ENTRETIEN AVEC LUC MERENDA
Une icône du Poliziottesco
Comme le dit l’adage, « nul n’est prophète en son pays » ! Et c’est bien dans ce cas de figure que s’est retrouvé l’acteur Luc Merenda (qui a célébré ses 80 ans en septembre), resté dans un relatif anonymat dans nos contrées alors qu’il était devenu une icône des néo-polars italiens des années 1970. Il est d’ailleurs toujours aussi apprécié chez nos voisins transalpins, où il a accompli une grande partie de sa carrière d’acteur. Pour preuve de sa notoriété dans le cinéma de genre italien, nous avions ainsi eu le plaisir et la surprise de le retrouver dans Hostel 2 (2005) d’Eli Roth, fan de Giallo, aux côtés d’Edwige Fenech et du regretté Ruggero Deodato.
Loin de s’être cantonné au seul registre du Bis, il fut ainsi à l’affiche de grosse productions comme Le Mans (1971) ou Soleil Rouge (1971), mais aussi des films d’auteurs comme Tinto Brass (Action, 1980), Francesco Barilli (Pensione Paura, 1977), Samuel Fuller (La madone et le dragon, 1990) … Pour le registre franco-français, on retiendra notamment la série TV française à succès Châteauvallon (1985) surnommée « le Dallas à la française » … Après avoir longtemps été ignoré en France, le genre du Poliziottesco refait surface et intéresse de plus en plus nos éditeurs comme Artus Films, Le chat qui fume ou encore Éléphant Films qui vient de sortir Colère noire (1975), signé par le maître du genre Fernando di Leo, avec justement Luc Merenda en premier rôle.
C’était donc l’occasion rêvée de nous entretenir, par téléphone, avec un homme attachant et simple au parcours singulier qui après avoir distribué les baffes une bonne partie de sa carrière, bien aidé par sa passion des sports de combat, nous a donc fait l’insigne honneur de bien répondre à nos questions.
Les fans de néo-polar italien ou « poliziottesco » vous connaissent bien, mais malheureusement peu de vos films tournés en Italie ont édités en France… Mais récemment, les éditions Elephant Films ont sorti en Blu-Ray Colère noire (La città sconvolta : caccia spietata ai rapitori )…
… Ah, tu parles de La città sconvolta… C’est bien le film où je joue un mécano dont le fils a été enlevé par erreur avec celui d’un riche homme d’affaires ? Oui, bien sûr, je m’en souviens encore très bien.
Quels souvenirs avez-vous de ce film ?
Il y avait au casting le grand James Mason et aussi Valentina Cortese, une merveilleuse personne, une grande dame. C’est un film qui compte beaucoup pour moi d’un point de vue personnel. On ne touche pas aux enfants et aux vieillards, c’est impardonnable. Et puis j’avais perdu mon neveu peu de temps auparavant, et le sujet évidemment m’a beaucoup touché. Lorsque j’accomplis ma vengeance, si j’avais pu tirer 50 balles sur le meurtrier, je l’aurais fait !
Pour l’anecdote, il y a une scène où je me rends à la morgue pour reconnaître le corps de mon fils…et là, je me suis littéralement effondré, ce n’était plus du jeu, il m’a fallu un moment pour redescendre…
Que pouvez-vous nous dire à propos de Fernando Di Leo ?
Je l’ai rencontré suite au succès de Milano Trema (Rue de la violence, 1973). Un énorme poète, un humaniste qui n’avait jamais un mot au-dessus de l’autre. C’était un immense metteur en scène mais aussi un grand scénariste, il suffit de voir ses collaborations (Leone, Tessari, Fulci…). Il avait une classe incroyable avec ses deux yeux bleus perforants, il comprenait les gens. Et nous avions une passion commune pour les antiquités, lui c’était plutôt les vases étrusques, moi j’allais plus vers l’Asie.
Outre Colère noire, vous avez également été tête d’affiche de deux autres films de Di Leo, Il poliziotto è marcio (Salut les pourris, 1974) et Gli amici di Nick Hezard en 1976…
Oui tout à fait, Nick Hezard est un projet qui me tenait à cœur, qui s’inspirait de The sting avec Robert Redford et Paul Newman. Je voulais que le budget soit à la hauteur, et j’y ai mis mes deniers personnels…Ce fut l’occasion de rencontrer deux grands acteurs, des vrais professionnels qui avaient su rester simples : Lee J.Cobb et Gabriele Ferzetti.
