HINTERLAND
Autriche, Belgique, Luxembourg, Allemagne – 2021
Genre : Thriller, Historique
Réalisateur : Stefan Ruzowitzky
Acteurs : Margarethe Tiesel, Murathan Muslu, Liv Lisa Fries, Max von der Groeben, Marc Limpach, Aaron Friesz
Musique : Kyan Bayani
Durée : 98 minutes
Distributeur : Eurozoom
Date de sortie : 28 décembre 2022
LE PITCH
Vienne, 1920. Après l’effondrement de l’empire austro-hongrois, Peter Perg, soldat de la Grande Guerre revient de captivité. Tout a changé dans sa ville, où le chômage et les pulsions nationalistes prennent chaque jour un peu plus d’ampleur. Il se sent étranger chez lui. Soudainement, plusieurs vétérans sont brutalement assassinés. Touché de près par ces crimes, Peter Perg s’allie à Theresa Korner, médecin légiste, pour mener l’enquête.
Dark City
Stefan Ruzowitzky, cinéaste autrichien dont le nom ne résonne pas nécessairement à l’oreille du grand public, à l’image d’une carrière un peu étrange, au fil conducteur assez insaisissable, marquée par le double slasher Anatomie en 2000 et 2003 et surtout mise en lumière par Les Faussaires, thriller oscarisé meilleur film étranger en 2007. Ruzowitzky revient avec un projet qui ne manque pas d’ambition, Hinterland, un film d’enquête historique que l’on situera pour schématiser à gros traits entre Se7en de David Fincher et Vidocq de Pitof.
Peter Perg (le massif et magnétique Murathan Muslu) y incarne un soldat autrichien revenant de la Grande Guerre en 1920, qui regagne la capitale Vienne. Ancien inspecteur de police, il est réquisitionné par les forces de l’ordre pour tenter d’appréhender un mystérieux et sadique assassin qui s’attaque à des vétérans de retour du conflit. Traque d’un serial killer à la Belle Époque, dans un geste qui tente de réussir là où l’affreux film de Pitof avait lamentablement échoué. Un rapprochement esthétique et technique dans le sens où la particularité première d’Hinterland est de façonner ses environnements à grand renfort de décors numériques incrustés dans l’image, habillant des comédiens filmés sur fond vert (ou bleu, c’est selon). Cette combinaison d’imagerie réelle et numérique est une démarche qui, ne nous le cachons pas, a de quoi faire peur en termes visuels. Pour un rendu qui s’avère néanmoins beaucoup plus intéressant et réussi que son prédécesseur français, littéralement irregardable aujourd’hui.
Numérique et psychologique
Si Hinterland marque les esprits sur un point, c’est donc son esthétique à la personnalité affirmée. Stefan Ruzowitzky et son équipe artistique relèvent le défi de représenter une Vienne complètement fantasmée, baroque au possible, sombre et biscornue, à l’architecture alambiquée, directement issue d’un cauchemar gothique ou d’un film de Tim Burton. La direction artistique, qui lorgne évidemment du côté de l’expressionnisme allemand, est l’argument principal du film. Et force est de constater que, après un temps nécessaire d’adaptation à cette approche particulière, le film assure un style visuel la plupart du temps assez réussi, proposant de véritables peintures animées à l’écran. Une démarche qui gagne surtout en pertinence à l’aune de l’ultime scène du film, qui vient lever le voile et légitimer la signification profonde de ce choix visuel, moins gratuit et plus judicieux qu’on aurait pu le penser. D’autant qu’il est mis au service d’un discours captivant sur l’après-conflit pour ces soldats cabossés par la vie. Sans jamais jouer non plus la subtilité à tous crins, Stefan Ruzowitzky soumet une approche assez intéressante du retour des vétérans laissés pour compte et considérés comme des pestiférés par la société et le pouvoir autrichien. Menés par un désespoir profond, ils sont comme des étrangers au sein d’une capitale qu’ils ne reconnaissent plus, gangrenée par la pauvreté et le racisme. Une toile de fond idéale pour l’émergence d’un serial killer et un récit policier dont le déroulé ne vole cependant pas très haut, suivant un cheminement tout tracé et globalement dépourvue de tout suspense, empilant les passages obligés du genre, pour, au final, donner l’impression de constituer une articulation greffée pour s’assurer un aspect plus commercial et une forme de caution populaire.
Si l’ambiance et l’atmosphère sont des éléments forts qui fonctionnent indéniablement bien, le trop plein de numérique, l’omniprésence du virtuel finissent par lasser et se retourner contre le film. L’immersion dans cet univers où la crasse et la lutte des classes dominent étant relativement chaotique pour le spectateur, la froideur qui s’en dégage débouche sur une absence quasi-totale d’émotion. Paradoxal, entre expérience vertigineuse et esthétique artificielle, Hinterland reste cependant un honnête thriller historique, à l’identité visuelle très marquée, mais au récit trop classique et balisé qui ne lui permet pas de dépasser le stade du film sympathique mais anecdotique.