Clairement l’album est une véritable déclaration d’amour aux grands classiques du genre, piochant allègrement du coté de ses racines littéraires et plus particulièrement des modèles anglais que sont l’œuvre d’Agatha Christie ou les aventures de Sherlock Holmes par Conan Doyle. L’ouverture est ainsi on ne peut plus classique avec un riche aristocrate s’apprêtant à faire de terrible révélation à ses héritiers, mais qui sera assassiné par une silhouette encapuchonnée dans sa chambre avant de pouvoir les rejoindre. Un couteau planté dans le cœur, un impact de balle sur le front, du poison dans le thé… décidément quelqu’un lui voulait du mal ! Auteur de Goya le Terrible sublime et Le Fantôme de Gaudi, El Torres s’engouffre joyeusement dans tous les passages obligés et n’esquive aucun cliché attendu. La vieille demeure qui recèle un secret bien dissimulé dans ses fondations, la terrible tragédie familiale enfouie dans les mémoires et les suspects idéaux entre la sœur très attachée aux tradition, l’avocat de famille très attaché à ses contrats, la nièce attachée aux apparences et le neveu attaché à ses plaisirs… Sans oublier un inquiétant majordome et la petite nouvelle, Dorry Quirrel, petite soubrette maladroite mais ancienne aventurière et medium à ses heures.

Un jappement dans la nuit

C’est par ce personnage que le récit va emprunter des chemins de traverse, puisque justement la demoiselle est qui plus est une ancienne amie de Wallcroft l’assistant du détective de Scotland Yard Forrester. Habituellement héros de ce type d’enquête ce dernier reste relativement en retrait, laissant les deux autres s’embarquer dans les méandres des lieux et entrer en contact avec les esprits qui hantent la demeure depuis toujours. Une bonne dose d’ésotérisme et de fantastique qui distille une atmosphère légèrement plus gothique et inquiétante que sobrement victorienne. Parfaitement mené, doté de quelques rebondissements bien sentis et construit avec toute la rigueur que ce type d’affaire mérite, Whodunnit ? se déguste avec d’autant plus de plaisir que l’illustrateur Vicente Cifuentes (surtout connus chez DC Comics pour son travail d’encreur) habille le tout de personnages anthropomorphiques aux croisements entre la rondeur d’un Disney et une précision réaliste (détails des morphologies, costumes, décors lumières…) extrêmement fouillée et atmosphérique. Son découpage dynamique, son travail sur les ombres et les couleurs admirablement composées par Ulises Arreola viennent même titiller certains maniérismes des aventures d’Hercule Poirot par Kenneth Branagh.

Avec beaucoup d’amour et de soin El Torres et Vicente Cifuentes concoctent un récit policier à l’ancienne plutôt réussi et à l’ambiance bien dosée. Naturellement les amateurs du genre sont déjà en terrain conquis et voient arriver certains effets longtemps à l’avance, mais la partie graphique et les effluves surnaturelles rehaussent le tout.