Il poliziotto è marcio est un superbe film, sans concessions où je joue un flic corrompu, pour qui ça tourne mal ! L’un des rares films où je meurs ! Je me souviens d’un formidable acteur, sans doute méconnu en France mais qui avait une certaine aura en Italie : Salvo Randone, un acteur fétiche d’Elio Petri. On a une scène exceptionnelle ensemble où on s’engueule. Ce fut l’une des plus belles séquences que j’ai eu l’honneur de jouer, il y avait beaucoup d’émulation, comme un match, une compétition, je me devais d’être à son hauteur, d’essayer ! D’ailleurs, j’y repense, Di Leo m’a encore fait tourner une scène de morgue dans ce film où je reconnaissais le corps de mon père, joué par Randone justement.
Vous avez été l’une des icônes du Néo-polar italien ou Poliziottesco, un genre souvent dénigré à l’époque. Que pouvez-vous nous en dire ?
Eh oui, on qualifiait ces films de Séries B, ils étaient souvent mal perçus par une certaine critique. Il y avait peut-être un peu de jalousie, car le public était souvent au rendez-vous et certains furent de grands succès. Durant ma carrière, j’ai toujours essayé de jouer dans des films qui s’inspiraient de faits réels ou qui étaient en prise avec l’actualité d’alors. C’est bien de divertir, mais ces films-là avaient aussi valeur d’avertissements. C’était des films importants à faire, c’était une époque formidable. Il y a un exemple assez marquant, un film peu connu de Massimo Pirri, Italia Ultimo atto (1977), que je te conseille bien que le scénario soit meilleur que la mise en scène. Il est sorti six mois avant l’assassinat de Aldo Moro, et il traitait justement de l’assassinat d’un ministre par un groupuscule politique. La force de ces films, c’est qu’ils savaient anticiper leur époque, même si pour le coup, on aurait préféré se tromper…
Bouteilles de whisky…et filles dénudées !
Nous avons parlé de Fernando Di Leo, mais il y a un autre cinéaste italien qui a beaucoup compté dans votre carrière transalpine, Sergio Martino. Je crois d’ailleurs que vous êtes toujours amis…
Je suis revenu vivre en Italie il y a trois ans, je n’avais quasiment plus vu personne depuis 35 ans ! C’est dans ces moments-là qu’on reconnaît les vrais amis et Sergio en est un, « certo » ! J’étais également proche de son frère Luciano, qui était producteur. Nous avons renoué les liens, on mange régulièrement ensemble et on se retrouve souvent sur des festivals, soirées spéciales…
Il y a des films qui vous reviennent plus particulièrement en mémoire de votre collaboration avec Sergio Martino ?
Évidemment je songe à Milano Trema qui fût un grand succès et m’a ouvert de nombreuses portes. Le film est devenu culte au fil des ans, d’ailleurs, il y a quelques mois, on s’est retrouvés à Milan dans une salle comble pour revoir le film qui fêtait ses 50 ans ! je pense également à un polar assez politique qui évoquait la situation tendue en Italie avec les risques de coups d’État, c’est La polizia accusa : il servizio segreto uccide (1975) (nommé La ville accuse ou L’accusé en France) où je joue un commissaire qui se fait finalement assassiner. Il y avait Tomas Milian, Mel Ferrer, un grand monsieur…et une actrice…je ne me souviens plus…
Delia Boccardo ? (Actrice italienne qui a notamment joué dans miracle à l’italienne de Nino Manfredi, Le témoin à abattre de Enzo G. Castellari…)
Oui, c’est bien ça. D’ailleurs il faut bien reconnaître que dans tous ces films très masculins, les rôles des femmes étaient assez insignifiants…En plus de cela, il y avait toujours des scènes gratuites où à la sortie du lit, on voyait une poitrine, c’est dommage…Après en ce qui me concerne, je dormais à poil donc ça ne me posait pas de soucis ! (Rires)
Il y avait un autre fait qui m’embêtait (mais ça n’est pas exclusif aux films de Martino loin s’en faut), c’était le fameux placement de produit. Non, ce n’était pas une légende et les bouteilles de JB trônaient dans la plupart des productions de l’époque. Je m’amusais toujours, au moment où j’entendais « moteur », à retourner les bouteilles ! (Rires) Évidemment, cela faisait partie du jeu, ça apportait de l’argent aux films…même si on ne savait pas toujours où tout l’argent investi était passé…
Vous venez d’évoquer Tomas Milian, l’une des figures emblématiques du cinéma de genre italien des années 1960-1970, avec qui vous avez également tourné un autre film, L’exécuteur vous salue bien de Stelvio Massi en 1977. Il semble qu’il n’avait pas très bonne réputation sur les tournages où les disputes étaient fréquentes…
Non, je ne dirai pas qu’il avait une mauvaise réputation, c’était avant tout un acteur génial. Avec moi, ça s’est bien passé, tu sais dans mes films, soit je tuais, soit j’étais tolérant : ça se passait toujours bien ! Je me souviens que Sergio Martino m’avait mis en garde, que ce n’était pas un gars facile, que je devais rester à l’écart. Il m’avait aussi dit ça car j’avais un humour qui passait pas toujours très bien, j’avais ainsi l’habitude de dire le contraire de ce que je pensais ! Tomas m’avait l’air inaccessible, je crois qu’il avait un côté dépressif…
De OSS117 à Châteauvallon
Nous parlons beaucoup de l’Italie, le pays qui vous a consacré en tant qu’acteur. Mais pouvons-nous revenir sur votre parcours avant d’arriver chez nos voisins transalpins ?
