TOMBES
墓標の町 – Japon – 1994
Genre : Horreur
Dessinateur : Junji Ito
Scénariste : Junji Ito
Nombre de pages : 416 pages
Éditeur : Mangetsu
Date de sortie : 23 octobre 2024
LE PITCH
Une vieille bâtisse abandonnée habitée par un passé sanglant, une étrange femme recluse qui trouble le sommeil de son jeune voisin, un monstre marin tout droit surgi des abysses, un tunnel maudit qui plonge ses visiteurs dans d’hypnotisantes ténèbres, des sculptures qui prennent vie dans une sinistre fonderie, un village sombre et isolé dont les habitants semblent tous exsangues…
Veillées funèbres
Nouveau recueil d’histoires courtes signées par le maitre de l’épouvante japonaise Junji Ito, Tombes avait déjà été plus où moins traduit dans le lointain recueil Tunnel édité alors par Tonkam, ou au sein des deux volumes du best of Les Chef d’œuvres. Pas d’inédits à se mettre sous la dent certes, mais presque uniquement des incontournables… Ce n’est pas peu dire.
Encore les charmes de ces petites aventures éditoriales à la française puisque le présent volume était sorti au Japon en 2013 et précédait là-bas justement les fameux « Les Chef d’œuvres » et qu’il était lui-même la version étoffée d’un précédent recueil. Pas toujours facile de suivre et d’éviter les doublons chez Junji Ito, et pourtant il est bien difficile de passer à côté de ce volume regroupant 11 histoires publiées dans la revue Halloween entre 1994 et 1997, alors que l’artiste est en pleine explosion créative et en train d’assoir sa renommée. Le trait encore un peu fragile croisé sur les premiers Tomie ou les premières nouvelles de Le Déserteur sont déjà oubliées et l’artiste s’en donne à cœur joie dans les visions macabre et délirantes comme ce monstre marin échoué sur une plage dont la décomposition va libérer les corps avilis de disparus en mers transformés en parasites. Du pur cauchemar lovecraftien à l’instar de la ville reculée de Petit conte hémorragique de Shirosuna, où le sol lui-même vampirise à l’extrême ses habitants et un gentil docteur qui voulait rendre service. Lovecraft encore et toujours dans l’une des nouvelles les plus réussies du maitre, Un rêve sans fin, écho à La Quête onirique de Kadath l’Inconnue, où un jeune homme connait des rêves de plus en plus longs qui l’entrainent vers un autre niveau d’existence et une transformation physique évolutive. Presque une tragédie sur la peur de la mort et l’idée plus terrifiante encore d’une vie sans finalité. Bien plus courte mais tout aussi marquante, et souvent cité parmi les grands classiques de l’auteur, La Femme-limace est le modèle de la nouvelle à la Junji Ito avec sa pauvre adolescente se transformant graduellement, et de la manière la plus atroce qui soit, en son pire cauchemar, avec une image finale aussi grotesque que dérangeante.
Les murs ont des oreilles (mais pas que…)
On trouve comme souvent un peu de tout dans Tombes, avec effectivement quelques métamorphoses morbides, des fantômes suppliciés et même un conte morale macabre à la Edogawa Ranpo avec Sculptures de bronze, mais le volume se montre aussi relativement cohérent avec un corpus semblant plus que jamais s’inscrire dans cette réalité hors du temps typique de l’auteur. Des petites villes japonaises, entre grande banlieue et désert rural, encore incarnées par des maisons à l’ancienne, de vieux terrains vagues oubliés, des bâtisses en bois délabrés, et des murs ou des sols toujours habités par les victimes de vieilles légendes, de traditions absurdes ou de mystères physiques inexplicables : Le Tunnel, habituel théâtre de légendes urbaines se révèle ainsi un gouffre de rayons cosmiques qui attirent et absorbent les êtres vivants ; le QG redevient le théâtre de dissensions des grands mouvements revendicateurs estudiantins des 70’s en déchirant la belle amitié de trois lycéennes contemporaines ; la voisine intrusive et libidineuse de La Fenêtre d’en face réussit à transformer organiquement sa bâtisse pour se rapprocher au plus près sa pauvre victime ; enfin Tombes imagine un patelin où les morts se transforment eux-mêmes en sites funéraires sacrés par un curieux phénomène de calcification mystique.
Vaste programme encore et toujours où les pires tourments adolescents viennent se heurter aux désirs de morts, à la pure folie, aux aberrations de l’existence et aux mythes inconnus perdus dans le temps. Un concentré de classiques signées Junji Ito qui certes ne surprendra peut-être pas les aficionados et les spectateurs de la série animée de Netflix, mais qui a tout, une nouvelle fois, de l’incontournable.