MAESTRO
Etats-Unis – 2023
Genre : Drame
Réalisateur : Bradley Cooper
Acteurs : Bradley Cooper, Carey Mulligan, Matt Bomer, Maya Hawke, Sarah Silverman, Michael Urie, …
Musique : Leonard Bernstein
Durée : 129 minutes
Distributeur : Netflix
Date de sortie : 20 décembre 2023
LE PITCH
Au cours d’une interview qu’il donne pour la télévision à son domicile, vers la fin de sa vie, le compositeur et chef d’orchestre Leonard Bernstein se souvient de sa femme, l’actrice Felicia Cohn Montealegre….
Allegro…
Bradley Cooper est un veinard. Après avoir reçu le soutien de Clint Eastwood pour son premier long-métrage derrière la caméra, A Star Is Born, en 2018 (avec un triomphe à la clé), son second effort bénéficie cette fois-ci du parrainage de Martin Scorsese, Steven Spielberg et Netflix. Rien que ça ! Pas tout à fait à la hauteur de ses vastes ambitions, Maestro propose néanmoins un biopic à la marge, sensible et anticonformiste, plastiquement superbe, de l’immense Leonard Bernstein. Bradley Cooper peut souffler, il vient de justesse de passer le cap – réputé difficile – du second film.
Alors qu’au cinéma le biopic s’apparente de plus en plus à un croisement consensuel entre une fiche Wikipedia et une visite au Musée Grévin (voir la bande-annonce de One Love, le film consacré à Bob Marley, pour s’en convaincre), la plateforme de streaming Netflix investit de coquettes sommes dans une sorte de contre-modèle dont Maestro est clairement le dernier rejeton. Mötley Crüe en 2019 avec The Dirt de Jeff Tremaine, Herman J. Mankiewicz en 2021 avec Mank de David Fincher, Marilyn Monroe en 2022 avec Blonde d’Andrew Dominik et aujourd’hui Leonard Bernstein devant la caméra de Bradley Cooper, la chaîne au N majuscule réaffirme son attrait pour les personnalités controversées, pour un mélange de provocation et de complexité, et pour les portraits qui s’échinent à sortir des sentiers battus.
Co-auteur du scénario avec Josh Singer, Bradley Cooper nous épargne donc un très redouté « best-of » des épisodes de la vie et de la carrière du directeur de l’orchestre philharmonique de New York et compositeur de West Side Story et préfère se concentrer sur sa vie de couple et ses zones d’ombre. Une belle idée malheureusement mise à mal par une absence tangible de point de vue. Gourmand, Cooper refuse de choisir entre le portrait de femme, le rapport entre la musique, l’ego et la sexualité et le conflit subtil entre la popularité de l’interprète et la solitude de l’auteur. S’il ne néglige jamais le potentiel cinématographique et émotionnel de ces thématiques, le cinéaste s’épuise à passer de l’une à l’autre sans pouvoir y rendre pleinement justice. Malgré de très beaux moments, Maestro ne fait qu’effleurer la surface de la vie et de l’œuvre de Leonard Bernstein. Un sentiment encore renforcé par des excès de pudeur maladroits et contradictoires. Comment rendre compte de la passion dévorante pour la musique et pour les hommes qui animait Leonard Bernstein tout en gardant très prudemment ses distances et en composant un mélodrame raffiné ? Bradley Cooper échoue à résoudre l’impossible équation.
… Non troppo
À l’indiscutable frustration du traitement de fond se substitue (à l’arraché) le ravissement des sens. En étroite collaboration avec le directeur de la photographie Matthew Libatique (un fidèle de Spike Lee et Darren Aronofsky), Bradley Cooper compose un festin visuel qui alterne entre la couleur et le noir et le blanc et triture le format de l’image, mariant ainsi le passage du temps à la santé de la vie intime du musicien et de son image publique. Impeccable directeur d’acteurs et de toute évidence incollable sur son sujet, Cooper parvient à transcender par l’image des scènes sans doute déjà très fortes sur le papier. Le coup du sort (et le coup de téléphone) qui, en 1943, propulse Bernstein à la tête du Philharmonique de New York, la rencontre avec Felicia, les séances de répétition de la comédie musicale On The Town, la dispute conjugale très inspirée d’Ingmar Bergman et de Douglas Sirk sous une lumière automnale, la splendide reconstitution du concert de 1973 dans la cathédrale d’Ely en Grande-Bretagne ou encore la discussion entre Bernstein et sa fille entre mensonges et rumeurs relèvent considérablement le niveau et font oublier les hésitations et les baisses de régimes.
Très crédible dans la peau de Leonard Bernstein (oubliez les drôles de polémiques sur sa prothèse nasale qui n’aura choqué que quelques twittos en mal d’attention), Bradley Cooper se laisse volontiers voler la vedette par Carey Mulligan. Resplendissante, virtuose, l’actrice britannique opère un authentique tour de force dans son interprétation de Felicia Cohn Montealegre Bernstein, épouse déterminée et amoureuse, mère courageuse et véritable cheffe d’orchestre derrière le chef d’orchestre. Comédienne, activiste sociale, icône discrète, Felicia est le point d’ancrage du film et son cœur battant. Maestro ? Un titre sans doute erroné. Bradley Cooper aurait mieux fait d’appeler son film Maestra !