L’AFFAIRE DE LA MUTINERIE DU CAINE
The Caine Mutiny Court Martial – Etats-Unis – 2023
Genre : Drame
Réalisateur : William Friedkin
Acteurs : Kiefer Sutherland, Jason Clarke, Jake Lacy, Monica Raymund, Lance Reddick, Lewis Pullman, …
Musique : Aucune
Durée : 109 minutes
Distributeur : Paramount +
Date de sortie : 17 janvier 2024
LE PITCH
Dans un tribunal militaire de l’US Navy à San Francisco, le lieutenant Barney Greenwald assure la défense du lieutenant Stephen Maryk, officier en second de l’U.S.S. Caine, accusé de mutinerie par le commandant Queeg à l’occasion d’un typhon en plein Golfe Persique, …
Des hommes d’honneur
C’est donc à titre posthume que Paramount + assure en ce début d’année 2024 la distribution de L’Affaire de la mutinerie du Caine, quelques mois après sa présentation en avant-première, en septembre dernier, à la Mostra de Venise. Dernier film du grand William Friedkin (mais aussi, triste hasard du calendrier, de l’acteur Lance Reddick), cette adaptation maîtrisée de bout en bout de la pièce de théâtre d’Herman Wook offre une conclusion idéale à l’imposante carrière du réalisateur de L’Exorciste.
Également auteur du scénario, William Friedkin rêvait en effet de porter à l’écran la création d’Herman Wook (elle-même dérivée d’un roman qui valut à l’auteur un prestigieux prix Pullitzer en 1951 et qui fut adapté pour le cinéma par Edward Dmytryk trois ans plus tard) depuis un sacré bout de temps. On peut même dire, outre sa prédilection certaine pour le huis clos, qu’il nous en avait déjà donné un avant-goût, à deux reprises. La première fois en signant un (fabuleux) remake des Douze hommes en colère de Sidney Lumet pour le petit écran. La seconde fois en s’attirant les foudres de la critique avec L’Enfer du devoir, autre drame judiciaire ayant cette fois-ci pour cadre un tribunal militaire et marqué par un rebondissement final dont on se demande encore vingt ans après s’il peut-être vu comme une provocation, un éclair de génie ou une preuve de malhonnêteté crasse, ou tout cela en même temps ! Si l’on ignore combien de réécritures le projet a pu subir au fil des ans, la version qui nous parvient aujourd’hui dégraisse le matériau original jusqu’à l’os et en propose une mise à jour minimaliste. L’action se déroule désormais en 2023 et l’acte de mutinerie dont la légitimité est longuement débattue est survenu au large des côtes iraniennes et non plus dans le Pacifique. Quant au personnage de John Challee, l’officier menant l’accusation, il est cette fois-ci incarné par une femme. Pour le reste, Friedkin se garde bien de moderniser l’intrigue en y ajoutant des smartphones ou des présentations Power Point ou tout autre « gadget » pour amuser la galerie et fait de sa salle d’audience le symbole d’une institution (l’U.S. Navy) presque trois fois centenaire, sobre et solennelle.
D’apparence modeste, conçu pour le petit écran, forcément bavard et (diront les pisse-froids) « tout juste bon à tuer le temps un dimanche après-midi pluvieux » L’Affaire de la mutinerie du Caine vient à point nommé pour rappeler aux distraits et aux ingrats l’incroyable précision de la mise en scène de William Friedkin, son don inné pour l’ambiguïté morale et son talent incomparable de directeur d’acteurs.
Le maître de guerre
Tout l’enjeu dramatique de cette histoire revient à juger le caractère d’un homme en apparence désagréable, de mauvaise foi, dépassé et peu aimé de son équipage. Venu défendre son honneur et une carrière supposée exemplaire face à un officier en second bien plus jeune et accusé de s’être montré déloyal, le commandant Philip Francis Queeg (un Kiefer Sutherland sur le fil, tantôt inébranlable, tantôt pathétique) devient très vite la cible de la défense menée par un avocat opiniâtre et talentueux mais en proie au doute quant à la moralité et à la justesse de son action. Dans le débat qui fait rage, la question de la subjectivité au regard de la loi est posée. L’approche scénique pour laquelle opte Friedkin est impitoyable. Témoins et accusés se retrouvent au centre d’un triangle où les forces de l’accusation, de la défense et de la cour tentent vainement de s’équilibrer. Le cinéaste choisit l’angle et la valeur de ses plans pour suggérer aussi subtilement que faire se peut les mouvements dans les rapports de force. Avec l’évidence de la simplicité, avec trois fois rien si ce n’est le rythme des dialogues et leur musicalité, le cinéaste, alors âgé de 87 ans délivre ce que l’on appelle communément une leçon de mise en scène et retire de son casting des interprétations au cordeau (mentions spéciales au regretté Lance Reddick et à Jason Clarke, dans un rôle étrangement similaire à celui qu’il tient dans Oppenheimer).
Pourtant, malgré les apparences, L’Affaire de la mutinerie du Caine se refuse à cocher toutes les cases du film de « vieux maître ». Habité par le doute jusqu’à la fin, William Friedkin préfère l’insolence à la sagesse et semble se reconnaître tout à la fois dans le personnage de Greenwald et dans celui de Queeg. Il est prêt à tout, prêt à bousculer les normes, à trahir ses valeurs et à faire grincer des dents pour arriver à ses fins. Mais il est aussi un loup de mer fatigué, soucieux de sa réputation, irrité par l’arrogance et l’opportunisme de ceux qui prétendent à sa succession, à la limite de la paranoïa et de la crise de nerfs. En ce sens, Friedkin prend les armes contre l’un de ces clichés qui a la dent dure : tuer le père, effacer son héritage pour imposer le sien. Il s’y oppose en deux temps. Le premier, le plus long, est celui de la réflexion, du débat, où il est vital de savoir lire entre les lignes et de remettre en cause les certitudes. Le second, le plus bref, le plus jouissif est celui de la provocation. Un dernier doigt d’honneur pour mettre fin à 56 ans d’une carrière forçant le respect et l’admiration. William David « Hurricane Billy » Friedkin, tu vas nous manquer !