DOCTOR STRANGE IN THE MULTIVERSE OF MADNESS
États-Unis – 2022
Genre : Fantastique
Réalisateur : Sam Raimi
Acteurs : Benedict Cumberbatch, Elizabeth Olsen, Xochitl Gomez, Chiwetel Ejiofor, Benedict Wong, Rachel McAdams, …
Musique : Danny Elfman
Durée : 126 minutes
Distributeur : Walt Disney Motion Pictures Company
Date de sortie : 4 mai 2022
LE PITCH
Le Docteur Strange doit protéger la jeune America Chavez d’une horde de démons qui tentent de lui voler son précieux pouvoir : ouvrir des portails d’une réalité parallèle à une autre …
Le retour du fils prodigue
Il était parfaitement légitime de craindre que l’arrivée de Sam Raimi dans le giron des studios Marvel sous la haute autorité de Kevin Feige n’aboutisse à une forme de renoncement, le trublion de la saga Evil Dead condamné à jouer le rôle un peu triste de mercenaire de luxe. Surprise, le cinéaste est parvenu à imposer sa voix, au-delà des gimmicks formels attendus, et à tenir en laisse un blockbuster menaçant pourtant à chaque instant d’imploser sous la pression du fan service. Welcome back, Mr Raimi !
La dernière réalisation de Sam Raimi pour le grand écran nous avait laissé avec un goût amer en bouche. Sorti au début de l’année 2013, Le monde fantastique d’Oz échouait dans les grandes largeurs à accoucher d’un prologue satisfaisant à l’univers des romans de L. Frank Baum. Seules les dix premières minutes cadrées en 1.33 dans un très beau noir et blanc venaient nous rappeler l’audace et la maîtrise du cinéaste avant qu’une orgie de couleurs, de 3D et de CGI plus envahissants que convaincants n’entraîne le film vers les mêmes sorties de route paresseuses et agaçantes de l’ignoble Alice aux Pays des Merveilles de Tim Burton, l’ignominie d’une morale douteuse en moins (ouf !). La loose, mais sans la honte.
Confirmant une lassitude bien visible à l’écran, Raimi s’est ensuite tourné vers la production et le petit écran, retrouvant une seconde jeunesse en mettant en boîte le pilote on ne peut plus groovy de la série Ash Vs Evil Dead ou une paire d’épisodes pour la série policière Rake avec Greg Kinnear et Miranda Otto. Ajoutez à cela une collaboration réussie avec Alexandre Aja pour le très sympathique film de croco Crawl et c’est un Sam Raimi regonflé à bloc qui accepte, alors que personne ne l’y attendait, de reprendre la place laissée vacante par Scott Derrickson, réalisateur du premier Docteur Strange en 2016. Lessivé par la très mauvaise expérience de Spider-Man 3 et de sa suite avortée, le réalisateur a d’ailleurs bien failli refuser l’offre faustienne de Kevin Feige. Avant de saisir l’opportunité de reprendre la main sur un genre qui lui doit énormément.
Abracadabra !
Pour une simple « suite », les enjeux de Doctor Strange in the Multivers of Madness ont de quoi donner le vertige. Poursuivre l’histoire de Stephen Strange, développer les fils narratifs introduits dans les séries WandaVision, Loki et What If ?, solidifier la notion de multivers introduites dans Spider-Man : No Way Home et poser les jalons des futures productions Marvel à coups de caméos attendus par des hordes de geeks en PLS. Déception prévisible, la nécessité commerciale de garder le concept de réalités parallèles intelligible et compréhensible par toutes et par tous débouche sur une vision forcément étriquée de la chose, simple gadget dont Marvel use et abuse pour multiplier les clins d’œil et les madeleines de Proust. En revanche, il faut saluer l’intelligence de Michael Waldron d’avoir compris que la meilleure méthode pour rendre son intrigue comestible et divertissante est bel et bien celle de la course-poursuite, imitant au passage la linéarité et la vélocité d’un Mad Max Fury Road ou d’un Terminator premier du nom. Un poursuivant (ou dans ce cas une poursuivante), deux proies et une caractérisation qui s’établit dans l’action sans jamais oser la ralentir.
Autorisé à foncer sans se retourner, Raimi accentue la tension de la traque menée par la Sorcière Rouge (une Elizabeth Olsen émouvante et terrifiante) en multipliant les saillies horrifiques les plus surréalistes qui soient, comme cette attaque de Wanda par le biais de reflets meurtriers ou les âmes damnées qui attaquent un Strange en pleine transe et qui renvoient autant aux démons qui menacent d’emporter Conan dans une scène célèbre du film de John Milius qu’aux incontournables deadites de la trilogie Evil Dead. Mais l’exploit du cinéaste ne se manifeste pas uniquement dans la virtuosité d’un spectacle constant et à deux doigts de nous épuiser mais dans sa capacité à ne jamais négliger le drame vécu par un trio de protagonistes blessés dans leur chair et dans leur âme. Besoin de maternité, vanité d’une existence gâchée par l’arrogance et le déni, fuite en avant d’une jeunesse sans repères et sans confiance. Là où Spider-Man 2 éprouvait le besoin d’appuyer sur la pédale de frein pour ne pas perdre ses enjeux de vue, Doctor Strange 2 tente l’exercice périlleux du funambule sous cocaïne dont on se demande comment il fait pour ne jamais se casser la gueule. Dans la machinerie trop bien huilée du MCU, de telles pirouettes frôlent le miracle inespéré.