Si en France les sectes sont (relativement) renvoyées aux périphéries de la société, car condamné par la loi et donc illégales, il n’en est pas de même partout. Au japon par exemple nombres d’entre elles ont pignons sur rue, et multiplient les techniques d’endoctrinement pour s’attirer de nouveaux croyants, les contrôler et tout leur voler, argents et libertés. Un titre comme Smile !, même s’il en rajoute forcément sur les pratiques obscures et la paranoïa, fait tout de même largement écho à une réalité quotidienne et tangible. L’Église du Sourire Éternel ne semble d’ailleurs pas si exotique que cela de prime abord avec sa philosophie du bonheur colportée par un sourire sans faille, le rire face à tout, pour atteindre le nirvana, ni même avec ses adeptes se trimballant en robes blanches, extatiques, sur les photos des prospectus, ou venant toquer à toutes les portes pour colporter la bonne parole. C’est d’ailleurs uniquement en reconnaissant son ex-femme (disparue depuis la mort dramatique de leur fille) sur l’une des images que Yushi Kamome, pigiste sans inspiration, se décide à enquêter sur les secrets du culte. Un sujet refusé par le rédacteur en chef et que son ami policier lui déconseille fortement de poursuivre. Il va pourtant s’y atteler, s’inscrire sous couverture et découvrir une réalité de plus en plus inquiétante et terrifiante.

Dites le avec un sourire

Prépublié dans la revue Seinen Weekly Manga Goraku, Smile ! se construit véritablement comme un thriller à mèche lente où la bonhommie de façade laisse progressivement affleurer une noirceur et une folie de plus en plus évidentes. Les fameux sourires se figent, jaillissent aux moments les moins adéquates, deviennent déstabilisants, gênant, grinçants et alors que des cadavres sont découvert nus, brutalement défigurés, le sentiment de danger du récit n’en devient que plus prégnant… jusqu’à l’atroce cérémonie du dernier chapitre. Hattori Mitei sait ménager ses effets, tenir le lecteur en haleine et surtout se montre très habile dans la mise en place d’une constante ambiguïté, entre complot national dont on ne fait qu’effleurer l’étendu, et drame personnel d’autant plus troublant que malgré ses réticences, Hattori Mitei, manifestement dépressif dans les premières pages, fini par se laisser « contaminer » par les effets de cette thérapie du sourire poussée à l’extrême. Ses illustrations jouent d’ailleurs sur une gamme assez proche avec un style plutôt passe-partout et commun, des contours très fluides, des constructions relativement vides, mais où justement l’inquiétante étrangeté des situations et des attitudes n’en est que plus perceptible et obsédante.

Très bon début pour ce thriller pour grands lecteurs qui en figurant de manière frontale la dangerosité des sectes et en levant peu à peu le levier de l’horreur, installe solidement un vrai suspens et une construction policière des plus efficaces. Avec déjà neuf tomes publiés au Japon, on se demande alors dans quoi ce Smile ! est en train de nous embarquer.