SPECTREGRAPH

Spectegraph #1-4 – Etats-Unis – 2024
Genre : Horreur
Dessinateur : Christian Ward
Scénariste : James Tynion IV
Nombre de pages : 224 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 26 mars 2025
LE PITCH
Un manoir étrange, niché sur la côte, à quelques kilomètres au nord de Los Angeles… Des rumeurs courent… On le dit hanté… Son propriétaire était un magnat de l’industrie, avec une étrange fascination pour l’occulte et le paranormal. Depuis des décennies, les hommes et les femmes les plus riches du pays cherchent à comprendre ce qu’il y construisait. Maintenant, alors qu’il vient de mourir, ils ont hâte de le découvrir…
Coupe anatomique de l’être
Depuis la reconnaissance importante rencontrée par les séries The Nice House on the Lake et The Department of Truth, James Tynion IV trouve tranquillement sa place au panthéon des grands auteurs de BD horrifique. Et sa dernière mini-série, illustrée par le talentueux Christian Wars confirme cette ascension en revisitant les codes de la « maison fantôme ».
Et comme le veut le genre, Spectregraph c’est avant tout l’histoire d’un lieu. Une gigantesque demeure frappée par le soleil californien, luxueuse, imposante, toute en colonnade et en exubérance, imaginée et construite de toute pièce par milliardaire excentrique. Une maison de riches fastueuse certes, mais presque comme tant d’autres dans la région, si ce n’est que son auteur obsédé par la quête d’une certaine forme d’immortalité a caché en son sein un mécanisme tortueux et expérimental voué à transformer les visiteurs en fantômes. Un cadre atmosphérique parfaitement campé par le travail graphique d’un Christian Ward (Aquaman : Andromeda, Batman : City of Madness, ODY-C…) toujours plus inspiré par les débordements de la peinture que par une précision comic. Les contours de ses personnages, certains détails de leur morphologie, ne sont effectivement pas toujours stables et ces derniers se constituent essentiellement de zones de couleurs mouvantes, emportées par le mouvement et les émotions. Un style organique plus en adéquation encore avec l’architecture des lieux visités, étranges, insaisissables, enveloppants et écrasants, inquiétants et dont s’échappent régulièrement des ectoplasmes particulièrement impressionnants. C’est que le fameux Spectregraphe est une machine à l’étape de prototype et qui peine à capturer l’essence complète de ses sujets, donnant naissance surtout à des couches diverses de ces humains : peau, muscles, sang, circuit neuronal…
Comme un oignon
Des visions terrifiantes, dérangeantes délirantes et anatomiques qui donnent naissance naturellement aux planches les plus spectaculaires et marquantes de l’album, quelque part entre le démonstratif et fête foraine d’un 13 Ghosts et la chair dérangeante et douloureuse d’un Hellraiser. Visuellement fascinant, même dans les séquences les plus intimes, toujours solidement découpées, Spectregraph n’est cependant pas simplement un récit d’épouvante, c’est aussi la confrontation de deux personnages, et par ricochet l’homme qui a passé sa vie à construite ladite machine, à leur existence et leur mortalité. Pas le biais de dialogues jamais laborieux et toujours signifiants, et de flashback plutôt bien placés, James Tynion IV explore non pas le sens de la vie mais le sens que ces personnes ont mis dans leur vie et comment ils peuvent, ou pas, la réinventer. On n’est jamais très loin ici du drame intimiste, de la réflexion douloureuse sur la solitude d’une jeune femme qui s’est toujours senties différentes des autres et à cotés de la société, ou sur celle d’une jeune mère quittée récemment par sa compagne et qui réalise enfin pleinement l’attachement qu’elle peut avoir pour son enfant. Mais la figure la plus intéressante est peut-être celle d’Ambrose, le fameux magnat qui à force de se perdre dans sa recherche d’un moyen pour échapper à la disparition, à la mort, finit par passer totalement à coté de ce qu’aurait dû être son existence et son couple.
C’est cet équilibre entre exploration humaine et pur récit d’horreur, sensationnaliste et angoissant, qui fait de Spectregraph un album fascinant, sorte de trip gore psychédélique et étrangement sensible.