BOB MARLEY ONE LOVE
Etats-Unis – 2024
Genre : Biopic
Réalisateur : Reinaldo Marcus Green
Acteurs : Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch, James Norton, Tosin Cole, Michael Gandolfini, Aston Barrett Jr.…
Musique : Kris Bowers
Durée : 104 minutes
Distributeur : Paramount Pictures
Date de sortie : 14 février 2024
LE PITCH
En 1976, alors qu’il s’apprête à donner un concert gratuit à Kingston en Jamaïque, le chanteur Bob Marley est victime d’une tentative d’assassinat. En proie au doute, il s’installe à Londres avec son groupe et se lance dans l’écriture de l’album qui deviendra Exodus, …
Get Up Stand Up
Le résultat était largement prévisible. Précédé par une poignée de bandes-annonces sans saveur, le biopic consacré à Bob Marley, icône insurpassable de la musique reggae et pacifiste convaincu, n’aborde son sujet que par le petit bout de la lorgnette et manque cruellement de relief. Une heure et quarante-quatre minutes ne suffisent pas à rendre justice à l’histoire tourmentée de la Jamaïque, à son plus célèbre porte-voix ou même à sa musique.
L’échec du film réalisé par Reinaldo Marcus Green s’explique avant tout par ses enjeux en coulisses. Le succès de biopics tels que Ray, Get On Up et surtout Bohemian Rhapsody ayant permis de générer de nouveaux revenus pour les maisons de disques et les ayants droits, Ziggy et Rita Marley ne pouvaient décemment ignorer ce nouveau filon. À la tête de Tuff Gong, le label familial fondé en 1970, le fils et la veuve de Bob Marley se sont donc associés à Brad Pitt et à sa maison de production en 2018 pour développer un film sur lequel ils pourraient obtenir un droit de regard absolu. Entrepreneuse féroce, Rita Marley est bien connue pour gérer d’une main de fer le patrimoine artistique et financier de feu son mari. Quant à Ziggy, il aura consacré l’essentiel de sa carrière à imiter son paternel, quitte à s’effacer complètement derrière son image et son patronyme. Avec de tels producteurs aux commandes, Bob Marley : One Love ne pouvait donc pas se permettre d’adopter le moindre point de vue critique ou audacieux sur son sujet. Mais si le projet de canonisation cinématographique de Bob Marley, de son message et de sa musique n’est pas problématique en soi, l’absence totale de prise de risque et d’ambition nuisent gravement au résultat final. Apte à nourrir plusieurs films, l’enfance et l’adolescence de Bob Marley sont évacués au travers de brèves vignettes, le contexte géopolitique est quasiment ignoré, les conflits entre le chanteur et les membres de son groupe sont strictement circonscrits aux magouilles de son manager Don Taylor (lequel s’était fendu d’une biographie sans filtres ayant largement irrité le clan Marley, ceci explique cela) et les infidélités incessantes de Bob sont largement passées sous silence histoire de ne pas laisser le moindre temps de présence à l’écran à ses maîtresses et à ses enfants illégitimes. Ne reste plus que la musique (sublime évidemment, sauf lorsque le compositeur Kris Bowers la trafique pour en faire du sous-Hans Zimmer), le numéro d’équilibriste de Kingsley Ben-Adir qui lutte pour ressembler à son modèle et le message de paix et de tolérance de Bob Marley, lequel apparaît ici comme vidé du moindre aspect subversif. Un comble.
Peace & Love
Face aux restrictions imposées par ses commanditaires, le script pondu par Terence Winter, Frank E. Flowers, Zach Baylin et Reinaldo Marcus Green fait donc le choix de se concentrer sur une courte période, de 1976 à 1978, de la fusillade qui faillit coûter la vie au chanteur jusqu’au concert One Love, deux événements qui encadrent l’exil londonien de l’artiste et le succès historique de l’album Exodus. Si la tournée européenne des Wailers est traitée par-dessus la jambe et recèle quelques occasions manquées, notamment en refusant de confronter Bob à des artistes dont il a pourtant croisé la route (les Rolling Stones et les Clash font de la figuration), le travail de composition d’Exodus donne au film ses meilleures scènes. On y voit le génie de Bob Marley se nourrirent d’influences extérieures, comme le score d’Ernest Gold pour le film Exodus ou le style très électrique du guitariste Junior Marvin. Dans ces courts moments, la mise en scène, moins plate qu’à l’accoutumée, parvient à mettre sur un pied d’égalité les notions d’instinct, de talent et de travail acharnée et à rendre exaltante la création artistique. Malgré quelques raccourcis et facilités, le film se risque au passage à initier le public à la philosophie rastafari, dépassant brièvement les clichés les plus tenaces (les dreadlocks et la ganja).
Ces quelques sursauts font encore davantage regretter l’absence d’une identité forte derrière comme devant la caméra. Malgré le cinémascope, les moyens et une bande-son au mixage redoutable, Bob Marley : One Love ressemble surtout à un téléfilm étriqué ou à clip touristique un peu ringard. Fervent promoteur de la paix et de l’unité entre les peuples, formidable machine à hits et artiste complexe, Bob Marley méritait bien davantage qu’une opération de promotion auto satisfaite.