ENTRETIEN AVEC SERGIO MARTINO
Le continent Martino
Avec une quarantaine de films à son actif, ainsi qu’une dizaine de production télévisuelles, Sergio Martino demeure l’un des Maestro du cinéma de genre italien des années 1970-1980. De par la versatilité de ses œuvres, sa filmographie est aussi un témoignage des nombreuses modes qui se succédaient alors. Ainsi, sa carrière de réalisateur prend forme à la fin des années 1960 avec des « faux-documentaires » lorgnant vers le Mondo, avant de s’orienter vers les genres alors en vogue. Ainsi, son premier long-métrage en 1970, Arizona se déchaîne, est un western mettant en vedette Anthony Steffen.
Dès sa seconde réalisation en 1971, Martino marquera les esprits et s’imposera comme un des maîtres du Giallo avec l’excellent L’étrange vice de Madame Wardh qui par la même occasion rendra indispensable la magnifique Edwige Fenech, amie de longue date du réalisateur. Insatiable, le cinéaste enchaîne les films, qu’il scénarise souvent lui-même avec l’appui de son frère producteur Luciano Martino, jusqu’au début des années 1990. Entre les comédies érotiques portées par la Fenech ou Barbara Bouchet, les polars sécuritaires mettant en vedette Luc Merenda, le proto-slasher Torso, les « Post-apo » dont le culte 2019 après la chute de New-York ou encore un second western tourné avec Maurizio Merli, Martino s’attaquera également aux films d’aventure !
En effet, entre 1978 et 1979 le cinéaste romain signe une trilogie exotique où on verra Ursulla Andress prête à être dévorée vivante dans La montagne du dieu cannibale, et un jeu de massacres sur fond de tourisme « néo-colonial » dans Le grand alligator. Entre ces deux opus, on retrouve le mémorable Le Continent des hommes-poissons réalisé en 1979 et qui vient d’avoir les honneurs d’une sortie Blu-Ray chez Artus Films, toujours prêts à nous régaler !
C’est à cette occasion que nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir par téléphone avec le Maestro Sergio Martino, qui à 85 ans, semble toujours en forme ! Dans un français parfait, entrecoupé d’un italien chantant et un peu trop rapide pour votre serviteur (!), il a bien voulu se livrer durant trente petites minutes où nous n’avons évidemment pu qu’aborder quelques thématiques d’une immense carrière qui ne manqua pas d’inspirer d’autres cinéastes. Ainsi pour les fans, il convient de noter que son autobiographie, Mille peccati…nessuna virtu ?, parue en 2017 en Italie, devrait bientôt arrivée dans nos contrées grâce à l’un de nos excellents éditeurs…à suivre…
Vous rappelez-vous du film Le continent des hommes-poissons qui ressort en France dans une édition Blu-Ray…
Oui, « certo » ! Je m’en souviens très bien…et pas seulement moi d’ailleurs ! Le film est très connu notamment en Italie. Il passait très souvent à la télévision, j’en ai même fait une suite, La Reine des hommes-poissons en 1995 (La regina degli uomini pesce). Le film a voyagé jusqu’aux États-Unis, Corman en a produit un similaire. Guillermo del Toro s’en est inspiré pour La Forme de l’eau… Je me souviens en avoir discuté avec Quentin Tarantino qui forçait sa mère à aller voir le film quand il était plus jeune ! Il connaît mieux le film que moi !
Quels souvenirs gardez-vous du tournage ?
C’était en 1979, c’était encore une belle époque pour le cinéma italien, les choses se mettaient facilement en place…Cette histoire fantastique, nous l’avons tourné en Italie, en studio à Rome et principalement en Sardaigne pour les extérieurs. C’est un endroit magnifique pour tourner des films avec les plages splendides et l’intérieur de la Grotte de Neptune, à l’est d’Alghero. Le tournage a duré entre cinq à six semaines, plus un temps de travail pour les effets spéciaux. C’était un « timing » plutôt confortable, on a eu moins de temps par moments ! A l’époque, dans les productions italiennes, il fallait aller le plus vite possible ! Mais il faut dire que j’ai pu compter sur mon équipe technique, des gens talentueux avec qui je collaborais régulièrement. Ainsi, sur ce film il me semble que c’est mon assistant Massimo Manasse qui a orchestré les séquences dans la grotte. Le directeur de la photographie était brillant également (Giancarlo Ferrando), il avait la capacité de travailler dans des situations très difficiles notamment sur La Montagne du dieu cannibale où malgré des conditions parfois dantesques, il réalisa un travail merveilleux.
