THE FABELMANS
Etats-Unis – 2022
Genre : Drame
Réalisateur : Steven Spielberg
Acteurs : Paul Dano, Michelle Williams, Gabriel Labelle, Seth Rogen
Musique : John Williams
Durée : 150’
Distributeur : Universal
Date de sortie : 22 février 2023
LE PITCH
Passionné de cinéma, Sammy Fabelman passe son temps à filmer sa famille. S’il est encouragé dans cette voie par sa mère Mitzi, dotée d’un tempérament artistique, son père Burt, scientifique accompli, considère que sa passion est surtout un passe-temps. Au fil des années, Sammy, à force de pointer sa caméra sur ses parents et ses sœurs, est devenu le documentariste de l’histoire familiale !
Journal Intime
Après avoir traversé des décennies de cinéma, exploré une quantité de genres, formaté des générations de spectateurs au pouvoir de l’image, Steven Spielberg n’a plus rien à légitimer et pourrait arrêter sa carrière ou se reposer sur ses lauriers. Mais le monsieur n’est pas de ces gens-là. Filmer c’est vivre et la camera sa respiration.
Il n’a plus rien à prouver depuis longtemps. Pourtant, il se renouvelle constamment. Après avoir passé une bonne partie de sa carrière à construire des films pour le plus grand plaisir des spectateurs, il s’est tout doucement orienté vers des œuvres plus personnelles. Ces longs métrages plongent à chaque fois plus profondément vers des films lui ressemblant davantage, se livrant un peu plus personnellement par pellicule interposée. Ses films se font de moins en moins grand public mais tout autant passionnants. Il peut tout faire et sa notoriété lui permet tous les risques, tous ses rêves. Son avant dernier opus s’attaque à l’une des plus grandes comédies musicales de tous les temps. Son West Side Story ne rivalise pas avec l’original mais se le réapproprie, le dépoussière amoureusement pour offrir un spectacle virevoltant, magistral, un hommage sans commune mesure au Hollywood d’antan, magique et aérien. La sortie du film est un échec cuisant et sans appel ; les spectateurs post Covid préférant se déplacer en masse vers des blockbusters décérébrés et sans génie.
Spielberg a les capacités de rebondir. Un cinquième Indiana Jones est en préparation et le succès est déjà acquis, accompagné d’un gros chèque livré en sus. Lucide, Steven veut passer à autre chose. L’homme au lasso il connaît. Il préfère rester producteur et plancher sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Pragmatique, il sait qu’à son âge les projets qu’il veut réaliser valent mieux que les billets verts. S’il a parsemé au long des années ses œuvres d’éléments personnels, il est grand temps de les affronter et de les exposer frontalement.
Psychanalyse
Un divorce est pour chacun l’ayant vécu une épreuve difficile à vivre pour différentes raisons. Pour Steven Spielberg c’est le traumatisme d’une vie. Sa filmographie parle pour lui. De Rencontres du troisième type à La Guerre des mondes, le cadre familial tant idéalisé est mis à mal touchant de près le cinéaste au point de se livrer plus intimement avec E.T. et le quasi biographique Arrête-moi si tu peux. Si la pilule n’est jamais passée, il n’en dénigre pas pour autant ses parents à qui il voue une admiration sans bornes. The Fabelmans, son dernier film leur est dédié. Il faut du courage, beaucoup de courage pour s’attaquer à un film autobiographique. Pas d’égocentrisme mal placé ni d’ego démesuré. Spielberg se livre sous les traits de Sam Fabelman, enfant ordinaire, qui après avoir découvert le cinéma, va s’avérer être un metteur en scène extraordinaire.
En réalisant cette chronique de l’enfance, il s’efface derrière son sujet, ôte tous les artifices de mise en scène pour parler, certes de lui et de son cheminement vers l’homme qu’il est ; mais aussi pour parler à tous les adultes en devenir. Aux déracinés, aux laissés-pour-compte, aux enfants harcelés, aux rêveurs. Son film (et en parallèle sa vie) parle de tout cela. Lui, enfant juif maltraité par la lâcheté antisémite dont l’histoire avec un grand H semble répéter les erreurs, lui enfant obligé de perdre ses racines au gré des déménagements familiaux, lui déchiré par l’explosion du couple idéalisé de ses parents, la seule chose tangible de son microcosme. Son refuge : l’image, le cinéma ou comment la passion devient une vie, la pellicule devient espoir. Se lancer corps et âme dans son rêve, ne jamais abandonner.
Maturité
The Fabelmans parle de tout cela. Spielberg évite le lacrymal, évite les tentations de trop en dire pour ne pas se disperser. S’il ponctue son film d’easter egg, il occulte volontiers des souvenirs connus de sa fanbase pour parler au plus grand nombre et ne pas fonctionner en circuit fermé. L’exercice est difficile, il n’ose pas toujours aller frontalement au fond du sujet. Son harcèlement scolaire dû à son judaïsme est rapidement éclipsé par une romance. Si celle-ci est crédible, la scène où la dulcinée lui parle de christianisme et de Jésus dénote, voir embarrasse de maladresse. Le sujet est ailleurs. Le film est avant tout une ode au cinéma. Le septième art agit sur Sam comme une thérapie, il est le médium qui remplace les mots. Spielberg nous offre sur un plateau les mécanismes de sa mise en scène. De ses premiers court-métrages façonnés aux systèmes D, à l’exploration du montage (révélant la cause du futur divorce), il nous donne une leçon de cinéma sans en avoir l’air. Intrinsèquement avec la mort de la grand-mère par exemple et scénaristiquement ensuite lorsqu’il nous démontre le pouvoir de la manipulation de l’image via son film scolaire présenté au bal de fin d’année. Le film est porté par une direction d’acteurs (autre marque de fabrique de Spielberg) admirable. Son alter ego d’adolescent ne joue pas, il se métamorphose en ersatz de son metteur en scène. Michelle Williams en mère amoureuse et névrosée mérite amplement sa nomination aux Oscar. Que dire de Paul Dano ; tout en retenue, son regard exprime à lui seul toute une palette de sentiments. Du grand art. Le film parle d’une enfance, d’une adolescence, on aurait voulu prolonger l’expérience, vivre avec le personnage son arrivée à Hollywood. Celle-ci se contente d’ellipses et d’une rencontre fordienne d’importance pour le jeune apprenti cinéaste. En un plan, un mouvement de caméra, Steven Spielberg nous montre qu’il a bien retenu la leçon par un plan final aussi judicieux que drôle.
Le film se termine là où la légende commence. L’enfant Steven n’est plus en colère, l’adulte Spielberg est plus réfléchi, et sa thérapie nous est profitable.