BLONDE
États-Unis – 2022
Genre : Drame biographique
Réalisateur : Andrew Dominik
Acteurs : Ana de Armas, Adrien Brody, Bobby Cannavale, Julianne Nicholson, Caspar Phillipson, Sara Paxton, David Warshofsky, Xavier Samuel…
Musique : Nick Cave et Warren Ellis
Durée : 147 minutes
Distributeur : Netflix
Date de sortie : 28 septembre 2022
LE PITCH
Adapté du best-seller de Joyce Carol Oates, Blonde est une relecture de la trajectoire de Marilyn Monroe, l’une des icônes hollywoodiennes les plus atemporelles. De son enfance tumultueuse à son ascension fulgurante et à ses histoires d’amour complexes – de Norma Jeane à Marilyn –, Blonde brouille la frontière entre réalité et fiction pour explorer l’écart de plus en plus important entre sa personnalité publique et la personne qu’elle était dans l’intimité.
Poupoupidou !
Blonde, biopic consacré à Marilyn Monroe et produit par Netflix était sacrément attendu. Portant en lui autant d’espoirs que de craintes, le film d’Andrew Dominik balaie les attentes d’un grand revers de main, sous la forme d’une grosse claque cinématographique à la fois esthétique et sensitive.
Marilyn. Le rôle-fantasme par excellence, véhicule iconique à la fois porte étendard et casse-gueule pour toute comédienne. Et surtout, projet de biopic aussi prometteur que risqué pour le metteur en scène qui allait mettre les mains dans le cambouis, tant l’approche adoptée pour évoquer l’existence chaotique de la star hollywoodienne devenue un mythe, offre d’infinies possibilités. Fort heureusement, Andrew Dominik n’est pas le premier yes-man venu. Auteur de seulement trois longs-métrages avant celui-ci en douze ans de carrière, chacun d’entre eux ayant marqué à leur manière : le biopic Chopper en 2000, le western ultra stylisé L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford en 2007 et le thriller Cogan : Killing Them Softly en 2012, mais également de deux documentaires sur Nick Cave, Dominik est un cinéaste qui s’implique profondément dans ses projets. C’est donc une bonne nouvelle (et plutôt une surprise) de le voir à la tête de ce biopic produit par la lessiveuse Netflix. Même si de biopic, Blonde n’en a pas réellement le profil attendu. Adapté du best-seller de Joyce Carol Oates, le film n’embrasse pas la structure linéaire de ce genre codifié du cinéma. Débutant dans l’enfance de la toute jeune Norma Jean, au sein d’une première séquence déjà tétanisante qui annonce la sensibilité à venir, et s’achevant sur le lit de mort de Marilyn, Blonde retrace la trajectoire controversée de la star hollywoodienne, en s’attardant sur des moments-clés de son existence, en prenant le parti d’aborder la narration de manière hachée et chaotique. Le film est une sorte de kaléidoscope, de patchwork de scènes illustrant l’ascension fulgurante de Marilyn vers la gloire, puis son lent et spectaculaire déclin mental. Blonde n’élude aucun aspect problématique, partage la vie dissolue, les parties fines avec les amants de la star, tout comme sa dépendance aux drogues pour faire passer une dépression XXL liée à sa condition d’objet cinématographique autant que sexuel. La déchéance d’une femme fascinée par la gloire sans jamais l’avoir réellement souhaitée.
Double intensité
Au cœur du dispositif Blonde, Andrew Dominik questionne la double identité, qui confine ici presque à la double personnalité. Celle de Norma Jean, la fillette qui continuait à se cacher derrière le vernis de la star Marilyn, poussée par des producteurs avides de profits autant que bandeurs frénétiques abusant de son corps (Harvey W. es-tu là ?), mais aussi par un public de fans déchaînés désireux de réclamer et d’acclamer ce sex-symbol devenu objet de tous les fantasmes. C’est dans cette zone grise entre les deux personnalités/identités que se joue le film et le destin de Marilyn. Dominik décrit une frontière entre réalité et fiction de plus en plus poreuse, notamment lorsque la jeune femme rejoue intensément une scène de sa vie pour alimenter un rôle lors d’une audition. L’intensité, elle est également là lorsque le film nous plonge littéralement dans des scènes d’avortement contraints, qui viennent souligner l’une des facettes de la psychologie en miette de la star : celle de la maternité ruinée. Le film montre également les conséquences psychologiques de l’absence d’un père qu’elle n’a jamais connu mais constamment recherché, une énigme autour de la figure paternelle tel le fil rouge psychotique d’une existence gâchée par l’espoir d’une hypothétique rencontre, un manque qu’elle transpose vers ses amants et compagnons. Très fort.
Organique et sensitif
Durant les 2h45 du film, Blonde fait plonger le spectateur dans un esprit tourmenté, essayant de faire ressentir physiquement le désarroi, la solitude mentale, la détresse, la descente aux enfers dans des scènes de plus en plus déconnectées de la réalité, fantasmagoriques, voire horrifiques. Un parti-pris qui pourra décontenancer, provoquer l’exaspération, voire le rejet, puisque le réalisateur avance en permanence sur la crête glissante de la provocation too much, noir c’est noir, trop c’est trop. Blonde est effectivement un film organique et sensitif comme on n’en a pas vu depuis bien longtemps, qui se vit également comme un véritable choc esthétique. Andrew Dominik fait des choix forts de mise en scène et convoque tous les outils cinématographiques à sa portée pour représenter cette descente aux enfers à l’écran. Le cinéaste joue sur le ratio du cadre, alternant sans transition format serré, quasi vertical, et plans larges, comme il fait se succéder scènes dans un noir et blanc tantôt magnifique, tantôt inquiétant à des séquences en couleurs.
Le son assure un rôle également prépondérant, la bande originale signée Nick Cave et Warren Ellis épouse littéralement les images d’Andrew Dominik et son directeur de la photo Chayse Irvin, pour un rendu là encore quasi organique qui hante longtemps l’esprit. Véritable film coup de poing, que l’on ne peut pas considérer comme agréable à regarder dans ce ce qu’il renvoie au spectateur, mais exerçant néanmoins un incontestable pouvoir de fascination par son propos et surtout son esthétisme aux frontières de la fantasmagorie et du film d’horreur, Blonde est un gros morceau de cinéma, qui exploite au mieux les éléments de langage du Septième Art pour mieux bouleverser. On sort du film en miettes, sonné, mais enthousiasmé d’avoir ressenti une véritable expérience de cinéma.