CITY OF DARKNESS
九龙城寨·围城 – Hong-Kong, Chine – 2024
Genre : Action, Thriller
Réalisateur : Soi Cheang
Acteurs : Raymond Lam, Louis Koo, Sammo Kam-Bo Hung, Richie Jen, Philip Ng, Tony Tsz-Tung Wu…
Musique : Kenji Kawai
Durée : 125 minutes
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Date de sortie : 14 août 2024
LE PITCH
Dans les années 80, la Citadelle de Kowloon, hors de portée de la loi britannique, est un repaire de criminels et trafiquants de drogues. Fuyant Mr. Big, chef des Triades, Chan Lok-kwun, migrant clandestin, trouve refuge dans la Citadelle. Sous la protection de Cyclone, chef local, lui et son clan devront défendre leur refuge face à l’invasion du gang de Mr. Big.
L’héritier de la violence
Avec City of Darkness, Soi Cheang renoue avec l’essence d’un cinéma hongkongais en voie d’extinction, alliant maîtrise technique et audace esthétique. Le réalisateur nous plonge dans un univers viscéral où le pur plaisir de cinéma côtoie une profonde réflexion sur l’identité culturelle.
Malgré une carrière s’étalant sur 25 ans, Soi Cheang semble n’avoir véritablement percé dans le cœur des cinéphiles occidentaux qu’en 2021, avec la sortie du thriller Limbo. Pourtant, le bonhomme a roulé sa bosse et exploré de nombreux genres, de l’action policière (SPL 2) à l’épopée fantastique aux relents nationalistes (sa trilogie sur Le Roi Singe). En 2024, après un Mad Fate en guise de mise en bouche, le cinéaste nous livre sa pièce de résistance avec City of Darkness.
Le film suit la trajectoire de Chan Lok-kwun (Raymond Lam), un migrant clandestin fuyant les Triades qui trouve refuge dans la Citadelle de Kowloon, dans le Hong-Kong des années 1980. Son parcours, riche en rebondissements et révélations en tout genres, reflète les tensions d’une culture hongkongaise déchirée entre son héritage et l’incertitude de son avenir, face au spectre de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Une quête identitaire qui s’inscrit dans une dynamique de transmission, véritable fil rouge du film, qui transparaît jusque dans le choix du casting puisque Soi Cheang orchestre avec finesse les interactions entre acteurs vétérans et la nouvelle génération, recréant la relation maître-disciple, emblématique du cinéma hongkongais. Voir des légendes comme Sammo Hung et Louis Koo, véritables monstres de charisme, jouer les mentors avant de s’effacer progressivement au profit de leurs jeunes recrues nous mettrait presque la larme à l’œil.
La forteresse cachée
Bien plus qu’un simple décor, la Citadelle de Kowloon se révèle être un personnage à part entière. Ce bidonville qui a réellement existé nous est d’abord présenté de manière réaliste avant de se transformer peu à peu en un espace mythologique. City of Darkness glisse alors habilement d’un récit de guerre des gangs teinté de drame social vers une allégorie plus vaste, où l’architecture anarchique de la citadelle — ses baraquements s’entassant les uns sur les autres — symbolise le mélange des genres que Soi Cheang orchestre avec brio. On pense aussi bien aux films de kung-fu de Bruce Lee, aux polars urbains de Johnnie To, qu’aux wu xia pian de Chang Cheh. Soit du vrai et beau cinéma populaire qui ne lésine pas sur les moyens techniques et les ficelles narratives quand il s’agit de susciter l’émotion. Alors, à force d’aller dans tous les sens, on peut se prendre un peu les pieds dans cette histoire aux multiples ramifications et, sans doute, le film aurait-il mérité d’être un peu plus ramassé dans son deuxième acte. Mais ce moment de flottement est vite contrebalancé par des scènes d’action chorégraphiées avec une intensité hypnotique, prenant place dans des décors oppressants. Le point culminant du long métrage, une mêlée générale dans les entrailles de la citadelle, illustre parfaitement à quel point la virtuosité cinématographique peut naître du chaos (et ce n’est pas Tsui Hark qui dira le contraire !).
Mais City of Darkness (ou Twilight of the Warriors: Walled In de son titre international plus évocateur) est aussi une œuvre profondément mélancolique qui semble faire ses adieux à un patrimoine culturel en voie de disparition. Soi Cheang livre un hommage vibrant à l’âge d’or du cinéma hongkongais tout en portant un regard lucide sur son déclin inévitable. Dans un paysage cinématographique de plus en plus dilué par les exigences du marché chinois continental (et sa censure drastique), il fait figure de résistant et son film se positionne comme le témoignage d’un cinéma qui, à l’image de la Citadelle de Kowloon, refuse de disparaître sans combattre.