SOCIAL FICTION

1996 Again, Wonder City, Shelter Market – France – 1978 / 2024
Genre : Science-Fiction
Dessinateur : Chantal Montellier
Scénariste : Chantal Montellier
Nombre de pages : 240 pages
Éditeur : Les Humanoïdes Associés
Date de sortie : 26 décembre 2024
LE PITCH
Dans le recueil Social Fiction vous pourrez lire trois œuvres majeures de Chantal Montellier : Wonder City, Shelter Market et 1996. Publiées entre 1978 et 1983, elles restent toujours pertinentes et d’une justesse inédite trente ans plus tard. Wonder City vous emmènera au cœur d’une ville eugéniste et sous vidéosurveillance généralisée, tandis que Shelter Market vous plongera dans le sous-sol d’un centre commercial, transformé en abri antiatomique, où un directeur de magasin joue les nouveaux dictateurs. 1996 rassemble plusieurs histoires courtes toujours en lien avec une thématique sociale, politique ou philosophique.
L’Avenir c’était hier
Les 50 ans de l’éditeur les Humanoïdes Associés ne sont pas que l’occasion de ressortir quelques classiques indétrônables du catalogue maison, mais aussi de donner un nouvel éclairage sur des créations moins connues, mais tout aussi importantes ou marquantes. En marge des expériences Opus Humano, voici donc un imposant volume regroupant trois albums fondateurs de Chantal Montellier ; 1996, Wonder City et Shelter… revus et corrigés.
Dans une préface rédigée pour une ancienne édition américaine de ce recueil, Jean-Pierre Dionnet ne cachait pas que Chantal Montellier avait effectivement un statut à part dans l’équipe de Métal Hurlant. La première femme autrice à rejoindre la publication déjà, qui impulsera au passage la naissance du magazine sœur, féminin et féministe, Ah ! Nana, rapidement sabré par la censure, mais aussi une artiste au style atypique, sans doute plus fragile que des monstres comme Moebius et Druillet, ne cherchant jamais cette étrange notion du « beau » ou du spectaculaire, mais plutôt une forme juste. Un trait un peu brut, un peu vif, un peu juste parfois, mais qui sied parfaitement aux mondes futurs auxquels elle nous convient. Montellier refusait justement la notion de Science-fiction qui explorerait les évolutions de la société futur et de sa technologie, et préféra rapidement celle de Social Fiction qui pour elle s’inscrivait beaucoup plus solidement dans le quotidien et la réalité du lecteur. Les cités oppressantes, massives, grises et écrasantes de ses trois titres font parfois penser aux visons paranoïaques du Brazil de Gilliam, mais aussi à la banlieue rouge que chantait Renaud, à l’Angleterre de Thatcher ou aux quartiers underground du Berlin des 70’s.
Big Brother, Big Mac
Des décors pleins de vie, cosmopolites, modernes, mais où surnage inlassablement un impérissable malaise. Dispersées tout au long du recueil, les courtes histoires de 1986 Again, allant de deux planches à quarante pour le central So Fast on Their Shiny Metal Cars, plantent habilement le décor, délivrant des instantanés parfois glaçants, parfois absurdes, d’une société purement discriminante, ne visant que le contrôle des populations et la ségrégation de ceux jugés inaptes. Wonder City ne fait que développer ces propositions en les intégrant dans un récit plus complète, histoire d’amour au milieu d’une dystopie où un cadre bien intégré tombe pour les beaux yeux d’une musiciens rebelle dont le droit à avoir un enfant va être bafouée, leur faisant découvrir un plus large complot sur font de racisme et d’eugénisme. Enfin Shelter, devenu depuis Shelter Market (avec entre autres l’ajout de 37 pages), décrit par le menu le terrible destin de quelques survivants d’une apocalypse nucléaire réfugiés dans un centre commercial bunker. L’utopie libéraliste qui se mue (ah tiens ?) en pur cauchemar alors que la mécanique fasciste renait le plus naturellement du monde, entre censures culturelles, interdits politiques et marchandisation des femmes, quelque part entre 1984 et La Ferme des animaux… avec beaucoup de MacDo. Terrifiants, ces récits d’anticipation font peut-être encore plus froid dans le dos aujourd’hui, dépassant le statut de visionnaire pour s’apparenter à des descriptions du possible de nos société capitalistes malades et archaïques.
Chantal Montellier, elle n’a jamais fini d’avancer, de poser les bonnes questions, de favoriser la prise de position politiques et féministes (elle a d’ailleurs co-crée le fameux prix Artémesia) et de revenir sur ses créations, pour les faire évoluer, s’étoffer, voire changer de visages. Wonder City fut ainsi légèrement peaufiné pour sa première sortie en album chez Les Humano en 1983, tandis que Shelter Market fut entièrement repensé pour sa réédition aux Editions Nouvelles en 2017 avec une pagination plus ample et une approche visuelle désormais pleines de couleurs, de collages et d’expérimentations aux lisières du pop art délirant. Enfin pour la première fois, les épisodes de 1986, devenu lui 1986 again, sont repassées entre les mains de la dessinatrice avec de grandes variations dans la bichromie, des réorganisations de cases et de bulles, et là aussi un mélange de reliefs étranges et de photomontages qui ne font qu’accentuer la sensation de malaise. On peut d’ailleurs s’amuser à reconnaitre Mr Dionnet à plusieurs occasions, qui lui-même la considérait comme « l’un des rares auteurs véritables de la bande dessinée française ».