Dans le casting, on retrouve Claudio Cassinelli qui est aussi dans les deux autres volets de cette trilogie…
C’était avant tout un ami. Nous avons tourné beaucoup de films ensemble. C’est toujours difficile d’en parler, j’ai beaucoup de regrets. Il est décédé sur le tournage d’Atomic Cyborg en 1986. Tout se déroulait bien, nous étions dans des endroits somptueux en Arizona. Il s’agissait d’une séquence en hélicoptère qui n’était pas prévue…Claudio voulait absolument tenter l’expérience pour admirer les paysages, mais il y a eu un accident. Ce fut une tragédie.
James Bond Girls
Durant votre carrière, vous avez eu la chance de tourner avec des actrices magnifiques ! Sur ce film, vous avez carrément une James Bond Girl en la personne de Barbara Bach !
Oui, une très belle femme ! Nous avons fait deux films ensemble avec Le grand alligator, tourné au Sri-Lanka. Elle a beaucoup tourné en Italie. En fait, son mari d’alors (Augusto Gregorini) était italien, donc elle était résidente italienne. D’un point de vue administratif, ça simplifiait beaucoup les choses.
Un an auparavant, vous aviez dirigé une autre célèbre James Bond Girl, Ursulla Andress sur La Montagne du dieu cannibale. Comment s’était déroulé le tournage ?
Ursulla Andress était une actrice magnifique, c’est dommage que nous n’ayons pu faire plus de films ensemble. Elle était très facile à diriger, elle n’avait peur de rien ! Elle pouvait faire beaucoup de choses que d’autres actrices auraient refusé. Dans ce film, elle a une scène avec un boa constrictor…je ne sais pas si j’aurais pu le faire !
Vous n’avez pas eu de soucis pour les scènes de nu ?
Non, ce n’était un film érotique en fait ! Oui, il y a une ou deux scènes de nu, mais ça n’avait posé aucun problème à Ursulla… par contre on en avait eu avec la police locale, pour une poitrine dénudée…Non, ce n’était pas au Sri-Lanka, nous n’avons eu aucun problème là-bas, les gens étaient d’une gentillesse incroyable. Il s’agit d’une séquence tournée en Malaisie, c’est un pays plus difficile, avec une autre culture…
Il y a une autre actrice indissociable de votre cinéma, Edwige Fenech. Vous êtes toujours en contact ?
Ah, Edwige ! C’est comme une sœur pour moi, elle a été la fiancée de mon frère Luciano. Nos carrières se sont croisées, nous avons démarré quasiment au même moment et avions rencontré le succès notamment avec L’étrange vice de Madame Wardh. D’ailleurs, on se voit toujours lors de ses passages à Rome, elle vit au Portugal désormais. « Sempre bella » ! Elle est toujours aussi belle, encore aujourd’hui, on lui donne vingt ans de moins! Mais au-delà de sa beauté, c’était une très bonne actrice, elle avait une singularité dans le visage très inspirante. Elle est extraordinaire dans Toutes les couleurs du vice ! Elle pouvait jouer des personnages incroyables et diversifiés, elle est très douée pour la comédie, elle pouvait tout faire même des scènes d’action, elle n’avait pas froid aux yeux.
« Les gens s’en souviennent mieux que moi ! »
Puisque nous parlons Giallo, vous savez que vos films sont considérés comme des fleurons du genre. Qu’en pensez-vous ?