J’ai eu une jeunesse extraordinaire au Maroc, où mes parents travaillaient. Il ne pleuvait jamais, les plages étaient immenses, je conduisais des voitures à l’âge de dix ans ! Lorsque je suis revenu en France, à Paris, à l’âge de quatorze ans, ce fût la douche froide. C’est comme si tu mettais un poisson d’eau chaude dans de l’eau froide ! Après mon Bac, j’ai bougé, j’avais besoin de retrouver le Sud, je ne peux pas vivre au-dessus de la Loire ! Mon père était publicitaire, j’ai travaillé avec lui, ce qui fût une erreur, puis je suis parti aux États-Unis pour les études. A New-York, j’ai fait des photos, je faisais du mannequinat…je détestais ça mais j’avais besoin de manger ! Et de fil en aiguille, ces photos m’ont permis d’entrer dans le cinéma.
Vous vous êtes rapidement retrouvés dans de grandes productions, comme Soleil rouge (1971) de Terence Young ou Le Mans (1971), où vous avez côtoyés quelques icônes du Septième Art (Delon, Bronson, McQueen…). Quel regard portez-vous sur cette période ?
Avant cela, j’ai incarné le personnage d’Hubert Bonniseur de La Bath (OSS 117) dans OSS 117 prend des vacances (1970). (Il fut longtemps le seul français à avoir tenu ce rôle avant les films avec Jean Dujardin). Puis, il y a eu un film franco-brésilien (Le palais des anges) qui a été présenté à Cannes en 1970. Dans Le Mans, j’étais un pilote de Ferrari, mais le tournage fut compliqué. Le metteur en scène (John Sturges) a fini par quitter le plateau. Steve McQueen a pris le relais, c’était assez difficile…
J’ai effectivement croisé pas mal de « stars » à cette époque, ce n’était pas des gens simples, il est vrai que la gloire n’est pas toujours facile à gérer…
A la même époque, j’ai rencontré au contraire un homme formidable, un génie : Jacques Brel (sur le tournage de Les assassins de l’ordre, 1971). Je me souviens que nous étions allés ensemble dans une boîte de nuit « yé-yé » dans la région d’Aix-en-Provence, tard dans la soirée. Tout s’est arrêté, tout le monde le regardait et pendant près de deux heures il a parlé devant deux-cent personnes ! C’était un mec exceptionnel.
Suite au déclin du cinéma italien dans les années 1980, vous avez de nouveau tourné en France, notamment dans la série Châteauvallon, qui a été un grand succès…
Oh, ce fut plus qu’un grand succès, un véritable carton ! Les soirs de diffusion, il y avait entre trois à quatre millions de personnes devant le téléviseur. J’aurais peu me présenter aux élections présidentielles ! (rires) C’était une grande époque où j’ai acquis de la notoriété en France, je me rappelle que quand je cherchais un nouvel appartement, les concierges m’appelaient directement !
J’ai aussi participé à une autre série TV à la même époque, Disparitions (1984). C’était vraiment bien, il y avait trois réalisateurs différents (Yves Ellena, Daniel Moosmann et Claude Barrois). Bon le seul hic, c’est que j’y jouais un flic… alors que justement je fuyais ce genre de rôle en Italie…
Les années 1980 ne furent pas les plus prolifiques, mais il y eut de bonnes choses. Je repense à Appelez-moi Fouks (1986, un téléfilm de jacques Besnard. Et j’ai eu l’occasion de tourner avec le grand Samuel Fuller pour La madone et le dragon (1990) où j’ai joué auprès de Jennifer Beals, la danseuse de Flashdance…même s’il ne faut pas oublier qu’elle était doublée par une actrice française pour les scènes de danse ! (NDLR : Marine Jahan).
