NIGHTMARE ALLEY
Etats-Unis – 2022
Genre : Drame
Réalisateur : Guillermo del Toro
Acteurs : Bradley Cooper, Rooney Mara, Cate Blanchett, Toni Collette, David Strathairn, Willem Dafoe, Ron Perlman…
Musique : Nathan Johnson
Durée : 150 minutes
Distributeur : The Walt Disney Company France
Date de sortie : 19 janvier 2022
LE PITCH
Fin des années 30 dans l’Amérique profonde. Stanton Carlisle jette un cadavre dans le parquet éventré d’une masure avant de l’incendier. Il croise ensuite la route d’une foire itinérante où, embauché comme aide d’un mentaliste, il va tenter de tout apprendre de lui.
La monstrueuse parade
Bientôt quatre ans que la créature de La Forme de l’Eau a emporté dans ses bras squameux un Lion d’Or à la Ô combien honorable Mostra de Venise. Et puis ce fut l’Oscar. Récompenses rares pour un film fantastique, auxquelles même Le Labyrinthe de Pan, beaucoup plus tragique et tout autant méritant n’eut pas droit. Lors de son discours au Dolby Theatre, Guillermo del Toro profita de cette occasion inespérée pour défendre son genre de prédilection. Et les amateurs du monde entier de rêver à une tardive mais légitime reconnaissance d’un cinéma souvent mis de côté par l’intelligentsia et qui aurait pu engendrer une recrudescence de projets autour de lui. Perdu. Quatre ans plus tard, le cinéma fantastique n’a pas beaucoup bougé. Et c’est dans cette ambiance un peu morose, un peu post partum, que Guillermo del Toro ressurgit enfin. Et bien qu’auréolé des prestigieuses statuettes, nous revient toujours fidèle à lui-même, avec un film mettant une fois encore en avant ces monstres qu’il chérit tant, dans une ambiance de film noir à l’atmosphère proprement étouffante.
Et ce dès son introduction, où le héros, Stanton Carlisle, trace sa route vers l’inconnu après s’être débarrassé d’un cadavre et laisser une maison en flammes derrière lui. Un vagabond qui porte sur lui les stigmates de la Grande Dépression. Le destin va alors mettre sur sa route une fête foraine itinérante et sa ménagerie de personnages hauts en couleurs : une voyante (Toni Collette), une brute épaisse (Ron Perlman), une femme capable d’absorber l’électricité (Rooney Mara) et surtout un mentaliste (David Strathairn) auprès duquel il va apprendre toutes les ficelles du métier de manipulateur. Derrière le divertissement bon marché, toute une industrie du vice, de la corruption et de la déchéance, où on n’hésite pas à fabriquer littéralement des monstres pour amuser la clientèle, s’en foutre plein les poches tout en ayant invariablement les deux pieds bien ancrés dans la boue.
Les âmes noires
Nightmare Alley est l’adaptation d’un roman de William Lindsay Gresham (Le Charlatan, en Français). Un roman déjà adapté au cinéma en 1947 par Edmund Goulding (avec un Tyrone Power plus sombre qu’à l’accoutumée) et dont l’écrivain accouche après des entretiens avec un ancien artiste de foire. Une critique du milieu artistique proche des caniveaux qui supporte sans mal une transposition dans le Hollywood d’aujourd’hui et d’hier, fussent-ils plus glamour. D’ailleurs, après avoir côtoyé la crasse, la violence et la peur, son héros réussit son ascension inespérée vers les salles de velours rouge du grand monde. Son numéro prend de l’ampleur, son talent se déploie, il remplit les cabarets et finit par s’allier à une riche psychologue. Ensemble, ils vont duper des puissants en situation de faiblesse absolue.
En construisant l’intégralité de sa narration autour de son héros torturé (il ne le quitte jamais et offre du même coup à Bradley Cooper LE rôle de sa carrière) Guillermo del Toro nous offre un film à l’ancienne, très classique dans son écriture, d’une linéarité absolue durant laquelle le spectateur passe par tous les sentiments le concernant : d’abord l’empathie puis le doute avant enfin de discerner, peut-être, derrière son ambition, les desseins les plus noirs. Un tour de force qui prend encore une autre dimension dès l’apparition du personnage de Cate Blanchett, vénéneuse jusqu’au vertige. Son apparition marquant d’ailleurs une rupture de ton qui relance définitivement un rythme qui aura potentiellement laissé quelques spectateurs sur le carreau.
La griffe du passé
Sur la forme, le film profite de la science du cadre de son auteur doublée d’une photo somptueuse, qui convoque parfois les chefs d’œuvre du film noir voire le fameux expressionnisme allemand des débuts (le final, magnifique, dans le jardin enneigé et ses tons clairs/obscurs). Côté casting, del Toro s’entoure de grands noms même pour ses rôles les moins exposés et ainsi nous offre le plaisir de revoir un court moment la toujours délicieuse Mary Steenburgen ou le caméléon Richard Jenkins, parfait en riche industriel aussi tourmenté qu’inquiétant.
Avec son classicisme esthétique et narratif qui fait fi des codes actuels, Nightmare Alley risque de ne pas faire l’unanimité (à l’heure où ses lignes sont écrites, il y a fort à parier que le film vive déjà ses dernières heures dans les salles) mais la maîtrise, la patte del Toro elle, est bien présente. On pourrait alors, pour finir, se poser la question du pourquoi d’une telle adaptation, pourquoi adapter une histoire datant des années 40. Question qui vaut d’ailleurs aussi pour Edgar Wright et son Last Night in Soho. Et Spielberg, tiens, avec West Side Story. Trois grands auteurs, trois visionnaires (n’ayons pas peur des mots !) qui puisent leur inspiration dans le passé. Un passé soi-disant ancien, par définition passé de mode, mais qui raconte, comme nul autre que lui, les histoires les plus contemporaines qui soient. A méditer.