ZHENG SHI T.1 : LA RIVIÈRE DES PERLES
France – 2025
Genre : Histoire, Aventure
Dessinateur : Jean-Yves Delitte
Scénariste : Jean-Yves Delitte
Nombre de pages : 48 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 22 janvier 2025
LE PITCH
Dans l’histoire des civilisations, la piraterie est un mal qui n’a jamais eu de frontières. Alors qu’avec la fin du XVIIIe siècle, elle semble en apparence éradiquée dans les eaux chaudes des Caraïbes qui ont forgé sa légende, elle demeure toujours plus puissante en Extrême-Orient. Même l’empire du Milieu, dont d’innombrables explorateurs narrent les beautés et la grandeur, aux prises avec ce mal. Parce que l’autorité impériale n’est qu’apparence, des régions entières de la Chine subissent le joug de la piraterie quand elles n’en sont pas complices. On raconte ainsi qu’une femme, aussi belle que cruelle, régnerait sans concession sur les eaux méridionales de la mer de Chine. Des milliers d’hommes serviraient sa cause et des centaines de navires lui permettraient d’accomplir ses exactions. Mythe ou réalité ?
Diablesse de la mer de Chine
Considérée comme la plus grande de toutes les femmes pirates ayant sillonné les mers, Zheng Shi dirigea d’une main de fer plus de 300 jonques et pas moins de 20 000 hommes, faisant la nique à l’Empereur Qing et mettant à l’amende les troupes occidentales anglaises et portugaises. Une figure entre Histoire et légendes qui méritait bien un petit hommage en BD.
Et qui mieux que Jean-Yves Delitte, spécialiste des grands récits de pirateries en BD, pouvait lui offrir un diptyque grand format ? Une signature reconnue qui a déjà fait ses preuves sur des séries comme Le Belem, Black Beard, Black Crow ou La Buse, et dont on retrouve ici la maitrise totale de ces univers. La force des paysages, en bord de mer ou dans les terresn les étendues d’eau à perte de vue n’ont bien entendu aucun secret pour lui, mais le plus impressionnant restes systématiquement la précision renversante de ses reproductions de navires. Avec de forts détails techniques et historiques, mais aussi une patine plus flamboyante, il impose admirablement dans ses pleines pages toute la majesté de ces bâtiments d’autrefois. Les pièces occidentales sont sans doute les plus glorieuses, mais les jonques, en nombres, de la pirates chinoise, ne manquent pas non plus de grâce et de présence. Un contraste d’ailleurs entre les échelles des deux types de bateaux, qui souligne la valeur décuplée des tactiques de Zheng Shi, ne jouant pas uniquement sur la force brute.
Porté par le vent
Un personnage qui de toute façon tranche bien entendu avec son époque (et les clichés), ancienne prostituée devenue capitaine d’armada à la mort de son époux, et qui sera tout autant connue pour ses prouesses maritimes que pour avoir assuré l’avenir de ses équipages en les faisant amnistier et enrôler par l’état. Passionnante donc, et complexe, mais dont l’auteur n’a pas l’ambition d’offrir une biographie complète (dont une grande part reste d’ailleurs inconnue, comme son vrai nom), mais plutôt de conter l’ultime confrontation entre elle et le gouverneur de Macao, sur fond de corruption et d’ingérences portugaises. De forts enjeux politiques sont en marches, mais aussi culturels puisque la franchise européenne ne se mariant pas toujours très bien aux non-dits et à la discrétion de la philosophie chinoise. Les évènements se mettent en place, les rapports de forces se précisent et la place de Zheng Shi est des plus centrales, mais même si l’écriture est d’une grande précision, il manque sans doute un peu de souffle aux évènements pour véritablement emporter le lecteur. Les faits d’armes se résument bien souvent à quelques cases rapides, presque comme de simples conclusions d’enjeux plus globaux, et les traques ou abordages sont réduits à quelques toiles figées. De son côté, la protagonistes principale, mystérieuse et assez froide, semble clairement nous échapper et laisser ses contours plus humains, comme son passé, dans l’ombre.
Solide, impeccablement dessiné et découpé, solidement construit, La Rivière des perles est donc un album qui met plus en avant l’Histoire que l’aventure. Un document instructif, mais on est très loin du swashbuckler.