L’acteur-antiquaire
Vous avez par la suite totalement changé de voie…
Oui, je suis effectivement devenu antiquaire dans la région parisienne. Il faut savoir faire des choix dans la vie. Si vous avez peur de vous ennuyer, il faut prendre des risques et ne pas se contenter de ce que l’on a. Je me suis ainsi spécialisé dans l’Asie du sud-est, j’ai ainsi beaucoup voyagé en Asie, Japon et Chine notamment. C’est une passion que j’ai hérité de mes parents, je revois encore les meubles chinois dans notre maison au Maroc…
Mais depuis, il me semble que vous êtes retourné vivre en Italie…
Je suis revenu en Italie il y a trois ans. C’est un pays que j’aime tellement, il me manquait. J’ai pu me trouver un appartement dans le Trastevere (quartier populaire de Rome, rive gauche, connu pour sa vie culturelle et politique). C’est un quartier que j’adore et où j’avais vécu au début de mes aventures italiennes…avant de m’embourgeoiser et d’aller vivre dans les beaux quartiers. (rires)
Nous avons appris que vous aviez repris votre carrière d’acteur depuis ce retour. Je crois que vous venez de tourner avec Francesco Barilli, avec qui vous aviez fait Pensione Paura en 1977, l’un de vos rôles les plus marquants ?
Eh oui, ma carrière ne s’arrêtera que lorsque je serai mort ! (rires) J’ai participé à trois films depuis mon retour et je viens de finir le tournage d’un film avec Francesco Barilli, Il paese del melodramma qui s’inspire en partie des opéras de Verdi… j’y tiens le rôle de la Mort ! On s’était recroisés au moment de la sortie de mon autobiographie (parue en italien en 2017 chez Bloodbuster). C’est un immense plaisir de jouer pour lui. Il avait bossé avec Bernardo Bertolucci, c’est quelqu’un de très cultivé, qui baigne dans l’Art. Pour Pensione Paura, le film n’a pas eu beaucoup de succès à l’époque mais depuis il est devenu culte et c’est mérité. J’ai adoré tenir ce rôle même si c’était un personnage horrible que je détestais !
Quels sont les films et les acteurs qui vous ont le plus marqué et dont nous n’avons pas encore parlé ?
J’ai apprécié la plupart des films dans lesquels j’ai joué. Milano Trema, La polizia accusa, Nick Hezard…notamment. Le film de Massimo Pirri, il faut le voir ! J’ai bien sûr aussi fait des films alimentaires, ne nous-le cachons pas ! Je pense notamment à un film avec Guido Zurli (Cible pour un tueur, 1978) …clairement j’avais besoin d’argent à l’époque, et en plus ça me permettait de passer des « vacances » en Turquie ! (rires)
Parmi les personnages qui m’ont marqué, j’ai quand même eu le bonheur de côtoyer deux monstres de la comédie italienne, Paolo Villagio et Ugo Tognazzi. J’ai joué dans Cattivi pensieri (Qui chauffe le lit de ma femme? 1976) dont Tognazzi était à la fois le réalisateur et le premier rôle. Je garde de bons souvenirs du tournage avec Edwige Fenech également. Peut-être que je m’attendais à plus de la part de Tognazzi, j’espérais qu’il m’apprenne plus…
Quant à Villagio, j’ai joué avec lui sur Superfantozzi (1986). C’était un mec incroyable, cultivé, sympa, normal ! Avec ce Fantozzi, il a créé un personnage génial, c’est une légende en Italie.
Enfin, comment vivez-vous ces moments de rétrospectives, les interviews et les sollicitations…
Ce n’est que du plaisir ! Tu sais, j’ai eu la chance de faire un métier sublime, extraordinaire et avec l’expérience je ne vois que du positif dans tout cela. Lorsque j’étais plus jeune, au début de ma carrière, j’avais tendance à me refermer sur moi, je refusais interviews et photos, j’avais besoin de me préserver. Maintenant, je savoure ! C’est quand même drôle d’avoir des milliers de fans sur les réseaux sociaux et notamment quand ce sont des « jeunes » comme toi qui sont ainsi informés. En répondant à ces sollicitations, j’essaie tout simplement de rendre au cinéma tout ce qu’il m’a donné.