MEGALOPOLIS
Etats-Unis – 2024
Genre : Fantastique
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Acteurs : Adam Driver, John Voigt, Giancarlo Esposito, Laurence Fishburne, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBoeuf…
Musique : Osvaldo Golijov
Durée : 138 minutes
Distributeur : Le Pacte
Date de sortie : 25 septembre 2024
LE PITCH
La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Megaloppola
Dire que l’on attendait Megalopolis avec passion est un bel euphémisme. Treize ans que le parrain du Nouvel Hollywood n’avait pas réalisé de nouveaux films. Après son passage très critiqué au dernier Festival de Cannes, Megalopolis s’offre enfin à nos yeux aussi bien ébahis que désespérés.
Si le film met tout le monde d’accord sur un point, c’est sur la longue attente du film et sur le fantasme des spectateurs à l’idée de découvrir cet OVNI à cent vingt millions de dollars. Faute de financement et surtout par une volonté indéniable d’indépendance dont a toujours voulu faire preuve Francis Ford Coppola, le réalisateur joue la carte de l’autofinancement pour ce blockbuster que l’on pourrait croire d’un autre âge. L’auteur a toujours été en marge des grands esprits des studios d’antan en défendant le cinéma underground avec la force de frappe des majors. Depuis les années 70, il défend son concept via la création de sa société American Zoetrope. Coppola a misé sa fortune personnelle ; il n’en est pas à son coup d’essai dans ce milieu puisqu’il l’avait déjà expérimenté à l’époque d’Apocalypse now. Pour lui, c’est la seule alternative afin de ne pas trahir ses ambitions artistiques et de ne pas se mettre à la solde de producteurs véreux où le pouvoir financier serait primordial. Mais le prix de l’indépendance coûte cher, le metteur en scène en a déjà fait les frais au début des années quatre-vingt avec les dépassements de budget mirobolants de son Coup de cœur qu’il a mis plus de dix ans à rembourser. Il a fallu son passage à Cannes et le courage du distributeur LionsGate pour distribuer le film.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que, non pas son film divise, mais plutôt qu’il désarçonne voire déçoit. Non pas la faute à sa mise en scène inventive et jusqu’au-boutisme mais plutôt par un scénario confus (et coécrit avec le fiston Roman ) et une direction d’acteurs non pas approximative mais grand guignolesque. Avec une mention spéciale à Shia LaBeouf. (Mais à qui la faute ?).
Pourtant, on a envie de l’aimer ce film. Pour Coppola d’abord, qui à 85 balais se lance dans l’œuvre d’une vie. 40 ans qu’il mijote ce projet. Comme souvent, lorsque la cuisson est trop longue, les choses se délient jusqu’à l’indigestion. On a déjà évoqué ce scénario non linéaire et peu compréhensible, ce New-York mythologique censé représenter la Rome antique avec faste et volupté. Mais ce péplum futuriste a beau s’annoncer comme une fable (un carton en début de film nous le confirme) celle-ci est trop hermétique pour que le spectateur y adhère vraiment.
La chute de l’empire américain
Le casting se part d’atouts magnifiques ; Adam driver, John Voight, Lawrence Fishburne, Dustin Hoffman … (Mais qui refuserait de tourner pour le parrain ?), néanmoins, personne ne semble savoir ce qu’il fait là. Coppola improvise comme à son habitude, laissant libre cours à l’inspiration du moment. Il se concentre plus volontiers sur sa mise en scène et les images qu’elle véhicule que sur sa compréhension. Malheureusement, le contenant est plus fort que le contenu et nous nous retrouvons face à une magnifique et resplendissante coquille vide. Pleins d’éléments dans le film restent en suspens sans réelle explication. Nous aurions voulu le voir développer nombre de sujets, le voir aller au bout de ses envies, l’arrêt du temps, la création de la société futuriste, le climat anxiogène de cette société au bord du même gouffre que celle d’aujourd’hui. Même si elles sont empreintes de métaphores, celles-ci sont parfois trop faciles et mal amenées. Des personnages sont sous-développés (mention spéciale à Dustin Hoffman qui n’apparaît que dans deux ou trois scènes -rôle initialement prévu pour James Caan s’il n’avait pas eu la mauvaise idée de mourir avant) alors que d’autres frôlent le ridicule. Coppola, dans son esprit d’indépendance, crée une œuvre d’art à l’image d’un peintre, une forme de liberté peut-être jamais vue en forme d’ambition budgétaire mais une forme d’expression hermétique se déroulant en vase clos. Pourtant, les images trotteront longtemps dans nos têtes comme un bel exercice d’esthétisme pour finalement nous poser cette question cruciale ; que ressort-il de Megalopolis ? Un film fascinant et déconcertant, grandiose et ridicule, aussi fabuleux qu’ennuyeux, ambitieux et consternant… Un ratage peut-être, mais un ratage avec panache ! Le succès, sans surprise n’est pas au rendez-vous. Coppola est quitte à revendre ses vignes. Mais il y a fort à parier que les années bonifieront le film et comme toute œuvre maudite, celle-ci sera réévaluée avec le temps. Avant-gardiste, Francis Ford Coppola, serait-il en avance ou en retard sur son temps ? Le metteur en scène signe son chant du cygne sur une note aussi haute que sa folie des grandeurs. Aimons ou détestons mais apprécions l’œuvre pour ce qu’elle est : la vision d’un homme entièrement dévoué à son art.
Son dernier film sera sans doute son ultime opus visible sur grand écran. Combien de jeunes metteurs en scène oseraient prendre le risque de faire un long-métrage pareil ? Sûrement aucun. Alors rien que pour cela, chapeau l’artiste, vous méritez bien le titre de Don Coppola !