Depuis sa création en 1998, Carlotta Films n’a cessé de montrer son appétence pour le cinéma italien, que ce soit celui des grands auteurs comme Pasolini ou De Sica, mais également du cinéma Bis avec notamment les récentes éditions de Démons de Lamberto Bava ou encore de Demonia de Luci Fulci. Un catalogue de films qui devrait donc s’étoffer encore un peu avec la sortie en salles de sept films cet été, avant une probable (possible ?) sortie en Blu-Ray.

Parmi les films présentés, nous avons tout d’abord été surpris de retrouver l’excellente fable anti-cléricale de Nino Manfredi, Miracle à l’italienne, parmi la liste. En effet, le premier long-métrage de l’un des monstres sacrés de la Comédie à l’italienne est sorti en HD il y a seulement trois ans dans la collection Make my day de Studio Canal… mais dans une version courte, la copie présentée par Carlotta comptant près de vingt minutes de plus ainsi qu’un Master différent datant de 2021 ! Œuvre magistrale d’un Manfredi aussi à l’aise devant que derrière la caméra, et bien aidé par le directeur de le photographie Armando Nannuzzi (collaborateur entre autres de Visconti, Comencini, Risi…), cette satire douce-amère mérite ainsi une relecture avec la présence d’un segment mettant notamment en valeur le grand Lionel Stander.

Parmi les petits miracles cinématographiques dénichés par Carlotta pour cette rétrospective, difficile de pas cacher notre joie d’y trouver Seule contre la Mafia de Damiano Damiani et La Légende du Saint-Buveur d’Ermanno Olmi, qui étaient toujours inédits en support vidéo chez nous. Le film d’Olmi, qui sort d’ailleurs en Blu-Ray le 22 août, est un véritable OFNI dans sa filmographie. En effet, pour la première fois de sa carrière, le réalisateur d’Il posto ou de L’arbre aux sabots (Palme d’or à Cannes) a alors pris le pari de tourner en dehors de son Italie natale (dans un Paris magnifiquement photographié, quasi-fantastique), à partir d’une histoire n’émanant pas de sa personne (en l’occurrence le livre éponyme de Joseph Roth qui eut à peu près le même sort que le « héros » du livre…) et surtout avec des acteurs professionnels dont l’incroyable Rutger Hauer qui signe tout simplement l’une de ses plus impressionnantes prestations en vagabond lunaire et imbibé en quête de dignité.

Sicile, terre de cinéma

En ce qui concerne le film de Damiani, il s’agit de l’un de ses films les plus célèbres en Italie, inspirée de l’histoire vraie d’une femme sicilienne ayant refusé d’épouser son violeur, un jeune mafieux… fait quasi-traditionnel alors qu’on nomme « le mariage réparateur ». Tout à la fois dénonciation de l’omnipotence de la Mafia et de la Loi de l’Omerta, le film est avant tout le remarquable portrait d’une jeune femme campée par la très jeune Ornella Muti. Âgée de seulement 15 ans, l’actrice pour sa première apparition au cinéma se révèle bouleversante et complètement habitée par son rôle. Un grand film engagé à ne pas louper !

La sortie de L’Affaire Mori de Pasquale Squitieri en VOST et en intégralité est une autre très bonne nouvelle pour les amateurs de cinéma politique, puisqu’il n’existait qu’une édition DVD de 2005 signée Seven 7. Spécialiste de la question sicilienne (Lucia et les gouapes, Corleone…), Squitieri dévoile une page de l’Histoire italienne méconnue avec l’intervention du « préfet de fer » Cesare Mori en Sicile dans les années 1930 pour combattre la Mafia. Avec ses grands maquis traversés à cheval, ses propriétaires terriens et un Giuliano Gemma impérial, le film ferait presque songer à un western. Sorti pendant les « années de Plomb », on peut également y voir un clin d’œil du cinéaste à son époque et à l’inactivité des politiques face à Cosa Nostra… Enfin, il n’oublia évidemment pas de faire participer sa femme, la grande Claudia Cardinale, malheureusement réduite à un rôle de figuration.

Parfums de scandale

Après Muti et Cardinale, une autre actrice italienne de légende est également mise à l’honneur par cette rétrospective, la « bellissima » Sophia Loren, totalement irrésistible dans l’un des fleurons de la Comédie italienne, Hier, aujourd’hui et demain, tourné par son Pygmalion Vittorio De Sica, aussi à l’aise dans le néoréalisme que dans la farce. Reposant essentiellement sur le duo formé par la Loren et Marcello Mastroianni, le film est composé de trois sketchs (fait récurent dans la Comédie italienne) où la napolitaine irradie la pellicule de son charme notamment lors d’un strip-tease culte qui ne laisse pas de marbre… Un indispensable qui était déjà proposé en DVD par Carlotta.

Enfin, le cinéma italien a régulièrement créé le scandale dans son histoire et il n’est donc guère surprenant de retrouver deux films sulfureux comme Portier de nuit de Liliana Cavani et Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola. Ce dernier, sous couvert de comédie, signe un film particulièrement sordide sur la pauvreté dans les grandes villes italiennes. Porté par un Nino Manfredi antipathique à souhait dans l’un de ses plus grands rôles, le film demeure toujours aussi dérangeant…mais peut-être moins que celui réalisé par Liliana Cavani en 1974 !

En effet, près de 50 ans après sa sortie, Portier de nuit (restauré en 2018 sous la supervision de la réalisatrice) conserve son parfum de scandale et son odeur de souffre avec cette impensable histoire d’amour, sous le signe du Syndrome de Stockholm théorisé l’année précédente, entre un geôlier nazi et sa jeune prisonnière… Censuré en Italie, classé X dans certains pays, il demeure toujours aussi perturbant et éprouvant. Parfaitement maîtrisée, la réalisation s’appuie sur un duo d’acteurs au sommet, avec un Dirk Bogarde ahurissant en désaxé et la troublante Charlotte Rampling. Outre l’aspect érotique, voire sado-maso, du film, il est à noter qu’il fit aussi scandale pour sa vision d’une Autriche où les ex-nazis auraient encore beaucoup de pouvoir…