L’EXORCISTE : DÉVOTION
The Exorcist : Believer – États-Unis – 2023
Genre : Horreur
Réalisateur : David Gordon Green
Acteurs : Leslie Odom Jr., Lidya Jewett, Olivia O’ Neill, Jennifer Nettles, Norbert Leo Butz, Ann Dowd, Ellen Burstyn, …
Musique : David Wingo, Amman Abasi
Durée : 111 minutes
Distributeur : Universal Pictures
Date de sortie : 11 octobre 2023
LE PITCH
Portées disparus pendant plus de trois jours, deux jeunes filles de 12 ans, Angela et Katherine, sont retrouvées dans une grange et en état de choc. De retour à leur domicile, une série d’incidents et un comportement de plus en plus inquiétant laissent croire à une possession démoniaque. Ne sachant plus vers qui se tourner, Victor, le père d’Angela, entre en contact avec Chris McNeil dont la fille Regan fut jadis possédée par le démon Pazuzu …
Méfiez-vous des imitations
Tout juste rescapé de sa trilogie Halloween, le réalisateur David Gordon Green (toujours sous la bannière Blumhouse) s’attaque à un autre classique indéboulonnable du cinéma d’horreur, L’Exorciste du regretté William Friedkin. Un pari autrement plus risqué et qui ne tolère pas la demi-mesure pour une « franchise » sur laquelle beaucoup, sinon tous, se sont déjà cassé les dents.
L’Exorciste a 50 ans. Un demi-siècle. Un anniversaire chargé en actualité, du décès de William Friedkin à la sortie d’une nouvelle et luxueuse édition vidéo en 4K Ultra HD, en passant par la production toujours vivace d’héritiers illégitimes de plus en plus chibrés (voir le très rigolo L’Exorciste du Vatican avec un Russell Crowe en roue libre) et jusqu’à une énième séquelle tout à fait officielle, supposé point de départ d’une toute nouvelle trilogie. Belle longévité pour un film dont le climax pourrait être le point de départ d’une blague de mauvais goût (deux prêtres coincés avec une petite fille dans une chambre et un public qui se demande si Satan l’habite). Énorme succès en salles et véritable phénomène de société à l’époque de sa sortie, cette adaptation d’un roman de William Peter Blatty a même fini par s’imposer dans l’imaginaire collectif comme un film dangereux où la présence du Mal absolu est tout à fait palpable, en embuscade derrière chaque photogramme. Une réputation évidemment exagérée mais qui ne doit pas faire oublier le courage et la noirceur d’une œuvre ambiguë, hyper réaliste et outrancière à bon escient, hantée par le doute et suintant le malaise. Portée par la vision jusqu’au-boutiste d’un cinéaste frondeur, fonceur et anticonformiste, L’Exorciste était, est et restera à jamais un film miraculeux et fragile, un pur produit non raffiné de son époque.
Dès lors, comment faire pour traire l’Everest de Billy Friedkin et continuer à récolter les billets verts et à prolonger son aura « maudite » sans sombrer dans les tréfonds d’un cinéma d’exploitation de seconde zone ? Une équation à multiples inconnus que ni Warner, ni Morgan Creek ne sont parvenus à résoudre au fil du temps malgré les nombreuses tentatives. Une suite directe à la fois New Age, baroque, sans queue ni tête et traversée de visions kamikazes ? John Boorman faillit ne jamais s’en relever. Une reprise en main par William Peter Blatty lui-même et qui tente de bousculer les attentes ? Les producteurs ont mutilé le troisième acte. Une origin story du père Merrin en Afrique confronté au démon Pazuzu ? Deux films diamétralement opposés résulteront de cette expérience malheureuse, à savoir un film ambitieux mais inabouti et un peu chiant de Paul Shrader et un nanar consternant de Renny Harlin. Une série télé pour les chaînes de streaming, alors ? Annulée au bout de deux saisons inégales.
S’inscrivant dans la continuité de ce palmarès pas comme les autres, David Gordon Green allait t-il enfin trouver la formule lui permettant de transformer la Cristalline en eau bénite ? Verdict : pas de bol, c’est encore loupé.
Tous ensemble ! Tous ensemble !
On ne va pas se raconter de salades, il y avait peu de chances que le réalisateur du très couillon Your Highness et des trois derniers opus de la saga Halloween parviennent à faire trembler sur ses fondations le classique de 1973. Mais nous étions tout de même en droit d’espérer un shocker efficace, racé, divertissant et un peu au-dessus du tout-venant et pas un produit, tout beau, tout propre, trop poli et parfaitement riquiqui. Certes, entre jeux de miroirs et imitations du style naturaliste du film original, la première demi-heure fait vaguement illusion et témoigne d’une attitude déférente vis-à-vis de son modèle. La direction d’acteurs est soignée et la réflexion sur la notion de communauté est loin d’être inintéressante et le joyeux foutoir d’un exorcisme œcuménique est parfaitement cohérent. Pourtant, dans sa globalité et au risque de paraître un peu trop cru, L’Exorciste – Dévotion se distingue essentiellement de ses prédécesseurs en étant tout bonnement un film sans couilles, castrée à peu près tous les niveaux créatifs pour répondre a des enjeux commerciaux absurdes (Blumhouse a racheté les droits de la franchise pour la coquette somme de 400 millions de dollars !).
Un menu détail lors des préparatifs amenant à l’exorcisme final semble d’ailleurs résumer l’entreprise toute entière. Pour éviter que les petites possédées ne fassent léviter les chaises sur lesquels auxquelles elles vont être solidement attachées, le personnage joué par Leslie Odom Jr. les visse à son plancher. David Gordon Green fait de même avec son histoire et s’empêche la moindre sortie de route, la moindre prise de hauteur, le moindre coup d’éclat en restant fermement dans les rails d’un scénario routinier et aux mille et une pudeurs de gazelle. Les dialogues refusent de nommer les croyances et les rites de Haïti par leur nom (« D’la putain de magie vaudou ! » comme dirait King Willie) ou de décrire ce qui dans la chrétienté oppose catholiques et protestants et évangélistes afin de donner du poids à ce qui pourrait les unir. Lorsque les jeunes victimes de Pazuzu se mettent à hurler des insanités à l’hôpital, les jurons sont noyés dans les effets sonores jusqu’à les rendre inaudibles. Quant à leur lente décrépitude et corruption mentale et physique, le montage évite de trop s’attarder sur le sujet en multipliant les ellipses. Même topo, enfin, pour le bref retour d’Ellen Burstyn (90 ans et un talent intact !) éjectée de l’intrigue une dizaine de minutes après son entrée en scène à la faveur d’un effet qui se voudrait choc mais qui rappelle surtout la bouse cosmique de Renny Harlin, en moins drôle toutefois.
Se refusant à faire des vagues, à bousculer son public et ses convictions, à offrir autre chose qu’une version longue de sa bande-annonce ou tout simplement à faire peur, L’Exorciste – Dévotion semble se complaire dans sa médiocrité bourgeoise. Mieux vaut donc revoir L’Exorciste du Vatican (on vous en a pas déjà parlé, un peu plus haut ?), ses faux accents italiens et ses r roulés avec gourmandise, ses jump scares d’ado boutonneux, son révisionnisme à faire s’étrangler tous les anticléricaux de l’hémisphère nord et son intrigue à la Indiana Jones contre Satan à Saint Tropez. Vous pouvez nous croire sur parole, c’est beaucoup moins chiant.