Oui, on m’en parle beaucoup… Les gens s’en souviennent mieux que moi ! Il y a des séquences que j’aime beaucoup et d’autres moins… mais c’est trop tard pour les tourner de nouveau ! Je suis récemment allé en Roumanie pour une rétrospective qui m’était consacrée. J’ai ainsi pu revoir Torso, je sais qu’il est très apprécié aux États-Unis, qu’il est considéré comme un pré-slasher, Tarantino l’aime beaucoup. Et bien moi aussi je l’apprécie finalement ! Lors de la projection en Roumanie, j’ai observé les réactions du public et c’était comme à l’époque, il y a cinquante ans ! Ça fait plaisir ! La dernière partie du film avec la musique de mes amis les frères de Angelis et une quasi-absence de dialogues donne un suspense extraordinaire.
Puisque nous évoquons Torso, cela me donne envie de parler des acteurs français et de votre rapport avec la France. Sur ce film, il y avait Tina Aumont et votre ami Luc Merenda…
Oui, effectivement. Tina Aumont… C’était une grande actrice, vraiment, son rôle était difficile. Elle avait beaucoup d’empathie, c’était une belle personne. Malheureusement, elle avait eu une enfance difficile, marquée par le décès de sa mère Maria Montez, et elle a sombré dans la drogue, c’était courant à l’époque. C’est vraiment dommage, c’était une très bonne actrice.
Et dans ce film, il y avait évidemment Luc Merenda, mon ami. C’est une personne adorable, avec un physique extraordinaire. J’ai partagé avec lui l’une des plus belles périodes de ma carrière avec notamment Rue de la violence, qui est un de mes films que j’apprécie le plus. Il habite à Rome maintenant, et on se voit régulièrement.
Plus généralement, il était courant à l’époque de tourner avec des acteurs étrangers en raison des coproductions avec la France et l’Espagne notamment. Je suis ainsi allé plusieurs fois en France pour mon métier, des rétrospectives mais également pour mon plaisir ! Vous comprenez mon français !? C’est difficile, je l’utilise moins qu’à l’époque, je l’ai appris à l’école, cela commence à dater !
Une œuvre inspirante
Vous avez parlé tout à l’heure de votre frère Luciano Martino. C’est un personnage important du cinéma de genre italien. Que pouvez-vous dire à son sujet ?
Oui, il était partout ! Il écrivait des scénarios, il a participé à la production de très nombreux films dont les miens, il en a même réalisé quelques uns ! C’était une personne qui était toujours enthousiaste, il a eu beaucoup de succès durant sa carrière. Il a toujours été optimiste, il ne voulait pas s’arrêter de faire des films… même si à une époque il fallait arrêter ! Les modes avaient changées…Mais il a encore eu des beaux succès, je me souviens notamment de Festa di Laurea de Pupi Avati en 1985, qu’il avait produit. Il a continué à produire jusqu’à sa mort en 2013.
Quel est votre quotidien désormais ?
J’ai réalisé mon dernier film en 2008 (L’allenatore nel pallone 2), depuis je fais beaucoup de conférences, la prochaine est aux États-Unis à Chicago. C’est l’occasion de revoir mes films, d’en discuter avec les fans voire même avec des réalisateurs actuels. C’est comme ça que j’ai découvert que mon film 2019 après la chute de New-York avait inspiré des films contemporains, je pense aux Fils de l’homme d’Alfonso Cuaron. On y retrouve cette même idée de la dernière femme fertile sur terre dans un futur apocalyptique. Et puis, il y a comme dans mon film, une séquence avec le tableau de Picasso, Guernica… Mais au fond, tout ça me fait plaisir, ça veut dire que mes films circulent, que les gens les voient…
Une part infime de votre filmographie est disponible en France et un pan entier reste très méconnu. Auriez-vous des films à nous conseiller ? Quels sont ceux que vous aimez le plus ?
Des conseils, c’est difficile, il y en a pour tous les goûts ! D’un point de vue personnel, j’ai toujours été un sentimental en fait ! D’ailleurs, l’un de mes films favoris de notre grand cinéma italien reste Le Voleur de bicyclette de De Sica, c’est un film qui a bercé mon enfance, et qui est toujours d’actualité, il m’émeut toujours autant de nos jours.
J’ai réalisé quelques « mélo » que j’aime beaucoup. Il s’agit de films assez personnels, avec un côté autobiographique. J’y évoque des amoureux adolescents, la découverte des sens et de l’amour… Je vous conseille notamment La bellisima estate avec Senta Berger et Cugi carnali avec Susan Player.