CRONOS
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Mexique – 1993
Genre : Horreur, Fantastique
Réalisateur : Guillermo Del Toro
Acteurs : Federico Luppi, Ron Perlman, Claudio Brook, Margarita Isabel, Tamara Xanath, Daniel Giménez Cacho…
Musique : Javier Álvarez
Durée : 93 minutes
Distributeur : Les Films du Camélia
Date de sortie : 26 février 2025
LE PITCH
Au XVIème siècle, un alchimiste invente un étrange mécanisme permettant d’accéder à la vie éternelle. A l’époque actuelle à Mexico, Jesús Gris, un vieil antiquaire, découvre l’horloge de Cronos dissimulée dans une statue. L’objet lui injecte un puissant venin qui lui redonne force et jeunesse, mais le rend dépendant au sang humain. Devenu un monstre, Jesús ne peut compter que sur l’aide de sa petite-fille. Le duo doit lutter contre un richissime homme d’affaires rongé par la maladie, prêt à tout pour posséder le mystérieux appareil.
Nouveau sang
Inédit en salles en France, Cronos s’y affiche enfin avec certes quelques trente ans de retard, mais aussi une superbe copie entièrement et richement restaurée. L’occasion de véritablement redécouvrir cette première réalisation du poète baroque Guillermo Del Toro, réinterprétation de la figure du vampire entre conte et gothique latin.
Premier long métrage certes, mais Guillermo Del Toro, alors âgé de 28 ans n’est certainement pas un débutant. Quelques courts métrages à son actif, une petite dizaine d’années du côté des maquillages et effets spéciaux avant de faire véritablement ses premières armes sur la série d’épouvante Hora Marcada, de quoi assurer sa vision et sa confiance en un projet qui détonne clairement au sein de l’industrie mexicaine. D’ailleurs, si le budget ne dépassera pas les 2 millions de dollars, il est alors le plus gros budget de l’histoire du pays. Ambitieux certainement, mais surtout nourri, déjà, par tout cet imaginaire digéré pendant l’enfance du cinéaste, grand lecteur de contes, de récits d’horreurs de toutes sortes, dessinateur éperdu et cinéphile gargantuesque, il donne immédiatement corps, malgré de nombreuses références évidentes, à un univers cinématographique personnel et cohérent. Une fable enchantée, pas très loin effectivement d’un Labyrinthe de Pan, où le poids du passé (comme dans L’échine du diable) va venir se rappeler à un simple antiquaire (joué par le vétéran latin Federico Luppi) et sa petite fille, muette. Un brave Gepetto ou presque qui au contact d’une curieuse machine imaginée quelques siècles plus tôt va retrouver peu à peu sa jeunesse, mais aussi se découvrir un besoin nouveau de sang. Dans l’ombre, un homme d’affaire sentant sa mort venir, va bien entendu tenter de voler l’artefact et menacer la vie de la petite famille.
Le premier tour d’écrou
La quête de la jeunesse éternelle, d’un retour vers la force d’autrefois, d’un remède contre la vieillesse (Jésus redevient séducteur et épris de sa femme, danseuse de tango), plutôt que la recherche d’un quelconque pouvoir, anime véritablement le film qui sait surtout se montrer particulièrement tendre avec ses personnages et éclairer avec énormément de douceur et de poésie une relation papy / petite-fille qui va au-delà des mots et des apparences. L’horreur proprement dite n’est que sous-jacente et toujours déviée soit vers une modernité nouvelle (l’antre du mal devenue une salle médicalisée et aseptisée), soit ironisée (la séance de thanatopraxie, pas loin de la farce), soit métamorphosée comme sait si bien le faire Del Toro. Le monstre que devient Jesus, Gris de son nom de famille, ne sera certainement pas effrayant, mais pathétique, fragile, irrémédiablement touchant. Fascinant d’observer comment déjà la plus belle part du cinéma de Guillermo Del Toro est présente à l’écran, jusque dans ses élans comics pour un final mémorable, et bien entendu la présence de l’excellent Ron Perlman. Le futur Hellboy est ici particulièrement investi (il réduisit d’ailleurs considérablement son cachet pour permettre au film de se faire), transformant un personnage presque secondaire de vilain neveux brutal, en une sorte de grand enfant décalé et d’adulte obsédé par une opération plastique de son nez : à la fois inquiétant et gauche.
Ce sont ces mélanges, presque alchimiques, qui font toute la beauté du cinéma de Del Toro. Il fait monstre forcément ici encore de quelques, rares, maladresses, ou semble parfois retenu dans ses élans les plus esthétiques, mais fait éclater tout un imaginaire riche et fertile qu’il n’a fait que se concrétiser depuis. Remarqué à Cannes et autres marchés du film malgré un échec certains aux USA et une absence de sortie salles en France, Cronos va lui permettre de se faire remarquer par les frères Wenstein (Mimic sera… une autre aventure) ou Pedro Almodovar qui produira son premier chef d’œuvre : L’échine du diable.