mank, premier long-métrage du cinéaste pour la plateforme de streaming, il ne semble clairement pas destiné au grand public. Portant à l’écran un scénario écrit par son père Jack Fincher avant son décès, le réalisateur de The Game et de Fight Club explore le Hollywood de l’entre-deux guerres à travers le portrait d’un scénariste talentueux mais idéaliste et antipathique et la génèse du Citizen Kane d’Orson Welles. Un sujet de niche, donc, plongé dans un noir et blanc sépulcral et animé par un Gary Oldman au jeu volontairement distant et maniéré.
Dans les cartons depuis 2007, année où le projet fut à deux doigts de se concrétiser avec Brad Pitt dans le rôle-titre, The Killer est donc, pour David Fincher, de l’histoire ancienne. Il marque d’ailleurs ses retrouvailles officielles avec le scénariste Andrew Kevin Walker (géniteur de Se7en, pour les amnésiques). D’où, sans doute, cette impression tenace, dès le générique de début, de retrouver le formaliste décomplexé et pince sans rire de The Game, de Fight Club et de Panic Room. Une impression qui va très très vite se confirmer.
Au sommet de la chaîne alimentaire
Simple comme bonjour, l’histoire de The Killer entraîne un tueur à gage dans une quête vengeresse. Sa petite amie ayant sauvagement agressée pour le punir d’un contrat n’ayant pas été mené à son terme, l’assassin va s’employer à remonter la chaîne de ses commanditaires pour les dissuader une bonne fois pour toutes de s’attaquer à lui et aux siens. À chaque nouvelle rencontre, une mort violente. Jusqu’à une conclusion inattendue et antispectaculaire au possible, d’une absurdité parfaitement assumée. La narration est découpée en chapitres et les protagonistes ne sont définis que par leur fonction (la cible, la brute, le client, … etc), une afféterie qui semble clairement amuser le cinéaste. Lequel s’acharne à faire dérailler sa belle mécanique avec un acharnement ludique.
The Killer, œuvre méta ? La tentation d’y voir le geste d’un cinéaste s’amusant de sa préciosité et de ses obsessions est difficile à écarter. Surtout à quelques encablures de l’épilogue, lors de la rencontre ô combien surréaliste entre le tueur et un millionnaire incarné par Arliss Howard, quasi-sosie de Fincher lui-même. Un peu comme si une machine à écrire se mettait en tête de lancer un avertissement cinglant à l’écrivain qui la malmène tous les jours, lui rappelant sa place dans le grand ordre des choses de la vie. La façon dont Fincher confronte le style dégraissé jusqu’à l’os qu’il développe depuis Zodiac aux démonstrations de virtuosité clippesque qui traversaient ses premiers films est un autre indice quant à la vraie teneur de ce que l’on aurait tort de ne prendre que pour une simple récréation.
Bien sûr, il n’est pas interdit non plus de déguster The Killer pour ce qu’il est et pour ce qu’il nous a été vendu : une série B de luxe, linéaire, spectaculaire (le mano a mano entre Fassbender et Sala Baker est un sommet de brutalité cinétique), violente et méchante. Se voyant comme un super prédateur forgé par sa discipline, l’assassin interprété avec un dédain royal par un Michael Fassbender au jeu aiguisé comme une lame de couteau, déverse son mépris et son indifférence meurtrière de son prochain à longueur de voix-off, étayant son nihilisme au stade terminal d’une enfilade de statistiques de plus en plus délirantes. Et sa philosophie de se résumer en un singulier doigt d’honneur. « I. Don’t. Give. A. Fuck. ». La faucheuse en personne n’aurait pas dit mieux.