TROIS JOKERS
Batman: The Three Jokers #1-3 – Etats-Unis – 2020
Genre : Super-héros
Scénariste : Geoff Johns
Illustrateur : Jayson Fabok
Éditeur : Urban Comics
Pages : 176 pages
Date de Sortie : 01 octobre 2021
LE PITCH
Le secret du pire ennemi de Batman est enfin révélé : il n’existe pas un mais trois Jokers. Le Clown, le Comique, le Criminel : chacun à sa manière, ces malfaiteurs au sourire carnassier ont infligé à Batman et à ses alliés des blessures tant physiques que psychologiques. Au moment où l’on retrouve des cadavres rappelant la première affaire du Chevalier Noir contre sa nemesis, Batman, Batgirl et Red Hood mènent l’enquête pour découvrir lequel des Trois Jokers est l’original… ou s’il existe vraiment. Mais le temps est loin d’avoir guéri toutes les blessures et la confiance entre les trois justiciers est, elle, passablement entamée…
Triumvirat
Annoncé au détour d’un final de gros crossover, Trois Jokers aura mis quatre ans à voir le jour. Quatre ans de suspens, de déclarations aguicheuses de la part du scénariste Geoff Johns pour aboutir à une nouvelle suite / hommage / pompage de l’indéboulonnable Killing Joke. Preuve que parfois plus on est de fou, moins on rit.
Nemesis central de l’univers du Batman et véritable icône de la pop culture, le Joker n’a bien entendu jamais cessé d’évoluer au cours des années, des époques et des modes, passant du génie criminel au look inquiétant au bouffon grimaçant en passant par le psychopathe et le serial killer carrément scabreux. Là où Grant Morrison l’expliquait astucieusement par une schizophrénie évolutive répercutant les propres névroses de Batman, Geoff John lui opterait plutôt comme sujet d’un pur exercice de style pour l’existence de plusieurs Joker. Ceux-ci ne se succèdent même pas, ils œuvrent de concert. L’un représente bien entendu l’aspect cérébral du Joker apparu dans les années 40, le second se rapportent au Silver Age (avec ses poissons rieurs et ses élucubrations délirantes) tandis que le troisième se résume au sadique de The Killing Joke…. Même si Johns tente désespérément de le rattacher au fêlé de Zack Snyder. Un concept plutôt original, mais qui du coup se plie assez difficilement à ce que l’on connait du personnage (sa mégalomanie par exemple) et de sa longue histoire éditoriale et les efforts constant du scénariste pour le mener jusqu’au bout son bien trop visibles.
Seuls dans la nuit
Promis comme une véritable réflexion sur les connexions intimes et douloureuses qui lient le (les) personnage avec le justicier, comme un retour sur les traumatismes vécus par Barbara Gordon (Batgirl) et Jason Todd (second Robin devenu Red Hood), Trois Jokers fait face là encore à un aspect psychologique très lourd une résolution de la situation avec de gros sabots. Le meilleur exemple étant le geste brutal et définitif de Jason Todd, pour le coup plutôt logique vu le calvaire qu’il a vécu, qui laisse presque Batman de marbre et qui aux révélations faites par les Jokers aurait dû aboutir à une évolution déjà évoquée dans l’excellent dessin animé Batman Beyond : Le Retour du Joker. Rien de tout cela, plantés dans le décors comme des figures monolithiques, Batman et ses deux acolytes suivent tristement le courant, subissent l’histoire et l’action, comme le lecteur subit chaque revirement avec espoir (le retour de Joe Chill). Espoirs systématiquement gâchés par une incapacité à véritablement embrasser la folie du Joker et l’amertume de ses victimes. Un peu plus emballant, la performance imposante de Jayson Fabok (Justice League, Batman Eternal) apporte au récit une véritable impériosité, une profondeur inquiétante qui renvoie autant au sens du détail iconique de Jim Lee qu’à la stature d’un Brian Bolland dont il reprend souvent, et très ouvertement, la structure des pages et certaines compositions. Petit problème cependant, son trait et son découpage froid manquent eux aussi d’émotions alors que ses Joker n’affiche pas forcément suffisamment de détails pour les démarquer (l’un fait toujours la gueule mais au-delà de ça…).
Entre hommages à ses illustres prédécesseurs et trahisons maladroites, Trois Jokers qui devait au départ s’inscrire dans la continuité officielle, n’est plus aujourd’hui qu’un exercice de style, qu’une proposition indépendante glissée dans le Black Label, ampoulée par son besoin d’impacter coûte que coûte un univers officiel qui est déjà passé à autre chose.