LE DOSSIER MALDOROR

Belgique, France – 2024
Genre : Thriller
Réalisateur : Fabrice Du Welz
Acteurs : Anthony Bajon, Alba Gaïa Bellugi, Alexis Manenti, Sergi López, Laurent Lucas, David Murgia, Béatrice Dalle, Lubna Azabal, Jackie Berroyer, Mélanie Doutey…
Musique : Vincent Cahay
Durée : 155 minutes
Distributeur : The Jokers Films
Date de sortie : 15 janvier 2025
LE PITCH
Belgique, 1995. La disparition inquiétante de deux jeunes filles bouleverse la population et déclenche une frénésie médiatique sans précédent. Paul Chartier, jeune gendarme idéaliste, rejoint l’opération secrète « Maldoror » dédiée à la surveillance d’un suspect récidiviste. Confronté aux dysfonctionnements du système policier, il se lance seul dans une chasse à l’homme qui le fera sombrer dans l’obsession.
Justice Sauvage
Pour son huitième film de fiction, et après son documentaire La Passion selon Béatrice, le cinéaste belge Fabrice Du Welz plonge dans la noirceur en livrant sa version de l’affaire Dutroux, traumatisme dans son pays, qu’il dépeint de manière fictionnalisée dans Le Dossier Maldroror. Pour un résultat qui remue !
Cinéaste singulier, Fabrice Du Welz n’a eu de cesse tout au long de sa filmographie de réaliser des œuvres souvent exigeantes, tutoyant les frontières du cinéma de genre, mais surtout ancrées dans un imaginaire de cinéma très fort et sensible. On peut évidemment citer le mal-aimé Vinyan (2008), mais aussi et surtout sa trilogie des Ardennes, composée de Calvaire (2004), Alleluia (2014) et Adoration (2019). Des films à faible budget, clivants, qui ont pour point commun de n’avoir jamais su trouver leur place auprès du grand public, avec des gamelles au box-office, quand bien même ils ont su, a minima, déclencher le débat dans la sphère cinéphile. Même ses incursions dans le cinéma plus mainstream : Colt 45 (2014) et Message from the King (2017) ont été de (douloureux) échecs. Bien que son statut d’auteur soit incontestable, le cinéaste bruxellois n’a pas encore trouvé l’alchimie entre ses aspirations artistiques et son désir de film plus grand public. Avec Le Dossier Maldoror, la donne pourrait changer. Bien qu’il ne cède finalement que très peu sur ses exigences, Du Welz épouse ici un carcan de thriller noir qui sied un peu plus aux attentes des spectateurs.
Les liens du sang
Librement adapté, voire volontairement fictionnalisé sur la base du postulat de la très médiatisée et traumatique affaire Dutroux dans les années 90 en Belgique, Le Dossier Maldoror n’est en tout cas pas plus léger dans son ton et son approche que pouvaient l’être les précédents travaux de Du Welz. On y suit l’enquête d’un jeune gendarme, Paul Chartier (Anthony Bajon, à fleur de peau), idéaliste assoiffé de justice, qui va tirer le fil d’un dossier qui lui file sans cesse entre les doigts, celui du kidnapping de plusieurs adolescentes en Belgique. Une affaire de pédocriminalité autour d’un suspect multirécidiviste, Marcel Dedieu (Sergi López, qui incarne un personnage absolument abject et dégueulasse sur tous les plans), épicentre d’un plus vaste réseau de trafiquants locaux de stupéfiants et de vies humaines. L’une des grandes forces de ce huitième film de fiction signé Du Welz est de ne pas céder une once de terrain à la noirceur réclamée par un tel sujet. En pleine maîtrise de ses aspirations et conscient de ses influences, le cinéaste appuie sans retenue sur la représentation du long et pénible cheminement vers la vérité du personnage de Chartier, en parallèle d’une forme de rédemption dans sa vie personnelle. Il ne lui épargne rien, lui octroie un passé plus que chaotique, et prend soin de lui associer tout un pan de vie familiale qu’il prend le temps de dépeindre pour renforcer l’ampleur de sa chute. Ainsi, le film déploie dans sa première partie une longue séquence de mariage qui renvoie autant à Coppola qu’à Cimino et sert à cimenter les relations familiales fortes autour de Paul Chartier, de sa femme Jeanne Ferrara (bouleversante Alba Gaïa Bellugi) et de la communauté sicilienne dont elle est issue, en opposition à la déliquescence des liens sociaux des « monstres » qu’il peut dépeindre par ailleurs.
Rage intérieure
Si Le Dossier Maldoror s’appesantit sur l’enquête, la recherche des victimes et la traque de pédocriminels, il fait surtout le choix de dénoncer un réseau, une organisation plus large et tentaculaire (piste initialement évoquée pour l’affaire Dutroux, mais néanmoins écartée par les autorités), qui s’étend jusqu’aux plus hautes institutions. Il se fait également le témoin d’une justice totalement dysfonctionnelle, qui se met elle-même des bâtons dans les roues, dépeignant les luttes entre les différents services (gendarmerie, police communale et nationale), et les positions et ambitions de ses principaux représentants, aboutissant à un fiasco sans nom. En découle un film assez passionnant à cet égard, explorant le procédural pour mieux exposer sa mécanique grippée, au sein duquel l’individu doit se battre face aux éléments et obstacles qui empêchent (volontairement ?) l’avancée de l’enquête. Chartier fait du sauvetage des jeunes kidnappées un but ultime dans une existence marquée par la délinquance et un héritage familial lourd à porter, quitte à laisser sur le bord de la route toute sa vie personnelle pour aboutir à une justice illusoire et presque naïve. La terrible descente aux enfers du gendarme, alors que l’obsession pour l’affaire Dedieu le dévore progressivement de l’intérieur, n’est pas sans rappeler la contagion du Mal travaillée par William Friedkin. Du Welz et son co-scénariste Domenico La Porta dépeignent l’amateurisme des forces de l’ordre, autant que la lourdeur des injonctions administratives, décuplant la rage intérieure de Chartier, un bouillonnement qu’Anthony Bajon incarne jusqu’à la folie et réveillant en lui une sorte de bestialité enfouie, seule apte à apporter un point final à cette quête désespérée. L’écriture du film n’évite pas, à cet égard, le piège de la caricature dans la composition de certains personnages, notamment le notable interprété par Jackie Berroyer, au demeurant absolument glaçant (comme il pouvait l’être sur un autre registre dans Calvaire), ainsi que toutes les petites frappes entourant Dedieu et ses affaires. Le caractère de certains membres des forces de l’ordre n’échappe pas non plus à une forme de rigidité, sensation qui peut heurter la crédibilité de l’histoire, tout comme certaines facilités et raccourcis scénaristiques, associés à un manque de nuance dans la caractérisation. Même si Anthony Bajon est stupéfiant de naturel et d’instinct animal, il suit un fil de déliquescence physique et mentale qui aurait mérité un peu plus de nuances par instants.
Plongée âpre et rugueuse dans les fondements de l’âme humaine et de ses bas-instincts, film noir, malsain et désespérant, Le Dossier Maldoror est par ailleurs porté par la maîtrise visuelle de son réalisateur, qui emporte tout dans un geste de cinéma brutal et énervé. En bon descendant du Friedkin de Cruising et Rampage.