L’ENFER DES ARMES
第一類型危險 / Dangerous Encounter Of The 1st Kind – Hong-Kong – 1980
Genre : Drame
Réalisateur : Tsui Hark
Acteurs : Albert Au, Lung Tin-Sang, Che Biu-Law, Lin Chen-Chi, Lo Lieh, Ray Lui, Bruce Barron, …
Musique : Divers
Durée : 95 minutes
Distributeur : Splendor Films
Date de sortie : 7 février 2024
LE PITCH
Trois jeunes hommes renversent un vagabond en voiture lors d’une virée nocturne. La petite sœur d’un inspecteur de police, une adolescente sociopathe et solitaire, est témoin de l’accident. Elles décident de faire chanter le trio et les entraîne dans une spirale de violence…
Anarchy in the HK
Après un passage au PIFFF et au Festival Lumière à Lyon en fin d’année dernière, la copie restaurée de L’Enfer des armes, le troisième long-métrage de Tsui Hark, s’apprête à débarquer dans les salles de France et de Navarre pour dynamiter les rétines de toute une nouvelle génération de cinéphiles et pour taquiner la mémoire des anciens. Attention, ce film mord !
Conclusion tout à fait officieuse de ce que certains nomment la « Trilogie du Chaos », L’Enfer des armes marque la première incursion du futur réalisateur de The Blade dans le polar urbain. Après le Wu-Xia Pan (The Butterfly Murders) et le film d’horreur (Histoires de Cannibales), Tsui Hark se confrontent donc enfin aux ruelles étroites, aux barres de béton et aux bas-fonds sordides de l’ancienne colonie britannique. Son inspiration, il la puise dans les émeutes de mai et décembre 1967 et dans un attentat à la bombe perpétré dans un cinéma trois ans plus tard, des événements sanglants qui ébranlèrent Hong Kong et firent brièvement vaciller le système.
Dynamiter, renverser, bouleverser, agresser, ainsi pourrait-on résumer le programme de L’Enfer des armes, manifeste punk et nihiliste d’un virtuose de 29 ans et accessoirement fer de lance de la nouvelle vague du cinéma de Hong-Kong. Un programme d’ailleurs contrarié par la censure locale, peu favorable à laisser à la portée de tous un film dont la radicalité et la violence croisent l’anarchisme et la liberté de ton d’un Jean-Luc Godard (façon À bout de souffle et Week-end) avec l’ironie acerbe et le cynisme ricanant d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Authentique galerie de sociopathes violents, sans la moindre excuse et sans l’ombre d’une possible rédemption, le premier montage de L’Enfer des armes est recalé par les producteurs et les distributeurs. Forcé de revoir sa copie en quelques semaines seulement, Tsui Hark repart en tournage et change le point de départ de son histoire. De terroristes, Paul, Lung et Ko, nos trois anti-héros, deviennent, à la faveur de ce nouveau montage, des victimes. Pour avoir écrasé un marginal et pris la fuite en pleine panique, ils attirent l’attention de Wan-Chu (ou Pearl, selon les traductions), une jeune femme dérangée et prête à faire son payer son mal-être (avec les intérêts) à tous ceux qui ont le malheur de croiser sa route. Enchaînant les méfaits divers et variés, le quatuor se retrouvent vite dans le collimateur de trafiquants d’armes yankees, de membres des Triades et de la police. S’il arrondit (un peu) les angles en gratifiant certains de ses personnages de circonstances atténuantes et en faisant de l’incarnation du Mal suprême des ricains de bande-dessinée sans foi ni loi et caricaturé à l’extrême, Tsui Hark parvient néanmoins à conserver intacte la noirceur à peine croyable d’un film précurseur, héritier sans concessions des yakuza eiga de Kinji Fukasaku et ancêtre lointain du Tueurs Nés d’Oliver Stone et du Nocturama de Bertrand Bonello.
Voie sans issue
Montage cut ultra-percutant, découpage abrupt favorisant le mouvement et l’énergie, jeux de focales écrasant les perspectives ou les exacerbant, la caméra de Tsui Hark ne laisse aucun répit au spectateur, nous impressionne puis nous emprisonne dans un labyrinthe urbain d’où il semble impossible de s’échapper. Spectateurs et personnages sont jetés au quatre coins du cadre pour s’y fracasser et rebondir vers la scène suivante. L’Enfer des armes prend à toute allure la forme d’un immense jeu de flipper sadique et mal élevé (on enfonce des aiguilles dans la tête d’une souris, on jette un chat par la fenêtre pour qu’il s’empale sur une grille, on jette des clopes allumées dans le slip d’une racaille trop entreprenante, on force des touristes à se mettre à poil sous la menace d’une bombe, etc, etc) qui culmine dans un affrontement armé sans le moindre vainqueur et situé dans un immense cimetière écrasé par un soleil de plomb. À la fois bis et tragique, noyé sous le plomb, la sueur, le sang et la bile, le climax convoque des références à La Horde Sauvage (pour la fusillade à la Pyrrhus), au Bon, la Brute et le Truand (pour le décor, évidemment) et à Massacre à la tronçonneuse (pour la conclusion ricanante, hystérique et macabre). En dépit de ses aspects bricolés renforcés par une bande-son qui multiplient les emprunts pas très légaux à Jerry Goldsmith, à John Williams et à Jean-Michel Jarre (!) et d’une interprétation très inégale où Lo Lieh et l’étonnante Lin Chen-Chi dominent des partenaires de jeu qui en font souvent des caisses, L’Enfer des armes surprend constamment par son inventivité, ses ruptures de ton et une maîtrise du cadre instinctive.
Au-delà du plaisir de (re)découvrir une œuvre de jeunesse qui met les pieds dans le plat avec une insolence réjouissante et de plus en plus rare à l’heure actuelle, l’érudit comme le néophyte se retrouvent face à face avec un concentré de cinéma qui passe au shaker un bon paquet de thématiques chères au cinéaste. Le rapport aux occidentaux, la violence qui résulte d’une crise d’identité profonde pour la jeunesse de Hong-Kong, le chaos et le karma, la fragilité du groupe et la détermination de l’individu. L’Enfer des armes posent les bases de The Blade, de Time and Tide, et des deux premiers volets d’Il Était une Fois en Chine mais il le fait comme une chanson des Ramones ou des Sex Pistols pourrait le faire : en vociférant, en brûlant tout sur son passage et en dressant un majeur bien tendu aux gardiens de la morale et des bonnes manières. Fuck it !