LE DERNIER VOYAGE
France – 2020
Genre : Science-Fiction
Réalisateur : Romain Quirot
Acteurs : Hugo Becker, Lya Oussadit-Lessert, Paul Hamy
Musique : Etienne Forget
Durée : 87 minutes
Distribution : Tandem
Date de sortie : 19 mai 2021
LE PITCH
Dans un futur proche, une mystérieuse lune rouge est exploitée à outrance pour son énergie. Alors qu’elle change brusquement de trajectoire et fonce droit sur la Terre, Paul W.R, le seul astronaute capable de la détruire, refuse d’accomplir cette mission et disparaît. Traqué sans relâche, Paul croise la route d’Elma, une adolescente au tempérament explosif qui va l’accompagner dans sa fuite.
Décollage immédiat
Au milieu de la foule de films qui sortent (et ressortent) le 19 mai se trouve un petit film de science-fiction français, tourné dans le désert marocain avec un budget restreint. Un projet qui ne part donc pas gagnant pour réussir à se démarquer mais pourtant, avec son imagerie post-apo pulp et une croyance indéniable dans son sujet, Le Dernier Voyage est une des plus jolies surprises que le cinéma de genre français nous ait offert ces dernières années.
Premier long métrage de Romain Quirot, le réalisateur s’était fait remarquer avec les documentaires Un Jour Peut-Être – Une autre histoire du rap français et Sans Réseau, en étant co-auteur du dytique Gary Cook (deux romans de SF) et surtout le court métrage Le Dernier Voyage De L’Énigmatique Paul W.R, qui lui valut plus d’une cinquantaine de prix dans différents festival et dont Le Dernier Voyage est une réadaptation en long-métrage.
Si ce succès critique a pu lui permettre de se faire financer son premier long métrage, faire de ce premier film un film de science-fiction lui valut le refus de plusieurs producteurs puisque selon eux « la SF ne marche pas en France ». On passera sur le fait que la science-fiction est une invention française et qu’elle possède toujours de nos jours un grand vivier de créateurs français en bandes dessinées et en romans qui rencontre beaucoup de succès. C’est grâce aux producteurs Fannie Pailloux et David Danesi que le projet a pu être monté, avec un tournage en mode « commando » dans le désert marocain sur un très court temps mais avec une équipe complètement impliquée dans le projet, Romain Quirot étant notamment aussi cadreur (et monteur) pour gagner du temps de tournage.
Fury Road Movie
Ce tournage à l’économie se ressent-il sur le produit final ? Sur l’imagerie, aucunement. Le Dernier Voyage possède un univers visuel assez inédit et réjouissant dans le paysage français qui mêle le post-apo avec des paysages désertiques et vestiges détruits de notre société (la Tour Eiffel), le rétro-futurisme dans les designs des véhicules (la Peugeot volante du héros ou la fusée, tout en rondeur) et des lieux visités (la station-service), mais aussi l’influence du cinéma de Neil Bloomkamp où se côtoient l’usé et le high-tech (l’armure des gardes et les visions du camp des réfugiés). Des styles épars mais suffisamment bien digérés et représentés (très beau boulot de Digital District) pour qu’ils arrivent à se nourrir les uns et autres et créer un univers cohérent de bout en bout permettant l’implication et la croyance du spectateur dès les premières minutes.
Là où le manque de moyen se fait cependant ressentir c’est dans le déséquilibre de la narration dû à la très courte durée du film (1h27 générique compris). Si les enjeux, les personnages et l’univers sont très bien exposés lors du premier acte et que le deuxième acte alterne scènes d’action et moment contemplatifs qui développent la relation entre Paul et Alma, le film est subitement rattrapé par le temps dans les dernières vingt minutes où tout s’accélère très (trop) vite. Une accélération qui se fait au détriment de certains personnages, principalement Elliot, l’antagoniste, dont la confrontation avec Paul ne possède pas l’impact émotionnel que leur background, et leur relation avec la lune rouge (qui en font des doubles inversés) promettait, mais aussi du climax qui s’enchaine directement après ça, sans que l’on ait vraiment eu le temps de s’y préparer. Un manque qui est heureusement rattrapé par les derniers plans du film, poétiques et silencieux, qui ralentissent le rythme et nous permettent de quitter l’histoire avec émotion plutôt que frustration.
Envol
Une conclusion positive qui raccorde avec la grande qualité qui anime le film pendant sa grosse majorité, son immense sincérité. On l’a dit, l’univers du film est crédible grâce à ses designs soignés mais aussi grâce à ses qualités d’écritures, de réalisation et d’interprétation. Bien qu’elle soit au croisement de plusieurs genres de la science-fiction, l’histoire reste complètement accessible à tous les publics car elle est avant tout traitée sous l’angle du conte. Un traitement évident dès l’introduction narrée par la voix et les dessins de Paul enfant, mais aussi parce que les deux personnages principaux que l’on va suivre, Paul et Elma, sont les seuls à avoir garder un lien avec l’enfance et donc un point de vue différents des autres. Elma par son âge et Paul par l’incident et les visions qui le lient avec la lune rouge depuis son jeune âge.
Au niveau de la réalisation, Romain Quirot utilise très bien le joli scope du film pour composer plusieurs plans qui restent bien en tête après la vision du film et si la caméra épaule est la plupart du temps favorisée, elle reste tout de même lisible lors des scènes d’action et plusieurs séquences font mouche, notamment une baston de bar sur le Couleur Menthe à L’eau, d’Eddy Mitchell. Et lorsque le faible budget ne permet pas à certaines scènes d’aller au bout de leurs idées (la tempête ou le crash aérien), il reste quand même quelques bonnes idées pour les introduire ou les détourner (le reflet rouge de la tempête qui envahit le visage de Paul et Elma avant leur entrée dedans ou le crash vu du point de vue de Paul, semi-conscient, qui rythme sa chute par ses absences et permet de laisser l’atterrissage hors-champ). Du côté des acteurs, le duo Paul-Elma est très bien servi par l’excellente alchimie entre Hugo Becker et Lya Oussadit-Lessert, la révélation du film, qui possède une présence et une maturité impressionnante pour son âge (12 ans au moment du tournage).
La SF française est plutôt mal servie sur les écrans ces dernières années et chaque échec condamne malheureusement les projets suivants. C’est une vrai chance qu’un projet comme Le Dernier Voyage débarque dans nos salles, un film fait par des gens passionnés et talentueux qui aime le cinéma de genre. On espère grandement que ce dernier voyage est le premier d’une longue série.