TORSO

Torso #1-6 – Etats-Unis – 1998/1999
Genre : Policier
Dessinateur : Brian Michael Bendis
Scénariste : Brian Michael Bendis, Marc Andreyko
Nombre de pages : 288 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 28 mai 2025
LE PITCH
États-Unis, 1935. Cleveland est une oasis économique gangrénée par la corruption et le crime. Le maire fait appel à Eliot Ness, auréolé de l’arrestation récente d’Al Capone. Mais le héros de l’Amérique se retrouve face à un véritable monstre, surnommé « The Cleveland Torso Murderer », un tueur en série insaisissable qui coupe la tête et démembre ses victimes. Basé sur des faits réels, ce tueur ne fut jamais arrêté.
Chaque pièce du puzzle
Plus de vingt ans après la première édition de Semic, Delcourt réédite Torso que l’on peut considérer comme la première grande œuvre de Brian Michael Bendis. Une véritable enquête fouillée et épaisse, reconstitution de l’affaire du Torso Murderer qui terrifia durant quatre ans la ville de Cleveland, et les USA, et qui continue de passionner aujourd’hui encore.
Avant d’être l’un des grands architectes de l’univers Marvel et l’une des signatures mainstream les plus courues des comics, Brian Michael Bendis était un jeu auteur prometteur issu de la scène indépendante. Goldfish, Jinx et Powers, ses premiers thriller l’on rapidement fait remarquer, en premier lieu par Todd McFarlane et Image Comics qui en plus de rééditer ses premières productions, assurant une audience démultipliée, publièrent dans la foule le fameux Torso. Un polar à nouveau, mais loin des cadres contemporains et de la décontraction pulp, au profit d’une fabrique nettement plus proche des romans noirs, sombres et cruels. A la différence aussi que cette mini-série est directement inspirée d’évènements réels : la rencontre impensable entre ce qui fut longtemps considéré comme le premier serial killer américain, apparu dans les rues pauvres de Cleveland, et un Elliot Ness, héros de la justice tout juste auréolé de sa confrontation avec Al Capone, mais qui y laissera malheureusement sa carrière. Si forcément Bendis, aidé ici par Marc Andreyko (Manhunter, Violator : Origins…), romance l’ensemble et imagine certains détails puisque l’affaire ne fut jamais officiellement conclue, il se base avant tout sur de longues recherches, en particulier dans les archives du Cleveland Plain Dealer dans lequel il avait justement fait ses premières armes de rédacteur / journaliste.
Les nouveaux incorruptibles
Une masse d’informations, d’indices, de témoignages, d’articles, qui s’entrelacent dans ce qui ressemble autant à un récit policier qu’à un grand roman historique, capturant une Amérique essayant toujours de se remettre de sa crise économique, vérolée par les failles de sa civilisation (la pauvreté, la corruption politique, la police ripoux…) donnant naissance à un monstre qui assassine les laissés pour compte, les découpe en morceaux, les rendant presque impossible à identifier. SI Elliot Ness est la figure tutélaire de la BD, se sont surtout les deux agents de terrains, les détectives Myrlo et Simon qui font tous le boulot. Alors que leur chef se heurte aux diktats de la mairie, eux arpentent le bitume, examinent les corps suppliciés et s’approchent lentement de l’identité du tueur. Une enquête absolument passionnante qui par son âpreté peu aujourd’hui faire penser au fabuleux Zodiac de David Fincher, mais aussi aux fibres plus hard boiled (façon Chinatown) par son atmosphère lourde et ses racines tristement imbriquées dans les strates du pouvoir. L’auteur faisait déjà montre de talent indéniables pour charpenter ce type de récit, s’appuyant sur une réelle précision dans la construction des scènes, alliée à une écriture volontairement loquace où les dialogues s’enchainent inlassablement, s’engouffrent dans les digressions et peuvent se voir découpés en chapelets de bulles libres, en grilles répétitives, voir même en spirales vertigineuses emportant avec elles toutes les convictions. Des astuces que Bendis n’a jamais cessé d’éprouver depuis (en particulier sur son run de Daredevil, Ultimate Spider-man ou Alias), mais qu’il abordait ici avec une forme de fraicheur et d’inventivité frappante. Ce qui a cependant un peu moins bien vieilli cependant ce sont certains choix esthétiques, comme lorsque les cases mêlent ses dessins pas forcément des plus précis avec de véritables photos en arrière-plans, où lorsque le Bendis dessinateurs jouait sur quelques ingrédients numériques (retouches, textures, onomatopées…) qui peuvent sembler un peu disgracieuses pour les lecteurs actuels.
De toute façon Bendis n’a jamais été un immense illustrateur, ses dessins étant surtout conçus comme de purs outils narratifs, et l’essentiel se porte ici sur le découpage, le rythme et l’émotion du récit et un noir et blanc épuré évocateur et souvent inquiétant. Un grand classique du comic policier.