NOSFERATU
Etats-Unis – 2024
Genre : Horreur
RĂ©alisateur : Robert Eggers
Acteurs : Bill SkarsgĂĄrd, Nicholas Hoult, Lily-Rose Depp, Aaron Taylor-Johnson, Emma Corrin, Willem Dafoe, Simon McBurney, Ralph Ineson…
Musique : Robin Carolan
Durée : 132 minutes
Distributeur : Universal Pictures France
Date de sortie : 25 décembre 2024
LE PITCH
Nosferatu est une fable gothique, l’histoire d’une obsession entre une jeune femme tourmentée et le terrifiant vampire qui s’en est épris, avec toute l’horreur qu’elle va répandre dans son sillage.
Mort et heureux de l’ĂŞtre…
S’attaquer à Nosferatu, en 2024, présente une sacré gageure. Apporter un peu de sang neuf au mythe du vampire, c’est une ligne ambitieuse. Il fallait bien un Robert Eggers et son univers artistique affirmé pour s’attaquer à un tel projet.
Il arrive que certains rĂ©alisateurs fantasment un projet durant de longues annĂ©es et finissent par concrĂ©tiser leur vision de l’Ĺ“uvre en question, se noyant sous les rĂ©fĂ©rences ou dans des parti-pris calamiteux. Un exemple comme un autre : Dario Argento qui a longtemps tournĂ© autour pour enfin livrer son FantĂ´me de l’OpĂ©ra d’assez sinistre mĂ©moire. Pour Robert Eggers, le projet longtemps dĂ©sirĂ©, remontant Ă sa jeunesse, est celui d’une nouvelle version de Nosferatu, inspirĂ© autant par le film initial de Murnau (1922), que de son premier remake signĂ© Werner Herzog (1979). Avec ce quatrième long-mĂ©trage, le rĂ©alisateur de The Witch signe Ă©galement son second film de studio après The Northman. Quel intĂ©rĂŞt de rĂ©aliser une version 2024 d’une double Ĺ“uvre dĂ©jĂ passĂ©e Ă la postĂ©ritĂ©, elle-mĂŞme librement adaptĂ©e du Dracula de Bram Stocker ? De fait, cette nouvelle variation autour du mythe du comte Orlok s’inscrit assez nettement dans l’hĂ©ritage scĂ©naristique et formel que l’on Ă©tait en droit d’attendre. Le formaliste Eggers y trouve matière Ă livrer un film gothique de premier ordre, peut-ĂŞtre l’une des plus belles reprĂ©sentations du mythe vampirique vue depuis très longtemps sur un Ă©cran. AccompagnĂ© de son fidèle directeur de la photographie Jarin Blaschke, le rĂ©alisateur connu pour son esthĂ©tisme rigoureux y compose des scènes et des plans d’une beautĂ© Ă la fois spectrale et incandescente, mĂŞlant teintes froides et chaudes, jouant sur les ombres et les contrastes, un parti-pris par instants quasi monochromatique, des images picturales faisant de ce Nosferatu 2024 une Ĺ“uvre visuellement de toute beautĂ©.
Sexualisation et possession
La plus grosse limite que l’on pourra avoir avec le film serait celle d’un certain manque de surprise, puisqu’Eggers, qui signe l’adaptation, relie avec application les diffĂ©rentes balises de ses Ĺ“uvres rĂ©fĂ©rences, sans y adjoindre le moindre Ă©cart. LĂ oĂą il fait mouche cependant, c’est dans sa façon de s’emparer de certains motifs et thèmes pour les dĂ©velopper Ă sa mesure. Ainsi, la reprĂ©sentation du comte Orlok en lui-mĂŞme s’Ă©loigne considĂ©rablement des prĂ©cĂ©dentes incarnations de Nosferatu, et en cela, Eggers y livre sĂ»rement la plus fascinante et passionnante incarnation du vampire. Si Murnau filmait l’Ă©nigmatique Max Schreck sous le maquillage, que Herzog canalisait tant bien que mal son ennemi prĂ©fĂ©rĂ©, le volcanique Klaus Kinski, Eggers cadre amoureusement un vĂ©ritable monstre, derrière lequel on peine clairement Ă reconnaĂ®tre Bill SkarsgĂĄrd. Le comĂ©dien qui interprĂ©tait dĂ©jĂ le clown de It, donne vie (!) au monstre, autant qu’il s’efface derrière le maquillage imposant d’un Orlok au premier abord assez dĂ©gueulasse, mais progressivement humanisĂ© avec un style aristocrate moustache et raie sur le cĂ´tĂ© qui le rend d’autant plus effrayant. L’aspect Ă la fois physique et purulent du comte est l’une des grandes rĂ©ussites de cette version. Eggers y tente des choses, parfois en Ă©quilibre prĂ©caire sur une ligne de crĂŞte, lorsqu’il l’affuble d’un accent roumain Ă couper au couteau (les premiers Ă©changes avec Thomas Hutter sont particulièrement dĂ©sarçonnant Ă ce niveau), un choix finalement payant. La sexualisation du vampire, ainsi que son emprise et sa domination sur ses proies est Ă©galement mise en avant et dĂ©veloppĂ©e de manière beaucoup plus frontale que prĂ©cĂ©demment. LĂ oĂą Coppola misait sur l’aspect romantique avec une pointe de sexe transgressif mais somme toute dans la retenue dans son chef d’Ĺ“uvre Dracula, le rĂ©alisateur de The Lighthouse ouvre les vannes d’une relation charnelle plus que dĂ©bridĂ©e, qui confine Ă une forme d’adoration et de possession. De possession, il en est justement ouvertement question ici, plus que jamais, lorsque Ellen Hutter se retrouve progressivement sous l’emprise de plus en plus violente d’Orlok. DĂ©jĂ en pleine possession de ses moyens dans ce registre dès son premier film The Witch, Eggers y pousse encore davantage un thème qui semble le passionner, Ă travers des scènes de crise assez dĂ©mentielles, et portĂ©es par une Lily Rose-Depp qui crève littĂ©ralement l’Ă©cran dans un rĂ´le somme toute compliquĂ© et casse-gueule. DĂ©vouĂ©e corps et âme au personnage, elle y dĂ©montre un lâcher-prise et un talent Ă toutes Ă©preuves, jusqu’Ă un final oĂą l’Ă©motion vient inonder et ponctuer un rĂ©cit jusqu’alors froid comme la mort. Un ultime plan aux accents picturaux une fois de plus.
Excès de générosité
MalgrĂ© tout, quelques menus problèmes empĂŞchent de crier au chef-d’Ĺ“uvre pour ce film, peut-ĂŞtre le plus accessible de son auteur. Si Willem Dafoe joue un professeur chasseur de vampire ultra-crĂ©dible (mais dans sa zone de confort), que Nicholas Hoult y dĂ©ploie un Thomas Hutter correct bien qu’un peu falot et que Aaron Taylor-Johnson parvient Ă faire exister un personnage peu dĂ©veloppĂ© sur le papier, ce Nosferatu 2024 n’Ă©vite pas la dĂ©mesure d’une longueur un poil excessive, parsemĂ© de quelques passages longuets. Pour autant, on pourra avancer que Robert Eggers pĂŞche par un excès de gĂ©nĂ©rositĂ© dans un univers qui le passionne visiblement au moins autant que le spectateur, ce-dernier ressortira de la projection des images assez dingues plein la tĂŞte, et qui continueront Ă infuser l’esprit très longtemps après. Impossible de bouder son plaisir.